La crise continue en Syrie

Entrevue avec Joseph Daher, NPA, 9 janvier 2017

 

Retour sur l’année 2017. En décembre 2016, les quartiers d’Alep-Est, ni sous le contrôle du régime Assad ni sous celui des forces djihadistes, tombaient sous le déluge de feu de l’aviation russe et du régime Assad, et face aux avancées au sol des forces pro-régime, de milices fondamentalistes islamiques chiites, encadrées par l’Iran et le Hezbollah. Cela avait suscité une grande émotion à travers le monde avec de nombreuses manifestations de solidarité avec les assiégés d’Alep-Est. Depuis lors, que s’est il passé ?

Le régime de Bachar al-Assad n’a cessé de renforcer sa position tout au long de l’année, multipliant les victoires en s’appuyant sur ses alliés russe et iranien, ainsi que sur le Hezbollah libanais. Les diverses négociations diplomatiques, de Genève à Sotchi ou encore Astana, cherchent à entériner des processus maintenant le régime de Damas. D’ailleurs, Emmanuel Macron a déclaré mi-décembre qu’il comptait s’employer à « gagner la paix » en Syrie, sans exclure Bachar al-Assad du processus…

Les djihadistes de l’État islamique (EI) ont de leur côté perdu la grande majorité des villes et centres urbains syriens et irakiens qu’ils occupaient. Avec la perte de la ville de Raqqa en octobre dernier, l’EI contrôle désormais seulement 10 % du territoire syrien – contre 33 % au début de l’année. Seules quelques régions isolées, notammant les régions frontalières entre l’Irak et la Syrie, restent actuellement sous leur contrôle. Pour autant la fin de l’expansion territoriale de l’organisation djihadiste ne signifie nullement sa fin en tant qu’organisation…

La position de force du régime le pousse maintenant à lorgner vers les territoires sous la domination des forces kurdes du PYD. Bachar al-Assad a qualifié de « traîtres » les YPG, milice du PYD, pour leur collaboration avec les États-Unis, ajoutant que le régime syrien ne laissera aucune parcelle du pays hors de son autorité.

La question de la reconstruction

Cette année a en outre de plus en plus mis sur le devant de la scène la question de la reconstruction, dont le montant est actuellement estimé entre 200 et 300 milliards de dollars.

Or, pour Bachar al-Assad, ses proches et les hommes d’affaires liés à son régime, la reconstruction est perçue comme un moyen de consolider les pouvoirs déjà acquis et d’asseoir de nouveau une domination politique et économique sur la société syrienne.

La reconstruction du pays sera aussi un moyen de récompenser les alliés du régime, en particulier l’Iran, la Russie et la Chine, en leur octroyant des parts du marché. Déjà, certains marchés comme les mines de phosphate et des champs de pétrole et de gaz ont été attribués à Moscou et Téhéran. Mais malgré ces appels du pied de la part d’Assad, la réalité d’une reconstruction par les capitaux étrangers reste fragile. La Russie et l’Iran manquent de moyens pour aider dans l’immédiat, tandis que la Chine hésite à s’impliquer massivement dans un pays aussi instable. Pour Pékin les investissements dans des pays émergents sont souvent, comme en Afrique, conditionnés à un accès privilégié aux ressources naturelles. Or, la Syrie est assez faible en matières premières.

La reconstruction de ces zones se déroule alors que plus de 6 millions d’habitantEs ont fui le pays et environ 7,6 millions sont des déplacés à l’intérieur des frontières d’une Syrie qui comptait, en 2011, 22,5 millions d’habitantEs.

La Banque mondiale a estimé en juin qu’environ un tiers des immeubles et près de la moitié des bâtiments scolaires et hospitaliers de Syrie ont été endommagés ou détruits par le conflit, tandis que l’économie a perdu 2,1 millions d’emplois réels et potentiels entre 2010 et 2015. Le chômage a atteint 55 % en 2015, passant chez les jeunes de 69 % en 2013 à 78 % en 2015.

Quel avenir ?

Les forces démocratiques et progressistes à l’origine du mouvement populaire syrien ont subi une répression massive de la part du régime – les disparuEs se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers – et leur révolte a également été attaquée et défigurée par les mouvements islamiques fondamentalistes.

Dans les circonstances actuelles, la poursuite de la guerre est la pire solution possible et ne profitera qu’aux forces opposées à un projet de société démocratique, socialement juste et inclusif : celles de Damas comme celles des mouvements fondamentalistes islamiques.

Du point de vue tant politique qu’humanitaire, et ce même si les combats persistent aujourd’hui et que l’opposition démocratique mérite soutien, la fin de la guerre en Syrie est une priorité absolue. Mais cela ne signifie pas accepter la continuation du régime Assad et sa relégitimation au niveau international, ni oublier les crimes de guerre, les dizaines de milliers de prisonnierEs politiques toujours dans les geôles du régime, etc.

Surtout, cela ne signifie pas oublier le processus révolutionnaire syrien, l’un des plus documentés aujourd’hui. Cette mémoire, ces expériences politiques doivent désormais être utilisées pour (re)construire les résistances, même s’il faudra les organiser sous un régime autoritaire en attendant de voir émerger un futur mouvement démocratique, social et inclusif, dans lequel les nombreux activistes en exil auront également un rôle à jouer. Mais il faudra de la patience, et une solidarité internationale continue.

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