Haïti : non à l’accaparement des terres

Savane Diane appartient aux productrices et producteurs paysans : 

Elle n’est ni à vendre, ni à concéder à des tiers 

 

Nous, organisations haïtiennes du mouvement social et populaire, signataires de cette note : Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK), Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA), Kolektif Jistis Min (KJM), Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH), Institut Culturel Karl Levêque (ICKL), Mouvement Démocratique et Populaire (MODEP), Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et toutes autres organisations signataires, saluons le courage, l’engagement et la détermination du peuple haïtien dans ses luttes incessantes pour construire le bien-être collectif. Nous profitons aussi de l’occasion pour saluer l’engagement de toutes les structures organisationnelles populaires non seulement dans la lutte contre la marginalisation et l’exclusion sociale, l’insécurité, l’injustice, la dictature mais aussi et surtout contre le processus d’accaparement et le pillage des ressources du pays.

Nous exprimons notre stupéfaction devant les décisions prises par le Président de facto Jovenel Moïse, malgré la fin de son mandat constitutionnel le 7 février 2021 pour accorder à André Apaid Jr., un bourgeois réactionnaire, par Arrêté Présidentiel publié dans le journal officiel LE MONITEUR, en date du 8 février 2021, plus de 8,600 hectares de terres agricoles. Ces terres lui ont été concédées pour installer une zone franche agricole dénommée « Zone Franche agroindustrielle de Savane Diane » et qui devrait s’établir sur quatre (4) communes de trois (3) départements géographiques du pays : Saint-Michel de l’Attalaye (Artibonite) – Maïssade (Centre) – Pignon et Saint-Raphaël (Nord). Une zone franche qui devrait produire du Stévia au profit de l’entreprise Coca Cola.

Cette décision vient aggraver la situation de plusieurs dizaines de milliers de familles paysannes qui continuent à assurer une partie importante de la souveraineté alimentaire du pays et le renforcement de l’économie paysanne, malgré l’absence de l’État haïtien dans la définition de politiques publiques en matière économique, sociale, environnementale favorables au développement de l’agriculture paysanne agroécologique. Cet acte illégal confirme, si besoin était, le caractère anti-paysan, antinational du régime actuel pour satisfaire les desiderata d’un petit groupe de bourgeois apatride qui, depuis des lustres, pille toutes les ressources du pays, en complicité avec des multinationales, des entreprises capitalistes contre les intérêts du pays, de la majorité de la population.

Nous constatons qu’à travers cette décision illégale de concéder des terres du domaine privé de l’Etat à Monsieur André Apaid Jr., le Président de facto apporte un éclairage sur son discours démagogique consistant à faire croire que «ti rès la se pou pèp la (ce qu’il en reste revient au peuple », et que ce « peuple » dont il parle est constitué par un petit groupe de bourgeois réactionnaires, apatrides, « patripoches ». Ce petit groupe constitue les alliés du PHTK pour continuer à occuper illégalement le pouvoir en violation des Articles 134-2 et 134-3 de la Constitution de 1987 amendée, alors que les revendications politiques, économiques, sociales, culturelles de la population n’ont jamais été à l’agenda de ce régime. Le Président de facto a pris la décision de déposséder des dizaines de milliers de familles paysannes de 8,600 hectares de terres pour les concéder à un néo-colon pour une monoculture d’herbes au profit de l’entreprise capitaliste Coca Cola, dans un contexte où plus de 4 millions d’Haïtiens-nes se trouvent en insécurité alimentaire[1] ; une partie importante de ceux-ci/celles-ci est constituée de paysans-nes producteurs-trices, de femmes et d’enfants.

Nous dénonçons, avec la plus grande fermeté, le processus d’accaparement de terres des paysans-nes à travers tout le territoire national, orchestré par des autorités politiques, judiciaires, des partisans du pouvoir illégal et illégitime, des membres du secteur privé, appuyés par le pouvoir judiciaire, la Police Nationale d’Haïti (PNH) et des « gangs armés officiels », une façon d’empêcher toute contestation populaire.

Nous dénonçons énergiquement les actes de répression, de violences extrêmes subis par la Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA), il y a quelques mois, de la part de bandits armés à la solde de la Compagnie Stévia S.A., accompagnés du Coordonnateur du CASEC de la zone, détruisant toutes les infrastructures de l’École Féministe Agroécologique, établie sur 13 hectares de terre à Savane Diane. A rappeler, l’État haïtien, au mois de Septembre 2017, à travers le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), avec la signature de Monsieur Carmel André Béliard, Ministre à l’époque, et l’Institut National pour la Réforme Agraire (INARA), a signé un protocole d’accord avec la SOFA pour la valorisation de ces 13 hectares de terres. En dépit du fait que ce protocole est toujours en vigueur, cela n’a pas dissuadé le nommé André Apaid Jr. de réclamer cette portion de terre au mois de Mai 2020, en utilisant toutes les violences possibles pour déloger l’organisation. Des bandits armés, avec la complicité d’autorités au niveau national, tel que l’actuel titulaire du MARNDR, Ministre Patrix Sévère, de Fresner Dorcin, ancien ministre et actuel directeur du projet Stévia et au niveau local, le Coordonnateur de Casec de la zone ont tout détruit sur leur passage et exercé des violences physiques sur les femmes paysannes qui participaient aux formations au sein de l’école et y pratiquaient une production agroécologique.

