Le gouvernement canadien fait fausse route sur le Venezuela

 

Marcelo Solervicens, 1 février 2019. (Pour lire l’article avec les liens vers les sources d’information visiter le blog marcelosolervicens.org)

Personne ne peut affirmer avec certitude, ce qui arrivera au Venezuela suite à l’offensive actuelle contre la démocratie bolivarienne. Les informations renforcent la perception que loin d’être vénézuélienne, la solution Guaidó a été concoctée à l’extérieur du pays. Qu’elle est censée aider une opposition vénézuélienne radicale, en mal d’appui intérieur depuis 1997. Des opposants qui n’acceptent pas l’ordre constitutionnel bolivarien. Qui ont finalement abandonné depuis 2017, tout intérêt pour participer aux élections.

Or, selon la presse canadienne, le gouvernement canadien a contribué au montage d’une stratégie d’unification de la droite qui poursuit un changement de régime, sous couvert de rhétorique démocratique. Le Canada joue le second violon de Mike Pompeo, Marc Rubio, Mark Pence et John Bolton. Pourtant cette stratégie a connu des ratées diplomatiques : elle a échoué à l’OEA et au Conseil de sécurité. Elle est loin de susciter l’appui enthousiaste du peuple vénézuélien. Bien qu’elle soit présentée comme une occasion d’affaires qui signifieraient un retour aux années 90. Aussi, le rôle de premier plan de Washington a refroidi les Latino-Américains. Ils se rappellent autres interventions étrangères du XXe siècle qu’on très mal terminé.

En accueillant le Groupe de Lima (sans le Mexique) le 4 février, le Canada insiste dans la radicale et violente solution Guaidó, une guerre d’attrition à laquelle personne n’attribue une fin heureuse. La ministre Chrystia Freeland et l’actuel premier-ministre Justin Trudeau auraient pu s’inspirer davantage de Pierre Elliot Trudeau. Celui-ci n’a pas embarqué le Canada dans une aventure qui viole le droit international de non-ingérence. Le soutien populaire dont compte le gouvernement de Nicolas Maduro, malgré une situation économique difficile, ne fait pas de doute. L’appui de l’armée, partie intégrante du processus de la révolution bolivarienne, l’est autant.

La conférence convoquée par le secrétaire général de l’ONU, le Mexique et l’Uruguay pour le 7 février, semble plus crédible. Elle appelle la communauté internationale à exercer un rôle de médiation dans un contexte de polarisation aiguë. Une offensive contre la démocratie bolivarienne Juan Guaidó s’est autoproclamé président par intérim du Venezuela le 23 janvier, lors d’une manifestation : pas à l’Assemblée nationale. Devenu le 5 janvier, le président de l’Assemblée nationale, il n’a obtenu le poste que parce que c’était le tour du parti d’extrême droite Voluntad Popular, du controversé Leopoldo Lopez. C’est ainsi que même s’il a juré « devant Dieu tout puissant » et une main sur le cœur, son autoproclamation avait quelque chose de programmé. L’invocation par Guaidó de « l’abandon de fonctions » du président Maduro, d’après l’article 233 de la Constitution bolivarienne, s’éloigne des faits.

Nicolas Maduro a effectivement juré le 10 janvier devant la Cour suprême vénézuélienne. Le seul argument de la droite pour invoquer l’article 233 est qu’elle n’a pas reconnu la réélection de Nicolas Maduro le 10 avril 2018. Les observateurs considèrent que si la droite vénézuélienne n’a pas participé au scrutin présidentiel, c’est qu’elle n’est pas arrivée à se mettre d’accord sur un candidat commun. D’ailleurs, l’option du gouvernement parallèle était loin de faire l’unanimité des opposants au gouvernement. Henrique Capriles l’ex-candidat présidentiel défait de la droite vénézuélienne craignait ouvertement que cette aventure ne détruise l’Assemblée nationale. Bien que l’Assemblée nationale soit un des cinq pouvoirs de l’État de droit bolivarien; elle n’a pas de pouvoir législatif effectif puisqu’elle a été mise en veilleuse pour outrage à la Cour suprême en 2017 et remplacée par une assemblée nationale constituante élue la même année. Tout indique que l’opposition radicale a abandonné la joute démocratique. L’analyste Alejandra Loucau souligne que l’opposition voit le coup d’État comme le seul moyen pour renverser le chavisme. D’ailleurs, les mobilisations sociales de 2017 n’ont pas réussi à séduire les forces armées bolivariennes. Elles ont refusé et refusent toujours, de faire un coup d’État contre Maduro.

Une offensive qui a du plomb dans l’aile

La Table de l’unité démocratique (MUD) a implosé et la droite s’est balkanisée. L’actuelle offensive est dominée par une droite vénézuélienne qui ne veut pas de négociation. Elle a forcé l’abandon des négociations conduites par José L. Rodriguez Zapatero à Santo Domingo en février 2018, qui se sont néanmoins traduites par les élections présidentielles en avril de cette année. Cette droite a préféré insister sur le coup d’État et l’intervention étrangère. Guaidó a encore refusé l’offre de dialogue de Nicolas Maduro le 25 janvier le qualifiant de «faux dialogue».

