Le FSM 2024 a raté son rendez-vous avec le gouvernement népalais – Dr Lok Bhattarai!

Carminda MacLorin, directrice de Katalizo et animatrice du Collectif québécois En route vers le FSM 2024 à la tribune de la cérémonie de clôture - crédit photo comité organisateur népalais du FSM 2024

Entrevue avec Lok Bhattarai par Kira Cuerrier, membre de la délégation québécoise au FSM 2024.

Dr Lok Bhattarai est un observateur politique et un militant associatif népalais. Dans une lettre d’opinion publiée1 dans un grand média népalais au lendemain du FSM, Dr Bhattarai ne croit pas au succès du FSM que le comité organisateur du FSM 2024 de Katmandou prétend qu’il fut. Il reconnait que plusieurs personnes provenant de l’étranger y ont assisté et que ça constitue une réussite, mais il est déçu de ce qui en est sorti, considérant le potentiel de l’événement.

Pour lui, le FSM aurait pu être doublement historique : à la fois dans l’histoire du Népal et dans l’histoire du FSM. Pour ce faire, la collaboration avec le gouvernement népalais était nécessaire. Selon lui, le comité organisateur du FSM devait impliquer le gouvernement, dont l’idéologie correspond avec les valeurs de l’événement. La collaboration du FSM avec le gouvernement aurait permis un impact majeur sur les mouvements sociaux au sein du pays, considérant notamment la grande participation de citoyen.nes népalais.es lors de l’événement. Le comité organisateur doit assumer sa part de responsabilité, étant donné qu’il n’a pas été suffisamment proactif dans leur vision et dans leurs actions.

Cependant, le gouvernement népalais évite de montrer son orientation de gauche dans ses actions selon Dr Bhattarai. Il reconnait des progrès en santé, mais il constate aussi qu’il prend peu d’initiatives pour se préoccuper des problèmes de la population, malgré ce que dit le manifeste du parti au pouvoir. Toutefois, il croit que la collaboration était possible, puisque le FSM reprend les valeurs des partis de gauche dans le monde et que le gouvernement souhaite le développement et une économie alternative.

Considérant le climat sociopolitique népalais, Dr Bhattarai critique le peu d’indépendance des mouvements sociaux dans le pays. En tant que militant des mouvements sociaux, il considère que les gens manquent de confiance en eux et envers le gouvernement. Ce sont les ONG qui expriment les problèmes des populations locales des villages, qui ont toutefois leurs propres objectifs. Aussi, ces organisations manquent souvent d’information sur les processus gouvernementaux et judiciaires, notamment sur les projets de loi. Pour lui, les agents du changement les plus efficaces sont les mouvements locaux et communautaires qui, pour l’instant, manquent d’organisation, de confiance et de coordination pour avoir un impact.

Dr Bhattarai croit que le développement d’une économie alternative est possible, malgré la large dépendance du Népal des contributions des migrant.es népalais.es à l’étranger et en considérant la position géopolitique du pays, coincé entre l’Inde et la Chine, certes, l’exode des jeunes, aussi connu comme le «brain drain» est réel, mais témoigne de l’inaction et de manque de volonté du gouvernement, selon Dr Bhattarai. Pour lui, il est nécessaire d’offrir une meilleure éducation en entrepreneuriat, de soutenir les PME et d’investir dans l’agriculture locale. Ainsi, les jeunes du Népal ne ressentiraient pas le besoin d’émigrer pour se faire une meilleure vie et soutenir leur famille.

Dr Bhattarai considère que l’Inde n’a pas de grandes ambitions pour contrôler le Népal, tant que le pays maintient une frontière sécurisée, coopère en matière de partage de l’eau, et garde des relations amicales avec le pays. L’Inde ne va pas interférer dans la politique népalaise. Quant à la Chine, elle a encore moins intérêt à gérer ce qui se passe au Népal, malgré le fait qu’il y a une croyance répandue que les partis communistes népalais sont sur la même longueur d’onde que le PCC. ce qui n’est pas le cas selon lui.

Ainsi, que faire de cette conversation? Après avoir considéré les avis de Dr Bhattarai en matière de politique népalaise, de mouvements sociaux, et d’économie au Népal, je comprends que le pays a beaucoup de chemin à faire. Cependant, on doit aussi considérer l’histoire du Népal, et les effets que le conflit armé a eus sur le pays sur de nombreux plans : économique, psychologique, sociétal, culturel, et autres. L’espoir pour le pays dépend largement de son gouvernement, et sa volonté à tenir ses promesses de véritablement agir dans le but d’améliorer la vie du peuple de manière durable.

Pour le Dr Bhattarai, les FSM pourraient avoir un plus grand impact, si l’équipe d’organisation locale s’engage à mobiliser les gouvernements locaux et les parties prenantes du pays hôte, afin d’avoir un maximum d’impacts sur eux. Si les FSM amènent des changements dans le pays hôte, ceci peut servir d’exemple de développement alternatif au niveau international. Pour le Bhattarai, les comités d’organisation des FSM doivent prendre de tels risques auprès des gouvernements et de la société civile, afin d’améliorer directement les conditions de vie des peuples des pays hôtes.


Dr Lok Bhattarai est détenteur d’un doctorat en Études en santé communautaire de l’Université de Leeds Beckett au Royaume-Uni. Aussi associé au Collège Sheridan au Canada, il est impliqué socialement au Népal dans le but de promouvoir les entreprises locales.

  1. Bhattarai L. 2024, WSF 2024 reveals true face of Nepal’s communist rulers, My Republica, 19 mars 2024 []