Iran : la lutte des femmes

Maysam Bizaer, Midle East Eye, 30 septembre 2021

Ansieh Khazali, seule femme membre du cabinet de Raïssi et ex-doyenne de la première université publique iranienne réservée aux femmes, a déjà fait des remarques controversées en faveur du mariage précoce des filles et manifesté son objection aux Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030 de l’UNESCO.

Azam Haji Abbasi, secrétaire générale du parti conservateur entièrement féminin, Zeynab Society, a réagi à la nomination de Khazali sur Twitter, la qualifiant de « blague de mauvais goût concernant les droits des femmes ».

Marziyeh Mohebbi, avocate et militante des droits des femmes à Machhad, confie à Middle East Eye qu’elle ne s’attend pas à ce que le gouvernement de Raïssi et sa vice-présidente de la condition féminine « aient un projet pour l’égalité des sexes ou l’augmentation de la participation des femmes ».

Pour Marziyeh Mohebbi, la nomination de Khazali « n’est en aucun cas le signal d’une détermination à aborder la question des femmes ».

La journaliste iranienne Parisa Salehi s’est souvenue quant à elle de son expérience en tant qu’étudiante lorsqu’Ansieh Khazali était doyenne de l’université al-Zahra.

« Seul l’intérieur des salles de classe donnait l’impression d’être à l’université. À l’extérieur, cela ne ressemblait en rien à une université, mais plutôt à une grande base de [la milice] Basij, qui ne comptait que 10 % des étudiants », écrit-elle sur Twitter en évoquant cette force paramilitaire iranienne fondée par l’ayatollah Khomeini en novembre 1979 afin de fournir des jeunes volontaires populaires aux troupes d’élite dans la guerre Iran-Irak.

Discriminations

Si une grande majorité des réactions sont négatives, certaines personnes ont salué le choix de Raïssi pour la seule femme nommée membre du cabinet.

Dans un court message envoyé à MEE, Minoo Aslani, cheffe du service des femmes et de la famille au sein de l’État-major général des forces armées iraniennes, applaudit la nomination d’Ansieh Khazali et la décrit comme « une personne capable qui adhère aux principes et aux valeurs de la révolution et ayant la capacité de renforcer la participation publique des femmes dans différents domaines ».

À la suite de la Révolution islamique de 1979 et du changement de Constitution, diverses restrictions ont été imposées aux femmes en vertu de la loi islamique.

Beaucoup sont toujours en place quarante ans plus tard, notamment le hijab obligatoire et l’interdiction pour les chanteuses de se produire devant un public masculin ou mixte.

D’autres lois défavorables aux femmes telles que des droits inégaux de garde des enfants, l’impossibilité de demander le divorce sauf accord contraire au moment du mariage et les lois discriminatoires sur l’héritage sont des vestiges du règne du shah Mohammad Reza Pahlavi.

Mais la discrimination à l’égard des Iraniennes ne s’arrête pas là : d’autres restrictions sont appliquées par les autorités religieuses pour des activités jugées « non islamiques » ou « contraires aux valeurs des femmes » : se présenter à la présidence ou conduire une moto ne sont que deux exemples des domaines où les femmes sont discriminées malgré l’absence d’interdiction légale.

Malgré toutes ces restrictions, la République islamique encourage néanmoins l’éducation des femmes. Pendant des années, les étudiantes ont été plus nombreuses que les hommes dans les universités, au point que les autorités ont parfois imposé des restrictions ou des quotas concernant l’admission d’étudiantes dans certaines spécialités.

Avec une population de 84,5 millions d’habitants, selon les chiffres publiés par le Centre de statistiques d’Iran, dont 49 % de femmes, le fait d’avoir une population féminine très éduquée et qualifiée a transformé en profondeur les attentes des femmes en Iran, ce qui a bien souvent bouleversé les rôles traditionnels des femmes dans la société.

La lutte des Iraniennes pour leurs droits est dangereuse car l’État considère généralement l’activisme comme une menace pour la sécurité nationale et il n’y a donc aucune tolérance à l’égard des grandes activités à cet égard.

Par exemple, en décembre dernier, l’avocate Hoda Amid et la sociologue Najmeh Vahedi ont été condamnées à un total de 15 ans de prison pour « coopération avec le gouvernement hostile de l’Amérique contre la République islamique » sur des questions liées aux femmes et aux familles.

