Un énorme fossé divise aujourd’hui la population sénégalaise que l’on oblige à prendre position entre deux camps. Dans un pays où les choix idéologiques ou politiques peuvent être aussi diversifiés que les centaines de formations qui pullulent sur la scène politique, on ne peut limiter les populations à deux options : Macky Sall ou Ousmane Sonko.

Et que dire des Sénégalaises et des Sénégalais sans obédience politique? Faudrait-il les obliger à choisir leur camp? Il s’agit de l’écrasante majorité de la population, ainsi que l’atteste le nombre de personnes participantes aux élections qui atteint difficilement trois millions. Personne ne peut d’ailleurs leur en tenir rigueur, dans un pays où le vote n’est pas obligatoire. Pourquoi chercherait-on à confisquer les libertés à l’électorat sénégalais et à les obliger à s’en tenir à deux choix : un Plan et un Projet. Le Plan Sénégal émergent (PSE) du pouvoir et le Projet de Pastef de Ousmane Sonko.

Une population profondément divisée

Des parents et des amis.es se sont tournés le dos parce qu’ils ne partagent pas les mêmes visions politiques. Ce n’est peut-être pas la première fois que l’adversité politique finit par prendre le dessus sur des liens familiaux et d’amitié. Toutefois, le mal n’a jamais été aussi profond. La passion et l’adversité se sont transformées en haine, puis en affrontements physiques causant morts et désolation.

Le Sénégal n’est plus l’objet de toutes les convergences d’opinions et d’idées, même si celles-ci peuvent s’avérer différentes dans leur manière de voir les choses. L’avènement d’une nouvelle opposition politique, incarnée par Ousmane Sonko, y a grandement contribué.

Depuis l’indépendance, les têtes de file de l’opposition sénégalaise ont donné des réponses appropriées aux dérives des régimes qui se sont succédé au Sénégal. Elles ont fait preuve de résistance quand il le fallait, elles ont aussi été tentées par le dialogue et ont lâché du lest quand la situation l’exigeait. La longue marche de Me Abdoulaye Wade vers le pouvoir offre plusieurs exemples dans ce sens.

Un discours rempli de haine

Avec Ousmane Sonko, le discours n’a jamais été rassembleur. Il a scindé le Sénégal en deux entités : celle du système, d’une part, et des opprimés.es, d’autre part. Pour lui, la première catégorie est celle des oppresseurs qui méritent d’être «fusillés» et le camp du peuple doit être prêt à bouleverser l’ordre établi. Par tous les moyens. C’est ainsi que Ousmane Sonko ne s’est jamais privé de discours violents, de va-t’en guerre face aux agissements du régime de Macky Sall. Exception faite de la parenthèse ouverte lors du Covid et vite refermée. Le leader de Pastef est resté fidèle à sa logique. «Macky Sall ne connait que le langage de la force, il faut par conséquent le lui imposer», ne se lassait-il de dire. Étant convaincu que le rapport de force lui serait favorable.

Toutefois, du discours politique visant le chef de file de la majorité, le leader de Pastef a glissé vers la remise en cause des institutions de la République. «Je m’en fous de la justice de Macky Sall, je m’en fous de l’Administration de Macky Sall, je m’en fous de l’Armée de Macky Sall…» entonnait-il. Pourtant, en ex-bon fonctionnaire de l’administration sénégalaise, Ousmane Sonko savait pertinemment qu’il ne pouvait y avoir d’administration ni de justice, encore moins. Il n’y a que des institutions de la République.

Sonko : un discours guerrier en direction de la jeunesse

Qu’à cela ne tienne pour le maire de Ziguinchor. Sa cible privilégiée est la jeunesse, endoctrinée et chauffée à bloc après plusieurs discours guerriers du genre : «Tenez-vous prêts pour le combat final!»; «celui qui vous dit que le paradis n’est pas votre dernière demeure si vous trouvez la mort dans ce combat ne vous dit pas la vérité» et «je n’ai pas besoin de peureux avec moi dans ce combat». Des propos galvanisant et des références religieuses pour embobiner des jeunes prêts à en découdre avec les forces de défense et sécurité. Jusqu’à la mort.

C’est à ce scénario auquel on a assisté il y a deux ans et en fin de semaine dernière. Mais en lieu et place des mouvements de masse en février-mars 2021, on a eu droit cette fois à des mercenaires armés visant les points névralgiques de la capitale.

L’approvisionnement en eau courante et en électricité de la capitale était visé, le système de transport affecté, les banques et lieux de commerces saccagés. Plusieurs semaines auparavant, les théoriciens du Projet de Pastef n’ont cessé, à travers leurs communications live, d’appeler les jeunes à détruire les édifices publics, parce qu’Ousmane Sonko allait tout reconstruire, une fois arrivé au pouvoir. Les jeunes y ont cru. Et jamais un responsable de ce parti n’a daigné appeler à la raison les délivreurs d’un tel message de haine.

Une tradition de sabotage de la République

À vrai dire, la forme de lutte d’Ousmane Sonko et de certains de ses proches n’est en rien différente de celle du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), qui réclame l’indépendance de cette partie sud du Sénégal depuis plus de 40 ans. Le député Guy Marius Sagna s’est défoulé à l’Assemblée nationale et s’est tenu debout sur les tables de l’hémicycle en pleine séance parlementaire. Récemment, il a sorti son caleçon en pleine rue alors qu’il arborait son écharpe de député. Qui fait mieux en termes de sabotage des symboles de la République?

Au cours de la première fin de semaine de juin, des manifestations ont incendié des facultés de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et chanté autour du feu la gloire de la Casamance. La vidéo qui circule sur la toile confirme que la rébellion casamançaise était au cœur de la capitale sénégalaise.  Rien d’ailleurs de plus édifiant que ces personnes détenant des armes de guerre, filmées en pleine manifestation dans les rues de Dakar par la police sénégalaise.

Une posture injustifiable de l’opposition

Le Sénégal vit-il une situation de déchéance démocratique ou économique pouvant justifier pareils carnages? La réponse est non. Il reste certes des combats à mener et il en restera toujours pour la consolidation de la démocratie. Mais on ne peut tout jeter dans la poubelle.

Si l’opposition sénégalaise en est arrivée à obtenir autant de sièges que la majorité à l’Assemblée nationale et à remporter la quasi-totalité des grandes villes du pays à l’issue des dernières élections locales, c’est parce que de grands pas ont été franchis. Si le Sénégal a connu deux alternances en l’espace d’une décennie, c’est parce que l’administration et la justice sénégalaises, au cœur du processus électoral, ont rempli leur mission.

Aucun leader politique conscient ne peut souhaiter l’affaissement de nos institutions. À moins qu’il soit de connivence avec des lobbies ou mouvements rétrogrades et déstabilisateurs qui essaiment un peu partout dans la sous-région.

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