Inde : les enjeux du Cachemire

 

Propos recueillis par Caroline HAYEK, L’Orient-Le Jour, 6 août 2019

 

Le gouvernement indien a annoncé hier la révocation de l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire ainsi que sa dislocation, une décision explosive qui vise à placer sous la tutelle de New Delhi cette région rebelle revendiquée par le Pakistan. Jean-Luc Racine est directeur de recherche émérite au CNRS (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’École des hautes études en sciences sociales) et chercheur senior au think tank Asia Centre à Paris.

Quelles sont les raisons de la décision indienne de révoquer l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire ?

Le Bharatiya Janata Party (BJP), qui est au pouvoir depuis 2014 et qui a été réélu avec une majorité absolue à la Chambre basse du Parlement, a pris la décision de modifier le statut spécial dont le Cachemire bénéficiait depuis les années 50. Annuler l’article 370 de la Constitution, qui confère au Cachemireun statut particulier, est quelque chose qui est au programme du parti depuis des décennies, mais qui n’a jamais pu être fait, puisque de 1998 à 2004, celui-ci gouvernait à la tête d’une coalition, ce qui n’était pas suffisant pour prendre une telle mesure. Or aujourd’hui nous sommes face à une décision véritablement historique qui va poser une multitude de problèmes.

Cette décision va-t-elle susciter une polémique en Inde ?

L’arrivée en juin dernier au ministère de l’Intérieur d’Amit Shah, qui est l’homme-clef de Narendra Modi, était un signe que de grandes choses allaient arriver. Après son annonce devant le Parlement hier matin, des voix de l’opposition se sont élevées, alors qu’il y en a eu d’autres, qui s’opposent généralement au BJP, qui ont approuvé cette mesure. Le parti du Congrès, parti le plus important parmi l’opposition, a fait une déclaration mi-figue mi-raisin et a dénoncé les élus du Cachemire qui ont déchiré la Constitution en manière de protestation. Le timing est bien calculé, car le Congrès aujourd’hui n’a pas de président en titre depuis la démission de Rahul Gandhi, il y a un mois. On attend véritablement ce que va faire l’opposition nationale au-delà des partis anti-BJP qui ont gouverné le Cachemire. Il y a eu dimanche une rencontre des principaux partis d’opposition, y compris des partis qui, à un moment ou à un autre, ont été prêts à s’allier avec le BJP, pour dénoncer de façon prémonitoire ce qui allait se passer hier. Par ailleurs, on peut supposer qu’il n’y aura pas de grande manifestation pour le statut du Cachemire.

Doit-on s’attendre à une escalade entre l’Inde et le Pakistan ?

Il y a toujours eu des escarmouches entre les deux pays. La dernière campagne électorale du BJP s’était d’ailleurs appuyée sur des incidents plus sérieux que d’habitude qui ont eu lieu en mars dernier entre les aviations indienne et pakistanaise. Imran Khan, le Premier ministre pakistanais, a rendu visite à Donald Trump il y a deux semaines, et il va essayer de s’appuyer sur le président américain. La question sera de savoir si cette décision très politique va redonner vie au mouvement insurrectionnel cachemiri alors même que le gouvernement pakistanais annonce qu’il souhaite saisir le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour internationale de justice.

La position permanente de New Delhi, quel que soit le gouvernement au pouvoir, est de considérer que la question du Cachemire est une question purement bilatérale. Il a déjà accepté, dans certaines circonstances, des médiations mais pas sur le principe même d’une négociation relevant de l’avenir du Cachemire qui est un territoire disputé comme le disent les Pakistanais, alors que pour New Delhi il s’agit d’un territoire en partie occupé par les forces pakistanaises.

Les pays du Golfe ou les États-Unis peuvent-ils réagir et faire en sorte que l’Inde revienne sur sa décision ?

Non, je pense que la position de l’Inde ne changera pas car d’un certain point de vue, il y a un accord transpartisan. De toute façon, il est clair que le gouvernement indien a étudié les circonstances et a décidé qu’il était prêt à prendre le risque de cette décision historique, en considérant qu’il avait les moyens de maintenir l’ordre à quel prix que ce soit dans la région du Cachemire. Mais évidemment, les erreurs politiques sont toujours possibles.

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