Internationalisme : quelques repères

Une nouvelle période s’amorce. Les mouvements sociaux sont confrontés à une contre révolution conservatrice. Ils amorcent un nouveau monde à travers les grandes transformations en cours : la révolution des droits des femmes, la révolution écologique, le numérique qui touche au langage et à l’écriture, la deuxième phase de la décolonisation, la révolution démographique et notamment les migrations et la scolarisation massive. Les mouvements sociaux préconisent une alternative, celle de la transition sociale, écologique et démocratique.

La réinvention de l’internationalisme nécessite de prendre en compte de nombreuses questions, parfois soulevées dès le début, qui rencontrent de nouvelles ruptures et ouvrent de nouveaux horizons. Le débat a été vif sur les rapports entre les notions de Peuple, de Nation, d’Etat. Dès la première Internationale, la question de l’Irlande amène à discuter du rapport entre lutte nationale et lutte des classes. Il est au centre des débats stratégiques pendant toute la décolonisation. À Bandoeng en 1955, Chou en Lai le résume en déclarant : les Etats veulent leur indépendance, les Nations veulent leur libération, les Peuples veulent la révolution. La notion de peuple combine le social et le national. Les indépendances des Etats ont montré leurs limites ; une deuxième phase de la décolonisation commence, celle de la libération des peuples.

L’internationalisme s’oppose à la prétention du nationalisme de subordonner toutes les formes d’identité à l’identité nationale. Il lui a opposé, au départ, l’importance et même la primauté des classes sociales. L’intérêt national brandi par les Etats cherche surtout à effacer les conflits de classe au profit des intérêts des classes dominantes, bourgeoisies nationales ou internationales. L’internationalisme remet en avant l’importance des luttes de classes et de leur dimension internationale.

Il lui a aussi fallu admettre que les questions posées par les collectivités, les communautés, les sentiments d’appartenance ont leur importance et ne se résument pas à la structuration des classes sociales même si celles-ci peuvent être déterminantes. Les changements sociaux considérables modifient la nature des classes sociales et de leurs rapports. L’intersectionnalité met en avant la relation entre les différenciations sociales, le sexisme et le racisme. Les formes d’engagement mettent en évidence de nouveaux rapports entre l’individu et le collectif. Au niveau des individus, la perception de l’identité est complexe ; elle ne se résume pas à l’identité nationale. Il faut prendre en compte et accepter la richesse des identités multiples, comme l’ont souligné Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Dans l’histoire de l’internationalisme, le débat a été fréquent sur la différence entre nationalisme et patriotisme, comme l’a illustré Jaurès. Dans le Manifeste, quand on lit le prolétariat n’a pas de patrie, on peut comprendre que le prolétariat en a été privé. Il me revient une citation dont je n’arrive pas à trouver la source, La bourgeoisie est cosmopolite et nationaliste, la classe ouvrière est internationaliste et patriote.

Penser global et agir local, complémentaire de penser local et agir global. L’écologie a souligné le changement de perception des échelles du temps et de l’espace et l’importance des territoires. La première internationale est indissociable de la Commune de Paris en 1871, mais aussi du municipalisme révolutionnaire de Petrograd en 1917, Hambourg en 1923, Barcelone en 1937. Les résistances à la mondialisation capitaliste se réfèrent aux espaces nationaux et accentuent la contradiction des Etats, à la fois subordonnés au capitalisme financier et moyen de s’y opposer. La mondialisation se réorganise en fonction des grandes régions géoculturelles. Les frontières ne délimitent pas seulement les Etats. La notion même de frontière doit être interrogée ; elle gagne à se distancier du nationalisme. Les frontières séparent mais elles sont aussi des lieux d’échange. Comme la rue dans un quartier est à la fois le lieu de la rupture et le lieu de la rencontre. Le choix est politique : murer les frontières pour les rendre imperméables ou abattre ces murs pour construire des ponts.

L’internationalisme se prolonge dans la solidarité internationale. Le droit international peut ambitionner de réinventer la souveraineté à partir des droits des peuples. La solidarité internationale remet en avant la notion du peuple, défini à partir de l’histoire de ses luttes, dans l’ensemble complexe formé par les classes, les peuples, les nations et les Etats. La solidarité internationale combine plusieurs approches : solidarité entre les peuples opprimés par rapport à une situation imposée par les puissances dominantes, solidarité entre tous les peuples par rapport à un projet de dépassement du système dominant, solidarité dans les luttes et dans l’invention d’un nouvel internationalisme à l’ère de mondialisation.

Article précédentBrésil : un pays sous la menace
Article suivantTrudeau et le libre-échange : business as usual
Gustave Massiah
Gustave Massiah est un militant et intellectuel français, figure de proue de l'atlermondialisme, fervent défenseur de l'écologie et de la justice sociale. Sur le plan des droits humain, il intervient surtout dans les domaines de la solidarité internationale. Il a participé à la création du CEDETIM, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, de IPAM, Initiatives pour un autre monde, et du CICP, Centre international des cultures populaires qui est une maison d’associations qui regroupe 85 associations de solidarité internationale. Il a soutenu, dès les années 1950, les luttes de libération au Vietnam, en Algérie, en Afrique du Sud, dans les colonies portugaises. Il a été secrétaire général des comités Chili. président du Centre de recherche et d'information sur le développement (CRID) de 2002 à 2009 et vice-président d’Attac de 2001 à 2006. Membre du Conseil international du Forum Social Mondial depuis 2000, secrétaire général de la Ligue Internationale pour les droits et la Libération des Peuples, membre du Tribunal Permanent des Peuples ; rapporteur à la session sur la dette à Berlin en 1988, membre du jury au Mexique sur les assassinats de journalistes, en 2012 ; membre du jury du Tribunal Russell sur la Palestine de 2010 à 2013, à Barcelone, Londres, Le Cap, New York et Bruxelles.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît, entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici