Algérie : réfléchir et agir

Une rencontre organisée à Montréal le 18 mai par le « Comité Algérie réfléchir et agir » avait pour but de mieux comprendre l’hirak, l’appellation du processus révolutionnaire en Algérie. Les points de vue de Mohamed Arabi, ex-syndicaliste algérien et membre du comité populaire de Bejala, de Soliane Chouiter, juriste et ex-militant d’Amnistie internationale en Algérie et de Mouloud Idir du Centre Justice et foi, ont alimenté cette discussion.

Chouiter a rappelé que la transition en cours est pleine d’embûches. Comme à la fin des années 1980 lorsque la population s’est révoltée (le mouvement d’octobre 1988), l’oligarchie cherche à éviter une réelle transformation. À l’époque, la machine de l’État qui était alors dominée par l’armée et les services de sécurité a réussi à dénaturer la nouvelle constitution. Aucun réel débat national n’a eu lieu et on a concocté, entre diverses factions de l’élite une libéralisation relative (acceptant le multipartisme par exemple), mais sans toucher au cœur d’un système opaque et non imputable. Quelque temps après, en 1992, les forces politiques, y compris l’opposition, ont accepté l’état d’urgence et les violations de droits qui ont été perpétrées au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Aujourd’hui encore, les responsables militaires des massacres profitent d’une impunité scandaleuse. Plusieurs d’entre eux se retrouvent dans les pourparlers en Algérie même et avec les puissances « influentes » (notamment la France et les États-Unis) dans le but de relooker l’indéfendable édifice de la corruption et de la violation des droits.

Selon Arabi, le mouvement en cours pose les vraies questions, mais les réponses tardent à venir, ce qui est peut-être normal, de par la jeunesse de l’Hirak actuel. Néanmoins estime-t-il, le temps presse. Durant les dernières années, l’Algérie s’est enfoncée dans un trou noir : « la société a été vidée de sa substance ». Les mouvements ont été anéantis. L’exode s’est accéléré. Plus de 1250 milliards de dollars tirés de la vente des hydrocarbures ont été détournés au profit de l’oligarchie. Arabi craint que le mouvement actuel ne débouche pas sur un programme concret, avec des mécanismes de médiation reconnus qui permettraient un réel transfert du pouvoir. Il faudrait selon lui que les organismes constitués, dont les syndicats et les associations citoyennes, mais aussi les partis politiques, se mettent rapidement ensemble pour éviter le détournement de sens que mettent de l’avant les oligarchies algériennes avec leurs complices occidentaux.

Pour Mouloud Idir, on a présentement en Algérie un processus révolutionnaire, mais pas encore une révolution. Le fait positif est ce surgissement de la société dans toutes ses composantes, réclamant une réelle démocratisation qui viendrait des luttes populaires, et pas seulement d’une refonte des institutions. Selon lui, le système ne changera pas si n’est pas remis en cause le « modèle » néolibéral d’expropriation et de privatisation des richesses construit sur une économie pratiquement confinée à l’extractivisme, ce qui fait de l’élite algérienne une « bourgeoisie off-shore ». Idir se dit inspiré des slogans des manifestations de rue qui affirment que l’Algérie appartient à son peuple, et à nul autre. La conflictualité actuelle touche inévitablement les questions sociales et économiques et devra se poursuive en visant la réinvention d’un « Maghreb des peuples », élaboré autour de nouvelles alliances et complémentarités dans une région ravagée par la violence et le colonialisme.

Fait à noter, la discussion n’a pas vraiment abordé ce qui peut être fait ici au Québec. D’autant plus que la crise n’est pas « simplement » algérienne, car elle s’inscrit dans un contexte plus large où les responsabilités sont partagées entre des oligarchies locales et un puissant dispositif de pouvoir impérialiste. C’est ainsi que le rôle de l’État canadien et des entreprises multinationales canadiennes qui participent au pillage du pays depuis plusieurs années n’a pas été abordé. Il faut se souvenir qu’Ottawa lors de la crise des années 1990 s’était totalement rangée derrière l’oligarchie militaire, pendant que des entreprises comme SNC-Lavalin négociaient avec celle-ci pour profiter de lucratifs contrats aux ramifications scandaleuses multiples (tel que révélé par l’émission Enquêtes de Radio-Canada, https://www.youtube.com/watch?v=e9-_H2QRt0U). Cette question sera peut-être abordée dans les prochains Forums qu’entend organiser le Comité Algérie.

 

À qui ont profité les activités de SNC-Lavalin en Algérie ?

Selon l’information dévoilée par Radio Canada, SNC-Lavalin a utilisé les services de Cadber Investments, une société offshore créée avec l’aide de Mossack Fonseca, l’intermédiaire panaméen spécialisé dans la domiciliation de sociétés dans les paradis fiscaux. Six contrats ont été obtenus par SNC-Lavalin entre 2000 et 2004 pour divers projets d’infrastructures en Algérie dont le montant total s’élève à quatre milliards de dollars sur dix ans. Quatre des six contrats portaient sur des réalisations hydrauliques commandées par le ministère algérien des Ressources en eau. Selon les Panama Papers (publiés par un consortium international de journalistes), Cadber Investments aurait reçu, au titre des contrats décrochés par SNC-Lavalin en Algérie, 22 millions de dollars en honoraires. Ceux-ci auraient été versés sur des comptes privés à la succursale de la Banque Royale du Canada à Genève, dont ceux liés à Farid Bedjaoui, un intermédiaire au cœur d’un scandale de corruption présumé à la Sonatrach (grande entreprise pétrolière algérienne)

 

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