Noam Chomsky, Internationale progressiste, 21 septembre 2020
Si l’on regarde les crises majeures auxquelles nous sommes confronté·e·s en ce moment historique, toutes sont internationales, et deux internationales se forment pour les affronter. L’une d’entre elles s’ouvre aujourd’hui : l’Internationale Progressiste. L’autre prend forme sous la direction de la Maison Blanche de Trump, une internationale réactionnaire comprenant les États les plus réactionnaires du monde.
Nous nous réunissons à un moment remarquable, un moment qui est en fait unique dans l’histoire de l’humanité, un moment à la fois sinistre et porteur d’espoir pour un avenir meilleur. L’Internationale Progressiste a un rôle crucial à jouer pour déterminer le cours que suivra l’histoire.
Nous nous rencontrons à un moment où des crises d’une extraordinaire gravité se rejoignent, où le sort de l’expérience humaine est littéralement en jeu. Les deux grandes puissances impériales de l’ère moderne vont se trouver confrontées à des problèmes de plus en plus graves dans les prochaines semaines.
La Grande-Bretagne en déclin, ayant déclaré publiquement qu’elle rejette le droit international, est sur le point de rompre brutalement avec l’Europe et de devenir encore davantage un satellite américain. Mais évidemment, ce qui est le plus important pour l’avenir, c’est ce qui se passe au sein de l’hégémonie mondiale, diminuée par Trump et sa boule de démolition, mais toujours dotée d’une puissance écrasante et d’avantages incomparables. Son sort, et avec elle celui du monde, pourrait bien être déterminé en novembre.
Il n’est pas surprenant que le reste du monde soit inquiet, voire consterné. Il serait difficile de trouver un commentateur plus sobre et plus respecté que Martin Wolf du Financial Times de Londres. Il écrit que l’Occident est confronté à une grave crise, et que si Trump est réélu, « ce sera la fin de l’histoire ». Des mots forts, et il ne fait même pas référence aux crises majeures auxquelles l’humanité est confrontée.
Wolf fait référence à l’ordre mondial, une question critique, bien qu’elle ne soit pas de l’ampleur des crises qui menacent de conséquences bien plus graves, les crises qui poussent les aiguilles de la célèbre horloge de la fin du monde vers minuit, vers la fin.
La notion de « fin du monde » de Wolf n’est pas nouvelle dans le discours public. Nous vivons sous sa menace depuis 75 ans, depuis que nous avons appris, un jour inoubliable du mois d’août, que l’intelligence humaine avait mis au point les moyens qui allaient bientôt permettre la destruction finale. C’était déjà assez bouleversant, mais il y avait davantage. On ne comprenait alors pas que l’humanité entrait dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, au cours de laquelle les activités humaines dépouillent l’environnement au point de s’approcher également de la destruction finale.
Pour la première fois, peu après l’utilisation des bombes atomiques dans un paroxysme de massacres inutiles, les aiguilles de l’horloge de la fin du monde ont été réglées. Depuis, celles-ci ont oscillé au gré de l’évolution de la situation mondiale. Chaque année depuis que Trump est en fonction, les aiguilles se sont rapprochées de minuit. Il y a deux ans, elles n’en avaient jamais été aussi proches. En janvier dernier, les analystes ont abandonné les minutes pour se tourner vers les secondes : à 100 secondes de minuit. Iels ont cité les mêmes crises qu’auparavant : les menaces croissantes de guerre nucléaire et de catastrophe environnementale, et la détérioration de la démocratie.
À première vue, la dernière peut sembler hors de propos mais ce n’est pas le cas. Le déclin de la démocratie est un élément pertinent de ce sinistre trio. Le seul espoir permettant d’échapper aux deux menaces de fin est une démocratie vivante au sein de laquelle des citoyen·ne·s concerné·e·s et informé·e·s sont pleinement engagé·e·s dans la délibération, le développement des politiques et l’action directe.
