Israël : un criminel de guerre pour un autre

Netanyahu va-t-il devoir dégager au profit d’un autre criminel de guerre ?

Jonathan Cook, Chroniques palestiniennes, 19 septembre 2019

La dernière campagne électorale en Israël a été l’occasion d’une nouvelle débauche de racisme et d’incitation à la violence contre les Palestiniens. La seule bonne surprise vient du résultat de la liste unie des partis arabes israéliens, qui devient la 3e force politique à la Knesset.

Jonathan Cook – Pour la plupart des Israéliens, les élections générales de mardi concernaient une chose et une seule.

Pas l’économie, ni l’occupation, ni même les scandales de corruption. C’était à propos de Benjamin Netanyahu. Devrait-il être à la tête d’un autre gouvernement d’extrême droite ou devait-on mettre fin à son règne vieux de dix ans ?

Avant que l’intégralité des bulletins de vote ne soient comptée, il apparaît déjà que les Israéliens ont rendu leur verdict : le temps de Netanyahu est terminé.

Lors des élections peu concluantes d’avril, qui ont conduit à cette réélection, le Likoud de Netanyahu avait réalisé un score équivalent à celui de son principal opposant, le parti Bleu et Blanc, dirigé par le général à la retraite Benny Gantz. Cette fois, Gantz semble avoir pris l’avantage, avec 32 sièges contre 31 pour Netanyahu, sur les 120 que compte la Knesset. Les deux partis ont eu moins de succès qu’en avril, moment où ils avaient chacun remporté 35 sièges.

Mais de manière beaucoup plus significative, Netanyahu semble ne pas pouvoir construire la majorité de 61 sièges dont il a besoin pour former un autre gouvernement d’extrême droite comprenant des colons et des partis religieux.

Son échec est d’autant plus criant qu’il a mené de loin la campagne la plus repoussante – et la plus culottée – de l’histoire israélienne. C’était parce que les enjeux étaient énormes.

Seul un gouvernement d’extrême droite – entièrement redevable à Netanyahu – pouvait légitimement adopter une législation lui garantissant une immunité contre une procédure judiciaire qui devrait débuter le mois prochain. Il pourrait à présent être inculpé de fraude et d’abus de confiance.

Netanyahu était si désespéré d’éviter ce sort – selon des informations parues dans les médias israéliens le jour du scrutin – qu’il était à deux doigts de déclencher une guerre contre Gaza la semaine dernière juste pour retarder les élections.

Le procureur général israélien Avichai Mendelblit, officier judiciaire en chef, est intervenu pour empêcher l’attaque lorsqu’il a découvert que le cabinet de sécurité ne l’avait approuvé que parce que Netanyahu lui avait dissimulé les principales réserves émises par le commandement de l’armée.

Netanyahu a également tenté de corrompre les électeurs les plus extrémistes en promettant la semaine dernière qu’il annexerait une grande partie de la Cisjordanie immédiatement après les élections – une manière de procéder qui violait de manière flagrante les lois électorales, selon Mendelblit.

Facebook a été contraint de fermer la page de Netanyahu à deux reprises pour incitation à la haine – dans un cas après avoir envoyé un message disant que « les Arabes veulent nous anéantir tous – femmes, enfants et hommes ». Cela semblait directement s’adresser aux 20% de la population israélienne qui sont des citoyens palestiniens.

Netanyahu a également incité àla haine contre la minorité palestinienne à d’autres occasions, notamment en suggérant constamment que ses votes constituaient une fraude et qu’ils [les arabes israéliens] essayaient de « voler les élections ».

Il a même essayé d’imposer une loi autorisant ses militants du Likoud à circuler dans les bureaux de vote arabes – comme ils l’avaient fait lors des élections d’avril – dans une tentative non dissimulée d’intimidation des électeurs.

L’idée semble s’être retournée contre lui, les citoyens palestiniens étant plus nombreux à se déplacer pour voter qu’en avril.

Le président américain Donald Trump, quant à lui, est intervenu au nom de Netanyahu en annonçant la possibilité d’un pacte de défense stipulant que les États-Unis viendraient au secours d’Israël en cas de confrontation régionale.

