L’accord de libre-échange entre le Canada-Union européenne sur la brèche

LUDOVIC LAMANT, extrait d’un texte paru dans médiapart, 21 septembre 2018

 

Un an jour pour jour après son entrée en vigueur provisoire, le 21 septembre 2017, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) n’a toujours pas été mis en débat, et encore moins ratifié, à l’Assemblée nationale.

Du côté de l’exécutif, on avance deux arguments, pour justifier ce report officieux. D’abord, le gouvernement attend les conclusions d’une étude d’impact du CETA sur l’économie française, réalisée par des économistes du CEPII, et qui prend du temps.  Autre explication, Paris a choisi d’attendre l’avis de la Cour de justice de l’UE sur la compatibilité de la disposition la plus sulfureuse du CETA, le mécanisme d’arbitrage, avec les traités européens. Ce chapitre « investissement » du CETA autorise des entreprises à attaquer des États en justice. Pour ses promoteurs, il s’agit de renforcer la sécurité juridique des investisseurs privés. Pour ses adversaires, le mécanisme revient à miner la capacité des États à passer des lois de manière souveraine.

C’est la Belgique qui avait saisi, dans la foulée de la « résistance wallonne » au CETA emmenée par le socialiste Paul Magnette en 2016, la Cour de justice de l’UE. L’avis est attendu pour le printemps 2019, en pleine campagne des européennes.

Le report de la ratification du CETA révèle aussi les hésitations de l’exécutif, qui se sait isolé sur ce dossier controversé, à l’approche du scrutin de mai 2019. Sur des registres différents, Marine Le Pen (RN), Jean-Luc Mélenchon (FI), Olivier Faure (PS), Yannick Jadot (EELV) ou encore Benoît Hamon (Génération.s) ont tous exprimé leur opposition au texte. À ce stade, LREM est le seul groupe parlementaire à défendre ouvertement le traité, avec des nuances entre les députés de la majorité.

Mais Paris n’est pas la seule des capitales à traîner des pieds. La Belgique, où pas moins de sept assemblées doivent être consultées. En Italie, le gouvernement d’extrême droite M5S-Ligue a prévenu qu’il s’apprêtait à rejeter le texte.

Sans surprise, la commissaire européenne au commerce s’est félicitée, dans un communiqué tonitruant jeudi 20 septembre, des premiers effets du CETA : « Les exportations ont globalement augmenté, voire explosé dans de nombreux secteurs », écrit Cecilia Malmström, citant en particulier les produits pharmaceutiques ou les cosmétiques. Mais cette salve de chiffres difficiles à vérifier, et qui n’intègre pas d’indicateurs autres que commerciaux, suffira-t-elle pour convaincre les États d’accélérer la procédure de ratification ? Il avait fallu plus de quatre ans pour la ratification complète de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Corée du Sud, après le vote du parlement de Strasbourg.

Malgré les crispations italiennes sur le CETA, la commission continue de miser sur le libre-échange comme remède quasi exclusif aux crises qui fissurent le projet européen.

Il reste, encore et toujours, le spectre du TTIP (ou TAFTA pour ses adversaires), qui semblait enterré avec l’élection de Donald Trump en 2017, mais qui est revenu sur le devant de la scène, à la faveur d’une visite de Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne, à Washington, cet été.

Depuis, les spéculations sur un « TTIP bis » vont bon train, même si la relance de discussions pour un accord global semble peu probable – notamment parce que Paris, à ce stade, s’interdit de négocier des accords avec des pays qui refusent de respecter l’accord de Paris sur le climat (ce qui est le cas des États-Unis de Trump). Il s’agirait plutôt d’accords sectoriels plus modestes entre Bruxelles et Washington, en réaction aux tensions entre les États-Unis et la Chine.

À l’occasion de l’anniversaire du CETA, nombre d’ONG continuent, elles, de s’inquiéter des effets néfastes de ce traité sur les normes sanitaires et de ses dangers pour le climat. Elles insistent sur la manière dont les « forums de coopération » entre Canadiens et Européens, qui doivent permettre d’élaborer des normes industrielles communes pour faciliter les échanges commerciaux, renforcent le poids des lobbies industriels dans la prise de décision.

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