La pandémie dans un contexte néolibéral : les failles du système

 

La pandémie actuelle a provoqué des dénouements désastreux et inattendus à bien des égards dans le monde entier. Cette crise sanitaire s’apparente aussi à une crise humanitaire d’une ampleur considérable. Elle jette un autre éclairage sur un système politique exclusif et sur les nombreuses failles d’une idéologie néolibérale déshumanisée. La littérature regorge d’information pertinente sur le sujet et une question revient sans cesse : devons-nous repenser le modèle économique capitaliste actuel ? La logique de croissance absolue des profits occasionne des dommages irréversibles sur la population planétaire. L’expansionnisme moderne démesuré et le déni des droits de la personne, tous azimuts, perpétrés au nom du capital, ont atteint leur limite. Quoi que l’on en dise, l’impact de cette pandémie continue de révéler l’ampleur des inégalités sociales partout sur la planète. Le vieil adage selon lequel la maladie n’a pas de frontière et ne connaît pas de classe sociale n’est pas remis en cause ici, mais simplement démystifié.

D’ailleurs, tous n’ont pas le même accès à des services de santé de qualité comme nous le rappelle David Harvey :

« (…) les conséquences économiques et démographiques de la propagation du virus dépendent des failles et des vulnérabilités préexistantes au sein du modèle économique hégémonique. (…) même si le virus ne connaît pas de frontière tout indique que les conséquences de la propagation n’affectent pas toutes les populations de manières égales et uniformes. Tous n’ont pas accès aux mêmes protections sociales et aux mêmes couvertures médicales selon leurs statuts socioéconomiques. Il n’est pas juste de prétendre que le confinement peut s’appliquer dans toutes les couches de la population à travers la planète. »  [1]

Amélie Nguyen du Centre international de solidarité ouvrière (CISO) aborde dans un article intitulé les oublié.e.s de la pandémie, la situation des travailleuses et travailleurs précaires ou informels dans le monde. Le nombre de travailleuses et travailleurs du marché informel avoisine les deux milliards sur la planète. Ces exclus en marge du système sont, dans un contexte de pandémie, confrontés entre le choix de mourir de faim ou de risquer de contracter le virus. Ils n’ont pas le loisir d’échapper à cette réalité. Pour eux, le confinement n’est tout simplement pas une option. L’exemple des pepenadores, des travailleuses et travailleurs informels, recycleurs de déchets dans des dépotoirs au Mexique nous rappelle combien les injustices sociales peuvent frapper de plein fouet.

« Ne pouvant se permettre de cesser de travailler, elles et ils continuent de trier les déchets domestiques ou industriels, dont parfois des déchets biomédicaux, qui sont pourtant à grand risque d’être contaminés par la COVID-19, alors que le nombre de cas est en hausse au pays. ». [2]

Notons également que leurs conditions de travail ne respectent en rien les conditions minimales d’hygiène et de salubrité d’un pays occidentalisé. Ces gens doivent composer avec un minimum d’équipement de protection (aucun masque de protection, bottes, visières) et sont privés d’eau potable sur leurs lieux de travail. Les politiciens locaux ne se préoccupent pas de la santé et de la sécurité de ces personnes. La crise actuelle révèle d’autres types de discrimination tout aussi alarmante. « (…) des membres des Premières Nations présentant des symptômes ont été refoulés des hôpitaux », nous rappelle Anne Plourde.

Selon elle : « Le capitalisme nuit à la santé : laissé à lui-même, il génère des inégalités socioéconomiques abyssales, de la pollution incontrôlée, des conditions de travail physiquement et mentalement morbides, des salaires insuffisants pour assurer une alimentation et des conditions de logement saines, des difficultés d’accès à l’éducation, une production alimentaire industrielle toxique et, bien sûr, une crise climatique qui met en péril la survie même de l’humanité » [3]

Le capitalisme nuit aussi au système de santé, qui est trop souvent organisé pour être rentable, au détriment de la santé des patients et des conditions de travail du personnel de la santé. C’est ce que nous a montré l’horreur dans les CHSLD privés.

À ce propos il est permis d’ajouter que l’exemple des CHSLD publics n’échappe pas à cette logique affairiste bien qu’il n’est pas question ici de rentabilité, mais de réduction budgétaire incessante. Au-delà des concepts en vogue, les CHSLD, ces soi-disant milieux de vie, cachent une réalité sombre que l’on ne veut pas voir. La pandémie aura permis à la population de prendre conscience de cette triste réalité. Le système de santé au Québec a dévoilé ses failles au grand jour. Pourquoi autant de morts parmi la clientèle et parmi les membres du personnel ? Comment une société aussi moderne que la nôtre n’est pas parvenue à contrôler davantage les éclosions dans un milieu aussi propice à la contagion ? La question demeure. Tout ne va pas bien aller ! Les éloges adressés aux anges gardiens de la santé ne suffisent pas à régler ni à dissimuler les problèmes. Il y a encore beaucoup trop de précarité parmi le personnel bas salarié de la santé. Les conditions de travail déplorables doivent aussi être dénoncées. Or, derrière le discours populiste de nos dirigeants se cachent d’autres desseins beaucoup moins louables.