Des progrès lents, mais continus

Si la lutte des Iraniennes n’a pas cessé même aux premiers jours de la révolution, elle a marqué le pas pendant la guerre dévastatrice que le défunt président irakien Saddam Hussein a menée contre l’Iran (1980-1988), et les années suivantes de reconstruction.

Cependant, les libertés sociales et les droits des femmes en Iran ont connu une certaine transformation sous la présidence du réformiste Mohammad Khatami (1997-2005), avant de reculer un peu sous son successeur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013).

Malgré les revers, une étape historique a été atteinte pour les Iraniennes lorsque Ahmadinejad a nommé Marzieh VahidDastjerdi ministre de la Santé, contre toute attente et malgré les objections des autorités religieuses, faisant d’elle la première et unique femme à avoir été ministre sous la République islamique.

En 2013, la victoire écrasante d’Hassan Rohani, qui avait mené une campagne présidentielle avec la promesse d’apporter l’égalité pour les femmes, l’espoir a été renouvelé pour les militants des droits de l’homme.

Bien que ces changements n’aient pas été aussi radicaux qu’attendus par certains, Rohani a fait quelques progrès dans l’expansion lente des libertés sociales et des possibilités d’emploi pour les femmes. Son administration est devenue la première de la République islamique à nommer des femmes à des postes de haut niveau tels qu’ambassadrice, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, gouverneure, entre autres.

De plus, l’Iran a approuvé en octobre 2019 un projet de loi attendu depuis dix ans accordant aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants nés de mariages avec des étrangers.

Malgré les progrès réalisés par les Iraniennes au cours des quatre dernières décennies, le classement international du pays en matière d’égalité des sexes reste parmi les plus bas.

Selon le Global Gender Gap Report 2021 du Forum économique mondial, l’Iran se classe 150e sur 156, ce qui en fait l’un des pays présentant les écarts économiques entre les sexes les plus importants avec l’Inde, le Pakistan, la Syrie, le Yémen, l’Irak et l’Afghanistan.

L’avenir des droits des femmes

« Khazali et Raïssi pensent d’abord et avant tout aux “épouses et mères” et proposeront probablement des politiques similaires à celles que nous avons vues pendant la présidence d’Ahmadinejad : le hijab obligatoire sera appliqué plus strictement et les femmes seront plus intensément contrôlées dans les espaces publics », redoute Sussan Tahmasebi, directrice de Femena, une organisation qui œuvre pour la promotion des droits des femmes au Moyen-Orient et en Asie occidentale.

Fatemeh Hasani, sociologue et militante de la condition féminine à Téhéran, abonde dans ce sens.

« Nous craignons, comme à l’époque d’Ahmadinejad, non seulement de ne pas faire de progrès, mais aussi d’essuyer de sérieux revers », indique-t-elle à MEE.

​Entre violences et revendications : quelle place pour les femmes en Iran ?

 

En ce qui concerne les perspectives des droits des femmes dans les années à venir, Sussan Tahmasebi ajoute que « les femmes seront encouragées par des mesures incitatives et dissuasives à choisir le mariage et la maternité plutôt qu’une carrière et le célibat ».

Cependant, poursuit-elle, en raison des graves difficultés économiques du pays, « ces politiques seront difficiles à vendre aux femmes et financièrement difficiles à mettre en œuvre pour le gouvernement ».

Alors que le taux de chômage des femmes dans le pays s’élève à 27,8 %, environ 71 % de toutes les femmes diplômées restent sans emploi. Selon Hasani, les femmes constituent près de la moitié de la population du pays et le gouvernement ne peut pas facilement ignorer leurs demandes et leurs besoins sans conséquences importantes.

La recherche de l’égalité dans l’économie et sur le marché du travail pourrait être une demande majeure pour les nombreuses années à venir, mais il y en a beaucoup d’autres, en particulier chez la jeune génération, qui aspire à plus de libertés sociales en plus du droit de travailler.

« Il existe des écarts fondamentaux entre les demandes réelles des femmes et ce qui est fait par les décideurs socioculturels », explique Fatemeh Hasani, ajoutant que ces écarts « pourraient avoir des conséquences majeures pour la société s’ils ne sont pas correctement traités ».