Haïti: La vie au temps du Bwa Kale – un an de résistance populaire

À Canapé-Vert, des barricades d'autodéfense bloquent partiellement la rue. La nuit, les rues sont entièrement fermées. Photo : Etienne Côté-Paluck/Dèyè Mòn Enfo

Dèyè Mòn Enfo

Il y a un an, le 24 avril 2023 à Port-au-Prince dans le quartier Canapé-Vert, la population se présente devant le poste de police local et demande qu’on leur remette les 14 membres de gang arrêtés pour possession d’armes. Ils seront lyncher, tuer puis brûler. C’est ainsi qu’a pris forme le mouvement Bwa Kale de vindicte populaire. Notre partenaire du Magazine Haïti constate le retour de ce mouvement avec les derniers événements. Nous présentons ici les informations qu’il a publié à cet effet, notamment dans le dernier numéro de Dèyè Mòn Enfo du 1er avril. Nous vous invitons à soutenir la publication en vous abonnant. (NDLR)

La recrudescence des attaques armées à Port-Prince depuis le 29 février a ravivé le mouvement Bwa Kale au sein de plusieurs quartiers encore libres. Dans des zones telles Canapé-Vert, Turgeau, Nazon, et d’autres encore, des collectifs de voisins ont formé des brigades pour empêcher un potentiel assaut de groupes criminels armés. Souvent menées avec l’assentiment tacite de policiers, ces actions représentent une forme de justice populaire impitoyable.

Des barricades à Pétion-Ville et à Canapé-Vert sont maintenant érigées la nuit pour empêcher une possible attaque d’hommes armés. Photos : Jean Elie Fortiné/Etienne Côté-Paluck/Dèyè Mòn Enfo

Une vindicte populaire

À Delmas 95, plusieurs agresseurs présumés ont ainsi été exécutés il y a dix jours, ces « bandits » étant habituellement tués et parfois même brûlés sur le champ. Cette réaction radicale reflète l’effacement presque total de l’institution judiciaire du pays, au point où certains policiers se muent parfois en exécuteurs de leurs détenus (…).

Un commerçant se bouche le nez en passant près de cadavres en putréfaction, trois jours après l’attaque du pénitencier national au centre-ville. Photo : Jean Elie Fortiné/Dèyè Mòn Enfo

À la suite de l’abandon du pénitencier national début mars, ces bandes se sont concentrées sur le pillage des commerces du centre-ville, l’attaque d’institutions étatiques ou de commissariats toujours actifs, ainsi que sur la destruction de certaines écoles et universités. La situation déjà fragile a atteint un point critique avec l’occupation complète du centre-ville, dès les premiers jours de mars, par ces groupes armés, à l’exception notable du bâtiment de la Banque de la République d’Haïti (BRH, banque centrale), protégé par des forces paramilitaires fortement armées.

Mirebalais reste un haut lieu de la mobilisation des groupes d’autodéfense, encouragée d’ailleurs par la mairie à la suite des récentes incursions de groupes armés en provenance de Port-au-Prince. Porte d’entrée du département du Plateau central, la ville est située sur la route qui mène à la frontière dominicaine. C’est sur cette route, à Belladère, où, samedi dernier, un homme accusé de s’être évadé de la prison de la capitale, a été lynché par une foule en colère, confirme notre partenaire Centre à la UNE.

Le centre-ville de Port-au-Prince : en rouge, certains lieux tombés sous le contrôle de bandes armées dans le dernier mois; en vert, les lieux toujours sous le contrôle des autorités. Les ‘X’ noirs sont des zones déjà sous contrôle de groupes armés depuis plusieurs mois. Source : Dèyè Mòn Enfo

Au cours de la dernière semaine, déjà accablé par les pillages, le centre-ville de Port-au-Prince, n’a pas été le seul à souffrir de la violence. Les quartiers de l’arrondissement de Clercine, à l’est de l’aéroport, ont aussi été le théâtre d’échanges de tirs intenses pendant plusieurs jours. Cette période d’insécurité s’est finalement apaisée suite à une intervention musclée de la police, qui s’est conclue hier.

Que signifie bwa kale? (extrait du numéro 4 du 1er mai 2023)

En raison de la nouvelle crise sécuritaire et économique, les gens disent se sentir comme un bwa kale, une branche sans écorce. La majorité des routes du pays sont bloquées. L’économie est à sec. Les gens n’ont parfois que la peau sur les os et presque plus aucune possession dans de nombreux cas. Devant les problèmes liés aux violences armées, ils n’ont ainsi presque plus rien à perdre. La majeure partie de Port-au-Prince est sous contrôle de groupes criminels armés.

Plus globalement, elle exprime le ras-le-bol devant une situation sécuritaire et économique qui empire d’année en année. (…) Dans un autre sens, bwa kale exprime aussi un appel à l’action. (…) C’est un appel à prendre les choses en main et à l’autodéfense par tous les moyens. Prêts à tout perdre, certains résidents ont pris les armes, souvent avec l’aval ou en coopération avec la police, pour créer des milices de quartier. Si plusieurs ont des fusils, la machette et la force du nombre semblent être les armes les plus redoutables.