« Les pouvoirs publics et les systèmes de santé ont été presque partout pris en défaut. Quarante ans de néolibéralisme en Amérique du Nord et du Sud ainsi qu’en Europe ont laissé la population exposée et mal préparée à faire face à une crise de santé publique de ce type (…) les gouvernements locaux et les autorités régionales/étatiques, qui constituent invariablement la première ligne de défense dans les situations d’urgence de ce type en matière de santé et de sécurité publiques, ont été privés de financement du fait d’une politique d’austérité visant à financer des réductions d’impôts et des subventions aux entreprises et aux riches. » [4]

En définitive la pandémie de la COVID-19 illustre bien, dans son sillage, la fragilité de nos systèmes politiques et le sort des exclus dans un système axé sur la priorisation de la capitalisation absolue. À l’instar d’Anne Plourde nous sommes parfaitement d’accord que :« les catastrophes sont aussi l’occasion de nouvelles solidarités et de nouvelles possibilités. » [5]

Alain Deneault (professeur de philosophie à l’Université de Moncton) précise que le temps est sans doute venu « de réfléchir à d’autres alternatives d’autre façon de se définir comme humanité. » Selon ce philosophe : « (…) un changement de paradigme s’impose. Il y a lieu de redéfinir l’économie de manière à ce qu’elle ne soit plus au service d’une oligarchie d’actionnaires. » [6]

Les injustices sociales et la marginalisation des exclus à travers le monde ne doivent plus être tolérées et conformées par des propos démagogiques démesurés. Il n’y a pas deux classes d’humanité. La solidarité internationale entre les peuples et surtout entre tous les travailleurs et travailleuses devient plus que nécessaire afin de freiner les ravages de l’expansionnisme et les effets collatéraux du capitalisme mondial. Souhaitons que la crise actuelle nous permette d’avancer en ce sens.

La crise sanitaire nous démontre qu’il est urgent de couper dans les dépenses militaires. Il serait, à notre sens, plus judicieux de transférer ces sommes d’argent pour des projets sociaux, humanitaires et surtout durables, partout sur la planète.

De plus, il est urgent que l’État canadien signe et applique les principes de la Convention 189 de l’OIT pour protéger adéquatement les travailleuses et travailleurs domestiques.

Bien que le Canada ait signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il reste encore beaucoup à faire. Il est urgent de reconnaître que chaque peuple a le droit fondamental à l’autodétermination, incluant l’autodétermination territoriale, la gestion de ses ressources naturelles et de ses services sociaux sans intervention de l’État fédéral.

Pour terminer, comme nous l’avons souvent affirmé dans nos positions, le Canada ne peut continuer à s’engager dans des accords commerciaux qui polluent, qui ne bénéficient pas à la classe ouvrière ou qui réduisent les territoires des peuples autochtones.

[1] Harvey, David, (2020), Covid-19 : où va le marxisme ? Une analyse marxiste, https:// journal.alternatives.ca/Covid-19-ou-va-le-capitalisme-Une-analyse-marxiste

[2] Nguyen, Amélie, (2020) “Chronique – Ailleurs dans le monde – Les oublié-e-s de la pandémie”, https://liguedesdroits.ca/ chronique-ailleurs-dans-le-monde-les-oublie-e-s-de-la-pandemie/

[3] Plourde, Anne, (2020), Une crise dont on ne revient pas selon Alain Deneault, https:// www.ledevoir.com/opinion/idees/579931/ sortie-de-crise-capitalisme-sortie-de-crise-capitalisme

[4] Harvey, David, (2020), Covid-19 : où va le marxisme ? Une analyse marxiste, https:// journal.alternatives.ca/Covid-19-ou-va-le-capitalisme-Une-analyse-marxiste

[5] Nguyen, Amélie, (2020) “Chronique – Ailleurs dans le monde – Les oublié-e-s de la pandémie”, https://liguedesdroits.ca/ chronique-ailleurs-dans-le-monde-les-oublie-e-s-de-la-pandemie/

[6] Deneault, Alain, (2020), https://ici. radio-canada.ca/nouvelle/1691492/crise-covid-capitalisme-economie-delocalisation-environnement