C’était en janvier dernier. Depuis lors, le président Trump a amplifié les trois menaces, ce qui n’est pas une mince affaire. Il a poursuivi la démolition du régime de contrôle des armements qui offrait une certaine protection contre la menace d’une guerre nucléaire, tout en poursuivant le développement d’armes nouvelles et encore plus dangereuses, pour le plus grand plaisir de l’industrie militaire. Dans son engagement dévoué à détruire l’environnement qui soutient la vie, Trump a ouvert des nouvelles zones de forage immenses, dont la dernière grande réserve naturelle fait partie. Pendant ce temps, ses sbires démantèlent méthodiquement le système réglementaire qui atténue quelque peu l’impact destructeur de l’utilisation des combustibles fossiles et qui protège la population des produits chimiques toxiques et de la pollution, une malédiction qui est aujourd’hui doublement meurtrière dans le cadre d’une grave épidémie respiratoire.
Trump a également poursuivi sa campagne visant à saper la démocratie. En vertu de la loi, les nominations présidentielles sont soumises à la confirmation du Sénat. Trump évite ce désagrément en laissant les postes vacants et en remplissant les bureaux de « nominations temporaires » qui répondent à sa volonté. Si elles ne le font pas avec suffisamment de loyauté au seigneur, elles sont licenciées. Il a purgé l’exécutif de toute voix indépendante. Il ne reste plus que des flagorneur·euse·s. Le Congrès a depuis longtemps créé des inspecteur·rice·s généra·les·ux pour contrôler les performances de l’exécutif. Iels ont commencé à se pencher sur le marécage de corruption que Trump a créé à Washington. Il s’en est occupé rapidement en les renvoyant. Le Sénat républicain n’a pas bronché, il est resté résolument dans la poche de Trump, avec le peu d’intégrité qui lui reste, terrifié par la base populaire que Trump a mobilisée.
Cet assaut contre la démocratie n’est que le début. La dernière mesure prise par Trump est de prévenir qu’il ne quittera peut-être pas ses fonctions s’il n’est pas satisfait du résultat des élections de novembre. La menace est prise très au sérieux dans les hautes sphères. Pour ne citer que quelques exemples, deux hauts commandants militaires à la retraite très respectés ont publié une lettre ouverte au général Milley, le président de l’état-major interarmées. Ils passent en revue sa responsabilité constitutionnelle d’envoyer l’armée afin de démettre par la force un « président sans foi ni loi » qui refuse de quitter ses fonctions après une défaite électorale, en convoquant pour sa défense le genre d’unités paramilitaires qu’il a dépêchées à Portland, dans l’Oregon, pour terroriser la population face à la forte opposition des élu·e·s.
De nombreuses personnalités de l’establishment considèrent l’avertissement comme réaliste, parmi lesquelles le projet de haut rang « Transition Integrity Project » (« Projet intégrité de la transition »), qui vient de publier les résultats des « jeux de guerre » qu’il a menés sur les résultats possibles des élections de novembre. Les membres du projet sont « parmi les républicain·e·s, des démocrates, des fonctionnaires, des expert·e·s des médias, des enquêteur·rice·s et des stratèges les plus accompli·e·s de la région », explique le co-directeur du projet, qui compte parmi ses membres des personnalités éminentes des deux partis. Parmi tous les scénarios plausibles, hormis une victoire nette de Trump, les jeux ont abouti à quelque chose qui s’apparente à une guerre civile, Trump ayant choisi de mettre fin à « l’expérience américaine ».
Encore une fois, des mots forts, jamais entendus auparavant de la part des voix sobres du courant dominant. Le simple fait que de telles pensées surgissent est déjà de mauvais augure. Elles ne sont pas isolées. Et étant donné la puissance incomparable des États-Unis, bien plus que « l’expérience américaine » est en danger.
Rien de tel ne s’est produit dans l’histoire souvent troublée de la démocratie parlementaire. Si l’on s’en tient aux dernières années, Richard Nixon, qui n’est pas la personne la plus charmante de l’histoire présidentielle, avait de bonnes raisons de croire qu’il avait perdu les élections de 1960 uniquement à cause de la manipulation criminelle des agent·e·s démocrates. Il n’a pas contesté les résultats, faisant passer le bien-être du pays avant ses ambitions personnelles. Albert Gore a fait de même en 2000. Pas aujourd’hui.
Forger de nouvelles voies au mépris du bien-être du pays ne suffit pas pour le mégalomane qui domine le monde. Trump a également annoncé une fois de plus qu’il pourrait ignorer la Constitution et « négocier » un troisième mandat s’il décide qu’il y a droit.
Certain·e·s choisissent de rire de tout cela comme de l’espièglerie d’un bouffon. À leurs risques et périls, comme le montre l’histoire.
