Saïd Bouamama, le 26 août 2018
Selon le socio-économiste malien Hamidou Magassa, la Francophonie dans l’histoire de la domination colonialiste et dans ses différentes phases a traversé trois phases :
- Celle de la « mission civilisatrice » allant de la conquête coloniale à 1956 ;
- Celle de la « communauté française » qui lui succède jusqu’aux indépendances
- Et celle de la Francophonie depuis.
Concernant cette dernière, Magassa estime qu’elle se caractérise par la récupération indirecte, des acquis de la lutte pour l’indépendance en s’appuyant sur une élite locale, « francophonisée ».
Le lien entre francophonie et intérêts économiques est parfois publiquement assumé comme en témoigne la déclaration du ministre français des affaires étrangères, Yvon Bourges, à l’assemblée nationale française le 23 octobre 1967 :
Naturellement le premier objectif est de favoriser la pénétration de la langue et de la culture françaises dans les pays d’Afrique ; le second objectif que nous nous proposons est d’ordre économique : le maintien et le développement des intérêts commerciaux et industriels français. La coopération n’est pas une entreprise intéressée au sens égoïste du terme, mais il ne peut s’agir ni de gaspillage ni de prodigalité …
La parole se fera plus prudente ultérieurement mais l’articulation entre francophonie et défenses des intérêts économiques français reste une constante jusqu’à aujourd’hui. L’évolution des thèmes des sommets de la francophonie en témoigne. Ainsi en est-il du quinzième sommet de Dakar en 2014 dont l’objectif était d’adopter une « stratégie économique pour la Francophonie », incluant le maintien du franc CFA, les accords de partenariat économique (APE), la dette et les plans d’ajustement structurel, les multiples interventions militaires, etc. L’annulation de la dette publique de 7 pays africains par le Canada lors du sommet du Québec en 1987, puis l’annulation partielle de la dette publique par la France en 1989 pèsent peu face à l’immensité de la dette privée et aux pressions des « amis francophones » pour qu’elle soit remboursée au prix de plans d’ajustement structurel qui empêchent toute possibilité de développement.
Si la Francophonie connaît un élargissement notable des pays membres en s’élargissant désormais à des pays de l’Est de l’Europe, elle est en revanche de plus en plus critiquée et remise en cause en Afrique.
L’argument de l’élargissement extra-africain souligne justement que la francophonie est devenue un des outils dans la concurrence mondiale entre les USA, l’Union européenne et le Canada qui n’a cessé de s’exacerber depuis le début de la mondialisation. Celui de l’origine de ses fondateurs rappelle simplement le mode d’accès à l’indépendance ayant pour cœur la préparation d’une transition entre le colonialisme et le néocolonialisme.
Les voix africaines remettant en cause la francophonie institutionnelle ne cessent en revanche de se multiplier. « Si le français, en Afrique de l’Ouest, à mesure que les colons justifiaient leur « mission » civilisatrice, a longtemps valu comme langue du progrès, il constitue aujourd’hui, pour certains, de par son ambiguïté, un symbole d’assujettissement qui, du point de vue local, serait à l’origine de la négation, voire de la destruction des cultures africaines. […] il est alors possible d’entendre à Bamako : « À bas la francophonie ! ».
Plus grave encore pour la stratégie néocoloniale, on assiste à un mouvement populaire de réaffirmation de soi et de réinvestissement des langues locales. Ainsi au Sénégal présenté par l’histoire officielle francophone comme le berceau de la francophonie, « le français recule au profit du wolof. Un phénomène de fond qui n’est pas sans conséquence sur la vie quotidienne. Une émission de TV 5 Monde titre dans le même sens en février 2018 : « Le Sénégal perd son français au profit du wolof. »
Ces réactions populaires convergent avec des prises de position politique à l’exemple de l’appel à un « contre-sommet anti-francophone » en 2014 à l’occasion du sommet de la francophonie : « Les parties signataires de la présente plateforme considèrent que les Sommets dits francophones ne sont qu’un mauvais cirque destiné, principalement à couvrir et cautionner les abus de puissance multiformes du néocolonialisme français en Afrique, aujourd’hui placé sous la tutelle des USA depuis sa réintégration dans le commandement de l’Otan ; et accessoirement à entretenir la corruption, la concussion et des trafics « françafricains » en tous genres ».
Comme tous les autres fronts s’opposant au néocolonialisme, ces militants qui s’opposent à la francophonie institutionnelle restent encore minoritaires. Leur simple existence est un signe du développement des consciences au regard de la période précédente. Le jeune âge de ces militants souligne l’émergence d’une nouvelle génération militante porteuse d’avenir pour les peuples africains.