Israël : Identité religieuse et « ethnocratie »

Didier Epsztajn, 6 septembre 2018

À propos de l’ouvrage d’Ofra Yeshua-Lyth : « La seule solution au Proche-Orient est un État démocratique et laïc »

https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/ofra-yeshua-lyth-la-seule-solution-au-proche-orient-est-un-etat-democratique-et-laic

 

 

Dans sa préface publiée avec l’aimable autorisation de l’éditeur, Ilan Pappé parle de l’évolution de l’État d’Israël vers « un état ethnique, raciste », de « définition très étroite du sionisme », d’« ethnocratie », d’une certaine interprétation du judaïsme, du manque de « respect pour les droits civils et humains », du « mouvement colonial de peuplement sioniste »…

Il rappelle que : « La grande majorité des Juifs au sein de l’État d’Israël est encore laïque, cependant leur vie reste placée sous l’emprise de la religion, du berceau jusqu’à la mort. Le contrôle de l’establishment religieux renforce l’orientation raciste de l’État comme nous avertissait déjà dans les années cinquante le défenseur infatigable des droits humains, Israël Shahak ».

Le préfacier souligne pourquoi « l’idée de la partition a perdu son attrait pour les dirigeants du projet sioniste ». Il indique à propos de l’autrice du livre : « Ofra Yeshua-Lyth propose dans son livre une vision différente : un État laïc et démocratique pour tous ceux qui vivent entre la rivière du Jourdain et la Méditerranée. Son livre se révèle extrêmement original, non seulement à cause des accents émouvants et du ton très personnel dans lequel il est écrit, mais aussi parce que les deux thèmes du livre sont mêlés et démêlés ».

En effet, les dimensions personnelles sont non seulement émouvantes, mais donnent à voir des évolutions dans la perception des choses, des réflexions puisant dans la confrontation avec des histoires intimes, des réalités peu discutées comme l’emprise de l’establishment religieux. La tendresse des regards sur des personnes et des paysages rendent d’autant plus explicite l‘instrumentalisation de la religion en promotion d’une politique « ethniciste » et raciste…

Des lieux et zones définies par une puissance occupante, l’histoire du Levant comme espace de rencontres, des ilots et des barbelés… Ofra Yeshua-Lyth interroge : « Qui sommes-nous ? », « Que faisons-nous ici ? ».

Des histoires de famille, Odessa, Shmouel et Chaya, le yiddish, Savta Miriam, Saba David Yeshua, le Yemen, les shvartse, le Maghreb, les contrées russes…

Les souvenirs d’enfance aux parfums d’agrumes et l’aujourd’hui « dur, violent, tendu et sans merci », l’histoire et les perceptions revisitées, la Nakba et les transferts de populations palestiniennes, la religion comme élément fédérateur dans les formules d’« autodétermination juive », le refus d’une nationalité israélienne, un Etat qui n’est pas celui de ses citoyen·nes, des chaînes transformées en menottes, une communauté « aspirant à une séparation totale sur la base de la religion », les constellations racistes, la domination des ashkénazes,…

Je souligne les pages sur le « business plan de Théodore Herzl », le fondamentalisme religieux, la place des communautés orthodoxes, la religion des un·es qui devrait s’imposer aux autres, l’imbroglio Synagogue-Etat, le « Talmud-ghetto », les haredim, les financements publics d’un système d’éducation haredi sans contrôle ni réglementation, la place des tribunaux rabbiniques dans le traitement des affaires familiales – « que l’on soit religieux ou laïc », l’aversion pour « la vie commune avec les non-juifs », l’industrie casher, la circoncision, et le fantasme du lien du sang, « la circoncision est la marque de la soumission absolue de chaque génération à celle d’avant », celles et ceux dont l’identité juive est « incertaine », la discrimnation sexuelle de l’orthodoxie, la transformation des mizrahim en haredim, la couleur des juifs et des juives, les révoltes des victimes du racisme interne, le contrôle de la communauté et la gratification des fidèles, les différentes migrations…

Il ne faut pas oublier les politiques de la « gauche », ces kibboutzim qui n’acceptaient pas de membres arabes, cette gauche laïque qui a construit cet Etat qui « légitime le déni des droits civiques et l’accès à la propriété des non-juifs », les expulsions, les meurtres, les vols de terre, les colonisations…

Reste aussi le combat pour les droits civils, la laïcité, la citoyenneté de résidence, le droit au retour des populations palestiniennes…

Je ne partage pas toutes les analyses de l’autrice, en particulier sur le lointain passé – et notamment sur le non-prosélytisme juif, la notion de « peuple », la place de la religion – ce qui est différent de la mobilisation de celle-ci – dans les constructions sociales. Certaines formules ou vocabulaires me semblent par ailleurs discutables.

Reste une exceptionnelle invitation à penser la construction historique de la distinction, ici entre « juif » et « non-juif », les allégeances rituelles et leurs conséquences sociales, la séparation au nom de l’« élection », la lecture fantasmatique de soi, la confusion entre politique et religion, la conception organique du « peuple »… Ce qui est d’une grande actualité en regard des décisions récentes du gouvernement israélien.

« J’ai entrepris de chercher du sens à ce puzzle social dans lequel je suis née et ce que j’ai découvert indique un processus d’émiettement qui se poursuit, dû aux fissures dans les fondations originales »

Sans oublier ces histoires d’immigration, ces souvenirs d’enfance, le saisissement mortifère du présent par les passés, les faits bruts et violents de la domination, le refus de l’égalité, les formes actuelles de racisme et de l’apartheid…

Le temps me semble aussi venu de discuter, non d’un ou deux Etats entre entre la rivière du Jourdain et la Méditerranée, mais bien d’un état multinational (sous forme fédérale ou non) – respectueux de toutes les minorités – dans l’ensemble de la région.

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