La survie de la liberté n’est pas garantie par des « barrières de parchemin », a averti James Madison. Les mots sur le papier ne suffisent pas. La survie de la liberté est fondée sur les pré-requis de bonne foi et de décence commune. Elle a été réduite en lambeaux par Trump et son co-conspirateur, le leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, qui a transformé « le plus grand organe de délibération du monde », comme il se qualifie lui-même, en une plaisanterie pathétique. Le Sénat de McConnell refuse même d’examiner les propositions législatives. Il se préoccupe des largesses pour les riches et de la main mise sur le système judiciaire, de haut en bas, avec de jeunes avocat·e·s d’extrême droite qui doivent maintenir le programme réactionnaire Trump-McConnell pendant une génération, peu importe ce que le public veut, peu importe ce dont le monde a besoin pour survivre.
Même selon les critères néolibéraux d’exaltation de la cupidité, le service abject rendu aux riches par le parti républicain Trump-McConnell est tout à fait remarquable. Une illustration en est donnée par les grands spécialistes de la politique fiscale, les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman. Ils montrent qu’en 2018, à la suite de l’escroquerie fiscale qui a été le seul succès législatif de McConnell, « pour la première fois au cours des cent dernières années, les milliardaires ont payé moins [d’impôts] que les sidérurgistes, les enseignant·e·s et les retraité·e·s », effaçant ainsi « un siècle d’histoire fiscale ». « En 2018, pour la première fois dans l’histoire moderne des États-Unis, le capital a été moins taxé que le travail », une victoire vraiment impressionnante de la guerre des classes, appelée « liberté » dans la doctrine hégémonique.
En janvier dernier, avant que l’on ne comprenne l’ampleur de la pandémie, l’horloge de la fin du monde a été réglée. L’humanité se remettra tôt ou tard de la pandémie, à un prix terriblement élevé. C’est un coût inutile. Nous le constatons clairement en observant l’expérience des pays qui ont pris des mesures décisives lorsque la Chine a fourni au monde, le 10 janvier dernier, les informations pertinentes sur le virus. Les principaux d’entre eux étaient l’Asie de l’Est et du Sud-Est et l’Océanie, d’autres étant à la traîne et à l’origine de véritables catastrophes, notamment les États-Unis, suivis par le Brésil de Bolsonaro et l’Inde de Modi.
Malgré la malfaisance ou l’indifférence de certain·e·s dirigeant·e·s politiques, nous finirons par nous remettre à peu près de la pandémie. Cependant, nous ne nous remettrons pas de la fonte des calottes polaires, ni de la multiplication des feux arctiques qui libèrent d’énormes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ni des autres étapes de notre marche vers la catastrophe.
Lorsque les plus éminent·e·s climatologues nous enjoignent à « paniquer maintenant », iels ne sont pas alarmistes. Il n’y a pas de temps à perdre. Peu en font assez, et pire encore, le monde est maudit par des dirigeant·e·s qui non seulement refusent de prendre des mesures suffisantes, mais accélèrent délibérément la course au désastre. La machiavélisme de la Maison Blanche est de loin en tête de cette monstrueuse criminalité.
Il ne s’agit pas seulement des gouvernements. Il en va de même pour les industries des combustibles fossiles, les grandes banques qui les financent, et d’autres industries qui profitent d’actions qui mettent la « survie de l’humanité » en grand danger, selon les termes d’une fuite d’un mémo interne de la plus grande banque américaine.
L’humanité ne survivra pas longtemps à cette malignité institutionnelle. Les moyens de gérer la crise sont disponibles. Mais pas pour longtemps. L’une des principales tâches de l’Internationale Progressiste est de faire en sorte que nous paniquions tous dès maintenant et d’agir en conséquence.
Les crises auxquelles nous sommes confronté·e·s en ce moment unique de l’histoire de l’humanité sont bien sûr internationales. La catastrophe environnementale, la guerre nucléaire et la pandémie n’ont pas de frontières. Et de manière moins transparente, il en va de même pour le troisième des démons qui traquent la Terre et poussent la seconde aiguille de l’horloge de la fin du monde vers minuit : la détérioration de la démocratie. Le caractère international de ce fléau devient évident lorsque l’on examine ses origines.
Les circonstances varient, mais il existe des racines communes. Une grande partie de la malignité remonte à l’assaut néolibéral contre la population mondiale lancé en force il y a 40 ans.
