Dulce Vivar, membre du collectif Jeunesse du FSMI
C’est un vendredi matin ensoleillé de mai à Montréal. Dans les couloirs de l’Université du Québec à Montréal, une énergie calme, mais palpable circule. Des jeunes arrivent, sourire aux lèvres, sac sur l’épaule, et l’étincelle du changement dans les yeux. Ils sont là pour une assemblée jeunesse des intersections dans le cadre du Forum social mondial des intersections (FSMI). Une rencontre pour écouter, mais surtout pour imaginer, créer et rêver un monde autrement.
Co-animée par Citoyenneté jeunesse, Katalizo, Lab22 et Environnement Jeunesse, l’assemblée ne promet pas de solutions toutes faites. Elle ouvre plutôt un espace d’écoute vraie, de réflexion et de sens. Comment vit-on ce monde en bouleversement quand on est jeune aujourd’hui ? Et surtout : comment continue-t-on d’agir malgré tout ?
Après un brise-glace chaleureux, les jeunesse lancent. Réparti·es en petits groupes, on échange autour de quatre grands thèmes : l’engagement, l’environnement, l’inclusion et les luttes sociales. Les mots fusent, les vécus s’entrelacent. On ne débat pas, on tisse.
À l’intersection de l’écologie et des identités
Dans les premières discussions, une question surgie, simple, mais cruciale : Comment s’engager pour le climat quand on porte déjà d’autres luttes sur les épaules ?
Les personnes participantes racontent leurs histoires. Ils parlent de précarité, de statut migratoire, de genre, de racisme, de fatigue militante. Mais aussi d’envies, de stratégies de survie, de rêves d’avenir. On évoque le sentiment de devoir choisir entre leurs identités et leurs engagements : est-ce que je lutte pour le climat ou pour les droits de ma communauté ? Et si l’un ne pouvait pas aller sans l’autre ?
Dans leurs paroles, l’écologie n’est pas un luxe. C’est une question de justice. Une jeune femme immigrante prend la parole : elle vit l’exclusion au quotidien, et pourtant, elle se sent directement concernée par lesenjeux environnementaux. Mais dans les milieux militants, elle ne trouve pas toujours sa place. Invisibilisée. Non entendue.
On comprend ici que l’environnement, ce n’est pas juste la planète : c’est le logement, la santé, l’accès à l’eau, la dignité. C’est une question politique. Et pour qu’une action écologique soit réelle, elle doit reconnaître les vécus de celles et ceux qu’on n’invite pas toujours dans les discussions.

Les privilèges du Nord global face aux catastrophes du Sud global
Ici, à Montréal, dans cette salle de réunion, nous avons la chance de nous réunir, de réfléchir, d’échanger. Mais ailleurs, dans les pays du Sud global, la réalité est bien différente. Tandis que nous discutons de solutions pour un futur plus juste et plus vert, des maisons sont englouties par les inondations, des forêts partent en fumée, et des populations subissent les effets de la montée du niveau des mers et de la sécheresse.
Là où, en Occident, on parle encore d’action pour le climat, des communautés dans les régions les plus vulnérables du monde vivent déjà les conséquences dramatiques des changements climatiques. L’Indonésie, par exemple, voit ses îles submergées. L’Inde et le Pakistan connaissent des vagues de chaleur meurtrières. L’Afrique subsaharienne lutte contre des sécheresses records, menaçant les terres agricoles et l’accès à l’eau potable.
Face à ces catastrophes, il est important de se rappeler que, dans le Nord global, nous avons un privilège énorme. Celui de pouvoir nousréunir dans un espace sûr, d’avoir des discussions profondes et de chercher des solutions. Mais pour ceux et celles du Sud global, ces discussions ne sont pas un luxe. Elles sont une question de survie.
Faire face à l’écoanxiété, ensemble
L’écoanxiété, tout le monde la connaît ici. Mais ce qu’on apprend ensemble, c’est qu’elle peut devenir un levier d’action.
Une participante glisse : « On nous dit qu’on esttrop émotifs, trop inquiets… Mais c’est normal d’être bouleversé·es. Ce qui serait fou, ce serait de rester indifférent. »
On parle alors d’espace décisionnel réel pour les jeunes, pas juste des consultations symboliques. On propose des formats adaptés à la culture jeunesse : de l’humour, des arts, du numérique. On veut que l’éducation à l’environnement parle le langage des jeunes, et qu’elle valorise ce qu’ils font déjà : échanger des vêtements, jardiner sur un balcon, cuisiner en communauté. Autant de petits gestes, pleins de sens.
Construire des espaces vraiment inclusifs
Au fil des heures, un mot revient : inclusivité. Mais qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ? Comment créer des espaces qui accueillent tous les vécus, sans les uniformiser ?
Les jeunes cherchent, se questionnent, proposent. Un moment d’émotion s’invite dans la salle : « On dirait une thérapie collective, ici. On a besoin de ces cercles de parole. D’humain. » Et si l’engagement écologique passait aussi par là ? Par des lieux qui prennent soin. Qui écoutent avant de parler. Qui donnent du pouvoir sans l’imposer.

Et maintenant, on fait quoi ?
À la fin de la journée, on ne repart pas avec un plan d’action parfait. Mais on quitte l’Assemblée avec une force partagée. Celle de savoir qu’on n’est pas seul·e, que d’autres vivent la même tension entre colère et espoir, urgence et fatigue. Et qu’en tissant nos luttes ensemble, on devient plus fort·es.
Un fil rouge traverse les conversations : repenser l’écologie comme un projet collectif, ancré dans la réalité sociale. Car au fond, les jeunes n’ont pas seulement peur de l’avenir. Ils en rêvent. Et ils savent que pour bâtir un monde vivable, il faudra faire autrement. Il faudra désapprendre. Réparer. Imaginer. Et, surtout, faire place à toutes les voix.