Rien de tout ça ne lui a servi

Le seul espoir de survie politique pour Netanyahu – et de si possible éviter la prison – dépend de la magie politique pour laquelle il est célèbre.

Cela peut s’avérer un défi de taille. Pour franchir la barre des 61 sièges, il doit convaincre Avigdor Lieberman et son parti ultra-nationaliste Yisrael Beiteinu de le soutenir.

Netanyahu et Lieberman – qui est un colon – sont normalement des alliés idéologiques. Mais nous ne sommes pas dans des temps normaux… Netanyahu a dû réorganiser les élections de cette semaine après que Lieberman, constatant la position fragile du Premier ministre, ait refusé en avril de siéger aux côtés des partis religieux au sein d’un gouvernement dirigé par Netanyahu.

Netanyahu pourrait peut-être tenter d’attirer Lieberman avec une offre à laquelle il ne pourrait résister, par exemple en faisant tourner le poste de premier ministre de l’un à l’autre.

Mais Lieberman risque de subir l’opprobre du public si, après avoir imposé de fait au pays à une élection extrêmement impopulaire, il faisait maintenant ce qu’il avait refusé par principe de faire il y a cinq mois.

Lieberman a presque doublé le nombre de sièges de son parti en passant à neuf, en insistant sur le fait qu’il est le champion du public laïc israélien.

Le plus important pour Lieberman, c’est qu’il se retrouve une fois de plus dans le rôle de faiseur de roi. Il est presque certain qu’il façonnera la nature du prochain gouvernement. Et tout Premier ministre lui sera redevable.

L’impasse qui a bloqué la formation d’un gouvernement en avril n’est pas résolue. Israël est confronté à la possibilité d’un marchandage frénétique entre maquignons pendant plusieurs semaines et même à la possibilité d’une troisième élection.

Néanmoins, du point de vue des Palestiniens – qu’il s’agisse des citoyens de troisième classe vivant sous occupation ou vivant en Israël – le prochain gouvernement israélien sera extrémiste.

Sur le papier, Gantz est le mieux placé pour former un gouvernement de ce que l’on appelle absurdement le « centre-gauche ». Mais étant donné que son épine dorsale sera composée de membres du parti Bleu et Blanc – dirigé par une foule de généraux va-t-en-guerre – et de Yisrael Beiteinu de Lieberman, il sera dans la pratique, autant d’extrême-droite que celui de Netanyahu.

Gantz a même accusé Netanyahu de lui avoir volé son idée en annonçant la semaine dernière son intention d’annexer de grandes parties de la Cisjordanie sous occupation.

Le problème est qu’une telle coalition dépendra de la tolérance des 13 députés de la Liste commune représentant la grande minorité palestinienne d’Israël. C’est quelque chose que Lieberman a rejeté d’emblée, qualifiant cette idée d’ « absurde » tôt ce mercredi, alors que les résultats commençaient à être connus. Gantz ne semble qu’un peu plus accommodant.

La solution pourrait être un gouvernement d’union nationale comprenant une grande partie de la droite : le parti Bleu et Blanc de Gantz faisant équipe avec le Likoud et Lieberman. Gantz et Lieberman ont tous les deux déjà fait savoir que c’était leur premier choix.

La question serait alors de savoir si Netanyahu peut se frayer un chemin dans un tel gouvernement ou si Gantz réclame son éviction comme prix à payer pour l’inclusion du Likoud.

La main de Netanyahu dans de telles circonstances ne serait pas bien lourde, surtout s’il est enfoncé dans une longue bataille juridique pour corruption. Il y a déjà des rumeurs d’un soulèvement dans le Likud pour le destituer.

L’un des résultats intéressants d’un gouvernement d’union est qu’il pourrait provoquer une crise constitutionnelle en faisant de la Liste commune, le troisième parti en importance, l’opposition officielle. C’est la même Liste commune décrite par Netanyahu comme un parti « dangereux antisioniste ».

Ayman Odeh deviendrait le premier dirigeant de la minorité palestinienne à assister régulièrement à des réunions d’information organisées par le Premier ministre et les chefs des services de sécurité.

Netanyahu restera Premier ministre par intérim pendant encore plusieurs semaines jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. S’il reste fidèle à lui-même, il pourra dans la même période multiplier les coups tordus…

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