Le caractère fondamental de l’attaque a été inscrit dans les déclarations liminaires de ses figures de proue. Dans son discours inaugural, Ronald Reagan a déclaré que le gouvernement est le problème, et non la solution. Cela signifie que les décisions devaient être retirées aux gouvernements, qui sont au moins partiellement sous contrôle public, pour être confiées au pouvoir privé, qui n’a aucun compte à rendre au public, et dont la seule responsabilité est l’auto-enrichissement, comme l’a proclamé l’économiste en chef Milton Friedman. L’autre était Margaret Thatcher, qui nous a enseigné qu’il n’y a pas de société, mais seulement un marché dans lequel les populations sont mises à contribution pour survivre du mieux qu’elles peuvent, sans organisations qui leur permettent de se défendre contre ses ravages.
Sans aucun doute, Thatcher paraphrasait Marx, qui condamnait les dirigeant·e·s autocratiques de son époque pour avoir transformé la population en « sacs de pommes de terre », sans défense contre la concentration du pouvoir.
Avec une admirable constance, les administrations Reagan et Thatcher ont immédiatement entrepris de détruire le mouvement ouvrier, principal obstacle à la dure domination de classe par les maîtres de l’économie. Ce faisant, dès ses débuts dans la Vienne de l’entre-deux-guerres, elles adoptaient les principes directeurs du néolibéralisme où le fondateur et patron du mouvement, Ludwig von Mises, pouvait à peine contrôler sa joie lorsque le gouvernement proto-fasciste détruisit violemment la vibrante social-démocratie autrichienne et les méprisables syndicats qui faisaient obstacle à une économie saine en défendant les droits des travailleur·euse·s. Comme l’expliquait von Mises dans son ouvrage classique néolibéral de 1927 Liberalism (« Libéralisme »), cinq ans après que Mussolini a instauré son régime brutal, « on ne peut pas nier que le fascisme et les mouvements similaires visant à établir des dictatures sont pleins de bonnes intentions et que leur intervention a pour l’instant sauvé la civilisation européenne. Le mérite que le fascisme a ainsi engrangé pour lui-même vivra éternellement à travers l’histoire, quand bien même cela ne sera que temporaire », nous a-t-il assuré. Les Chemises noires rentreront chez elles après avoir fait un bon travail.
Les mêmes principes ont inspiré un soutien néolibéral enthousiaste à l’horrible dictature de Pinochet. Quelques années plus tard, ils ont été mis en œuvre sous une forme différente dans l’arène mondiale, sous la direction des États-Unis et du Royaume-Uni.
Les conséquences étaient prévisibles. L’une d’entre elles était une forte concentration de la richesse et la stagnation d’une grande partie de la population, se traduisant par un affaiblissement de la démocratie dans le domaine politique. L’impact aux États-Unis fait ressortir très clairement ce à quoi on peut s’attendre lorsque le pouvoir des entreprises est pratiquement incontesté. Après 40 ans, 0,1 pour cent de la population possède 20 pour cent des richesses, soit le double de ce qu’elle possédait lorsque Reagan a été élu. La rémunération des PDG a grimpé en flèche, entraînant avec elle la richesse des directions générales. Les salaires réels des travailleurs non cadres ont diminué. Une majorité de la population survit de salaire en salaire, sans quasiment aucune épargne. La taille des institutions financières, largement prédatrices, a explosé. Il y a eu des krachs répétés, de plus en plus graves, dont les auteur·rice·s ont été renfloué·e·s par la·le gentil·le contribuable, alors que ce n’est qu’une la partie des subventions de l’État qu’iels reçoivent. Les « marchés libres » ont conduit à la monopolisation, avec une réduction de la concurrence et de l’innovation, car les fort·e·s ont avalé les faibles. La mondialisation néolibérale a désindustrialisé le pays dans le cadre des accords sur les droits des investisseur·euse·s, faussement appelés « pactes de libre-échange ». En adoptant la doctrine néolibérale selon laquelle « la fiscalité est un vol », Reagan a ouvert la porte aux paradis fiscaux et aux sociétés écrans, auparavant interdites et empêchées par un contrôle efficace. Cela a immédiatement conduit à une gigantesque industrie de l’évasion fiscale afin d’accélérer le vol massif de la population en général par les très riches et le secteur des entreprises. Ce n’est pas un petit changement. Son ampleur est estimée à des dizaines de billions de dollars.