Nous nous questionnons grandement sur les motivations réelles de la décision du Président de facto de déposséder les paysans-nes et d’accorder ces terres, en plus de plusieurs millions de dollars à la famille Apaid pour la production de stévia. Pourquoi publier un Arrêté illégal concédant ces terres à la compagnie Stévia S.A. si ces terres appartenaient à celle-ci comme le prétend certaines autorités et Monsieur Apaid lui-même ? Il est important de rappeler l’ensemble des décisions prises par le régime PHTK durant les 10 dernières années ont pour objectif clair de détruire l’agriculture paysanne et déstructurer l’économie paysanne. Rappelons qu’en 2013, l’ancien Président Marthelly avait expulsé plusieurs milliers de paysans-nes de leurs terres dans la commune de Trou-du-Nord pour s’accaparer de plus de 1000 hectares de terres pour les mettre à la disposition d’un projet fictif de production de bananes, à travers AGRITRANS, conçu par l’actuel Président de facto. En dépit des prescrits de l’Article 36.1 de la Constitution de 1987 amendée exigeant la restitution de ces terres aux paysans au cas où le projet échouerait, malgré l’échec constaté du projet, les accapareurs gardent encore ces terres et continuent de menacer la vie des familles paysannes. Cet acte constitue une preuve claire du projet du régime en place et un petit groupe de bourgeois antinational de s’accaparer des ressources du pays pour consolider l’accumulation capitaliste contre les intérêts nationaux, en particulier les intérêts de la classe paysanne. Cela traduit aussi l’orientation des politiques appliquées dans tout le pays, en particulier dans le Grand Nord où le processus d’accaparements illégaux et violents de terres agricoles se fait monnaie courante pour établir des zones franches agricoles, les zones franches industrielles et le pillage des ressources naturelles, principalement minières. La situation des paysans-nes vivant dans la colonie agricole de Prévoyance, Savane-au-Lait (4ème Section Communale de Ouanaminthe) est un exemple parlant de ce projet et du caractère anti-paysan, antinational du régime de facto.

Nous apportons toute notre solidarité aux plusieurs dizaines de milliers de familles paysannes qui habitent et développent des pratiques agricoles dans tous les écosystèmes de la Savane Diane pour continuer à contribuer à la dignité et la fierté du peuple haïtien.

Comment comprendre qu’un Président de facto puisse s’arroger le droit de publier un Arrêté pour concéder à une seule famille des terres du domaine privé de l’État juste pour bénéficier d’un support pour pouvoir continuer à occuper illégalement le pouvoir ?

Comment concevoir qu’une seule famille prétend posséder plus de 8,600 hectares de terres établis sur 3 départements, alors que les paysans-nes haïtiens-nes ne possèdent en moyenne que 0.62 hectare (pour ceux et celles qui ont la chance d’en avoir) ?

Les paysans-nes haïtiens-nes sont-ils des étrangers dans leur propre pays ?

La lutte pour l’indépendance a-t-elle été seulement au bénéfice d’un petit groupe de bourgeois et d’un régime qui n’ont rien à voir avec les intérêts du pays ?

Les paysans-nes haïtiens-nes, à travers tout le territoire national, en particulier ceux/celles vivant dans les départements du Nord, de l’Artibonite, du Centre réaffirment leur droit sur la Savane Diane qui n’est ni à vendre, ni à concéder à des bourgeois réactionnaires, impérialistes, anti-peuples, anti-paysans.

Savane Diane appartient aux producteurs-trices paysans-nes  qui y pratiquent l’agroécologie, à travers la production agricole et l’élevage pour garantir la souveraineté alimentaire du pays. Nous continuerons à plaider pour des politiques publiques, des investissements capables d’améliorer la qualité du travail paysan et l’accès des populations à la souveraineté alimentaire.

Face à tout cela, Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK), Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA), Kolektif Jistis Min (KJM), Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH), Institut Culturel Karl Levêque (ICKL), Mouvement Démocratique et Populaire (MODEP), Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), et toutes autres organisations signataires, nous demandons : 

  • À toute la population haïtienne et toute la diaspora de s’engager dans toutes les formes de mobilisation visant à forcer l’ancien Président (Président de facto) Jovenel Moïse à libérer le Palais national et respecter les prescrits de la Constitution de 1987 amendée dans ses Articles 134-2 et 134-3, afin que le pays puisse reprendre le chemin de la démocratie et reconstruire l’autodétermination du peuple haïtien ;

  • Aux autorités de la transition de rupture, qui s’impose définitivement, de prendre toutes les dispositions pour annuler tous ces Décrets et Arrêtés illégaux et toutes autres décisions prises par le régime PHTK à l’encontre des paysans-nes haïtiens-nes, en particulier les actes d’accaparement sur leurs terres et leurs espaces de vie ; 
  • A l’État haïtien de définir des politiques publiques favorables au développement de l’agriculture paysanne familiale agroécologique pour favoriser la souveraineté alimentaire et le renforcement de l’économie paysanne ; 
  • À l’État haïtien de doter l’Institut National pour la Réforme Agraire (INARA) des structures et moyens adéquats pour réaliser une réforme agraire intégrale (selon les prescrits de l’Art. 248 de la Constitution de 1987 amendée) pouvant garantir un modèle de gestion durable et solidaire des ressources du pays, en particulier des terres agricoles, dans le cadre d’un nouveau modèle agraire se basant sur l’agroécologie et l’économie paysanne. 
  • L’État haïtien de mettre un terme à la politique d’installation de zones franches sur les terres agricoles et l’exploitation minière qui menace la vie des populations, l’environnement et le bien-être collectif. 

Les terres de Savane Diane appartiennent aux paysans-nes ! 

La mobilisation paysanne doit être permanente pour défendre le droit à la terre ! 

De la prison pour le Président de facto corrompu et assassin et tous ces acolytes impérialistes !