BENJAMIN JOYEUX, Médiapart, 4 février 2021
Tout juste 20 ans après son 1er RDV à Porto Alegre, le FSM vient de se réunir virtuellement, Covid 19 oblige, durant 9 jours. Presque 800 activités étaient proposées pour plusieurs milliers de participants en provenance de tous les continents. L’altermondialisme continue sur la Toile de tracer son chemin pour un « autre monde possible » malgré la pandémie et l’indifférence médiatique.
Du 23 au 31 janvier, pour son 20ième anniversaire, le Forum Social Mondial s’est tenu en ligne, dans l’impossibilité de se réunir physiquement en pleine pandémie de Covid 19. Chacun chez soi derrière son écran, l’anniversaire de ce rendez-vous incontournable des altermondialistes de toute la planète avait un goût un peu amer, habitué aux réunions physiques et rencontres festives cosmopolites sur fond de musique brésilienne ou africaine.
Néanmoins, cela n’a pas empêché l’organisation de très nombreux débats sur tous les grands sujets du moment, climat, démocratie, féminisme, justice sociale, alternatives économiques, droits des minorités, droits des peuples autochtones, ou encore bien entendu pandémie et enjeux autour des vaccins.
Quant à la participation, elle a plutôt été assez soutenue tout au long de cette édition 2021, avec 6000 personnes inscrites la veille de son ouverture et plus de 10 000 participants enregistrés au pic de sa fréquentation. S’agissant d’un forum préparé à peine trois mois plus tôt, il s’agit donc pour ses organisateurs d’un succès assez inattendu et bienvenu en ces temps de pandémie mondiale, où la tendance est plutôt au repli derrière les frontières nationales. Ainsi pour Gus Massiah, ancien ingénieur membre du Conseil scientifique d’Attac et parmi les personnalités fondatrices du FSM : « le pari de savoir si l’altermondialisme existe encore est gagné. Internationalisme et altermondialisme sont toujours bien présents ». Et utiles, comme le souligne Catherine Gaudard, coordinatrice exécutive du CRID[1] pour qui « le FSM continue d’être pertinent pour coordonner les luttes et les élargir avec de nouveaux acteurs ».
Ce succès de fréquentation et d’organisation reste pourtant relatif, étant donnée l’indifférence constatée de la presse.
L’angle mort médiatique
La semaine passée, la presse a bien couvert le Forum économique mondial de Davos, qui se réunissait également en ligne du 24 au 29 janvier. Ce congrès annuel des milliardaires et « élites » de la planète, privés de la présence physique habituelle des grands de ce monde, n’a pourtant pas offert de nouvelles retentissantes, si ce n’est d’offrir en ouverture une tribune bienvenue pour le dirigeant autoritaire chinois Xi Jinping, se présentant opportunément en nouveau « champion du multilatéralisme »[2].
Malgré la richesse de ses débats, son meilleur ennemi le FSM n’a pas eu droit aux mêmes égards de la presse. Très peu de médias en ont parlé, en particulier dans l’espace francophone, à l’exception du journal genevois Le Courrier qui y a consacré deux articles[3].
Certaines questions abordées y étaient pourtant d’intérêt public, comme l’accès universel à la vaccination contre la Covid 19 pour les pays africains, abordé notamment par Mamadou Mignane Diouf, militant sénégalais témoignant en ligne depuis Dakar ne « même pas savoir quand ni comment commencer à vacciner ».
Comment expliquer une telle indifférence des médias ? Savaient-ils déjà que ce forum avait lieu ? Rien n’est moins sûr.
Pour Jean Rossiaud, sociologue, député Vert au Grand Conseil de Genève et habitué des forums sociaux : « Le grand défi reste pour le FSM de mieux communiquer à l’attention des mouvements sociaux locaux, pour que ceux-ci relayent ensuite plus systématiquement l’information à la presse et au grand public. Il faut aussi se servir davantage des nouveaux outils collaboratifs offerts par le web et permettant une plus grande intelligence collective. »
Quoi qu’il en soit, malgré le silence médiatique, pour le peuple « alter » (syndicats, ONG, associations, mouvements des femmes, représentants des peuples autochtones…), le FSM reste un outil de convergence globale incontournable et plus nécessaire que jamais en ces temps troublés de pandémie et de replis derrière ses frontières. Ainsi rendez-vous est d’ores et déjà pris au Mexique en 2022, si bien entendu le virus le permet.
La virtualité de l’évènement avait un certain avantage, comme l’a souligné lors d’une conférence le français Jérémie Chaumette, directeur général de France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand : « la barrière des frais de voyage a pu être rompue ». En effet, à chaque nouvelle édition du FSM, comme par exemple lors de celle de Salvador de Bahia en mars 2018, la question des frais de voyage en particulier pour les participants en provenance de pays pauvres ou/et lointains, se pose toujours avec beaucoup d’inquiétude quant au respect de l’équité. Là pour le coup, la pandémie a mis tout le monde à égalité derrière son ordinateur (si l’on excepte bien évidemment les différences d’accès au web et de qualité du matériel informatique), chacun pouvant se connecter aux thématiques de son choix et organiser son propre atelier virtuel à moindre frais.
[1] Centre de Recherche et d’Information pour le Développement https://crid.asso.fr/
[2] Ecouter notamment sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/affaires-etrangeres-emission-du-samedi-30-janvier-2021
[3] Lire https://lecourrier.ch/2021/01/22/le-vrai-defi-dun-fsm-virtuel/ et https://lecou