Et cela continue ainsi alors que la doctrine néolibérale s’installe.
Alors que l’assaut commençait à peine à prendre forme, en 1978, le président des United Auto Workers (« Travailleur·euse·s Uni·e·s de l’Automobile »), Doug Fraser, a démissionné d’un comité patronal-syndical mis en place par l’administration Carter, exprimant son choc de voir que les chef·fe·s d’entreprise avaient « choisi de mener une guerre de classe unilatérale dans ce pays, une guerre contre les travailleur·euse·s, les chômeur·euse·s, les pauvres, les minorités, les très jeunes et les très vie·illes·ux, et même une grande partie de la classe moyenne de notre société », et avaient « déchiré et jeté le fragile pacte non écrit qui existait auparavant pendant une période de croissance et de progrès », pendant la période de collaboration des classes sous le capitalisme régimenté.
Sa reconnaissance de la façon dont le monde fonctionne a été quelque peu tardive, trop tardive en réalité pour repousser la guerre de classe cinglante lancée par les chef·fe·s d’entreprise qui ont rapidement eu les coudées franches des gouvernements dociles. Les conséquences sur une grande partie du monde ne sont guère surprenantes : colère généralisée, ressentiment, mépris des institutions politiques alors que les principales institutions économiques sont dissimulées par une propagande efficace. Tout cela fournit un terrain fertile aux démagogues qui peuvent prétendre être votre sauveur·se tout en vous poignardant dans le dos, tout en détournant la responsabilité de vos conditions de vie vers des boucs émissaires : les immigrant·e·s, les Noir·e·s, la Chine, quiconque correspond à des préjugés de longue date.
Si l’on regarde les crises majeures auxquelles nous sommes confronté·e·s en ce moment historique, toutes sont internationales, et deux internationales se forment pour les affronter. L’une d’entre elles s’ouvre aujourd’hui : l’Internationale Progressiste. L’autre prend forme sous la direction de la Maison Blanche de Trump, une internationale réactionnaire comprenant les États les plus réactionnaires du monde.
Dans l’hémisphère occidental, l’internationale comprend le Brésil de Bolsonaro et quelques autres. Au Moyen-Orient, les acteurs principaux sont les dictatures familiales du Golfe, la dictature égyptienne d’al-Sisi, peut-être la plus dure de l’histoire douloureuse de l’Égypte, et Israël, qui a depuis longtemps abandonné ses origines sociales-démocrates et s’est déplacé vers l’extrême droite, effet prévisible de l’occupation prolongée et brutale. Les accords actuels entre Israël et les dictatures arabes, qui formalisent des relations tacites de longue date, constituent un pas important vers la consolidation de la base du Moyen-Orient de l’internationale réactionnaire. Les Palestinien·ne·s encaissent les coups, le sort de celleux qui manquent de pouvoir et ne rampent pas correctement aux pieds des maîtres·ses naturel·le·s.
À l’Est, un candidat naturel est l’Inde, où le Premier ministre Modi détruit la démocratie laïque de l’Inde et transforme le pays en un État nationaliste hindouiste raciste, tout en écrasant le Cachemire. Le contingent européen inclut la « démocratie illibérale » d’Orban en Hongrie et des éléments du même acabit ailleurs. L’internationale bénéficie également d’un puissant soutien au sein des institutions économiques mondiales dominantes.
Les deux internationales comprennent une bonne partie du monde, l’une au niveau des États, l’autre au niveau des mouvements populaires. Chacune est un représentant éminent de forces sociales beaucoup plus larges, qui ont des images très contrastées du monde qui devrait émerger de la pandémie actuelle. Une de ces forces travaille sans relâche à la construction d’une version plus dure du système mondial néolibéral dont elles ont largement bénéficié, avec une surveillance et un contrôle plus intensifs. L’autre espère un monde de justice et de paix, avec des énergies et des ressources orientées vers la satisfaction des besoins humains plutôt que vers les demandes d’une minuscule minorité. Il s’agit d’une sorte de lutte des classes à l’échelle mondiale, avec de nombreuses facettes et interactions complexes.
Il n’est pas exagéré de dire que le sort de l’expérience humaine dépend de l’issue de cette lutte.