Il reste à prouver que Maduro est si impopulaire. L’opposition d’extrême droite n’a pas participé dans le scrutin qui a réélu Maduro en mai 2018, même si elle exigeait de telles élections. En niant toute possibilité de reconnaissance de l’État de droit bolivarien et du dialogue avec le gouvernement, la solution Juan Guaidó méconnait la popularité et les possibilités de résistance du chavisme au pouvoir. Ceci fait craindre une escalade de violence sans issue démocratique. Toutefois, la solution Guaidó n’a pas réussi à remobiliser les Vénézuéliens depuis le 23 janvier. Les observateurs sur le terrain soulignent que les manifestations du 30 janvier n’ont pas eu la massivité à laquelle on se serait attendu. Elle n’a pas été suivie dans les quartiers populaires. Marco Teruggi lui qualifie de président 2.0, virtuel. Il faut accepter que toute solution à la situation vénézuélienne requière l’inclusion des acteurs et le respect des règles démocratiques de l’état de droit bolivarien. Le fait est que, malgré une sévère crise économique résultante des fluctuations des prix du pétrole, de la campagne nationale et internationale de déstabilisation de l’économie, et de problèmes de gestion nationale; le président Maduro conserve un soutien populaire important.

Une offensive dirigée par Washington

N’ayant aucun pouvoir exécutif au Venezuela, Juan Guaidó demande dans une colonne au NYT le soutien international. Il nomme des représentants aux États-Unis et ailleurs. La réussite de la solution Guaidó dépend du soutien international, surtout de celui de Washington pour aboutir. Guaidó a effectivement coordonné sa stratégie avec l’équipe de Trump selon Josh Rogin au Washington Post. Malgré les nouvelles sanctions contre PDVS et Citgo et l’offre des fonds vénézuéliens à l’extérieur du pays pour financer le gouvernement Guaidó, la réussite du changement de régime est incertaine. La peur des velléités de Washington est un puissant pour plusieurs gouvernements. Sur le plan interne, la relation de forces en présence n’a pas évolué. La Cour suprême (TSJ), l’Assemblée nationale constituante et les forces armées ont toutes réaffirmé un soutien sans réserve à la Constitution et au président Nicolas Maduro. Les possibilités de changement d’allégeance de l’armée bolivarienne ne semblent pas à l’ordre du jour. Il faut rappeler que l’armée est partie prenante de la révolution. Une expérience que rapproche la révolution bolivarienne davantage de Velasco Alvarado que de la révolution cubaine de Fidel Castro. La dernière mutinerie, le 21 janvier à Macarao fut maté rapidement. Le changement de camp de l’attaché vénézuélien à New York, José Luis Silva est présenté en victoire, reste un geste isolé. L’armée bolivarienne, forte de 365 000 soldats et 1,6 million de réservistes (selon le Monde) soutiennent indéfectiblement le gouvernement Maduro. La solution Guaidó comporte des risques de dérapage.

Rappelons la controverse pour le « message » du conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton : il s’est laissé photographier avec des notes évoquant l’envoi de « 5000 soldats en Colombie ». Le président de l’Assemblée nationale constituante Diosdado Cabello lui a répondu avec des notes sur les 2 millions de miliciens bolivariens prêts à faire face à une menace militaire états-unienne. Or, la clé de voute de l’offensive de la solution Guaidó est toujours le changement d’allégeance de l’armée. Comme au Chili en 1973, samedi et dimanche la droite a frappé aux portes des casernes en distribuant des copies d’une loi d’amnistie pour des militaires putschistes, sans le même résultat. Aussi, l’évidence est que si la déclaration de Juan Guaidó a fait le tour du monde et fût prise au sérieux, c’est parce que Donald Trump l’a soutenu. Son administration apparaît comme l’artifice de cette nouvelle offensive contre la démocratie bolivarienne.

Tout indique qu’il s’est établi une alliance entre l’extrême droite vénézuélienne et un président dont le souci démocratique s’éclipse souvent devant une volonté de rétablissement de la puissance américaine dans son arrière-cour. Le retour de la Doctrine Monroe maintes fois répétée par le vice-président Mike Pence. Explique que l’isolationnisme du Make America Great Again, s’applique également à sa cour arrière. À cela s’ajoute que Mike Pompeo d’Elliott Abrams a choisi Elliott Abrams, comme responsable de restaurer la démocratie au Venezuela. Un nom qui réveille des cauchemars aux latino-américains. Il fut, entre autres, l’artifice du scandale Iran-Contras sous le président Ronald Reagan.

Le Canada et l’Amérique latine relégués au rang subalterne

La montée en puissance de la droite latino-américaine s’est appuyée sur la diabolisation de la révolution bolivarienne. Plusieurs élections ont été gagnées par l’assimilation des progressismes locaux au chavisme. La droite latino-américaine a critiqué le rôle du chavisme dans la mise sur pied d’instances d’intégration proprement latino-américaines (Unasur, l’Alba). Il a critiqué le réformisme du socialisme du 21é siècle et, sa contribution alternative aux échecs du néolibéralisme dans les années 90. Ceci explique que le renversement du chavisme au Venezuela serait un exploit. Il confirmerait la restauration des oligarchies dans la région. Pourtant, et malgré le fanatisme anti-vénézuélien du Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, ils n’ont pas réussi depuis 2014, à condamner le Venezuela de violer la Charte démocratique interaméricaine. Suite aux échecs, ils ont mis sur pied le Groupe de Lima, avec Les États-Unis et le Canada. Un sous-groupe dont la seule mission était la critique du gouvernement Maduro. Or, bien qu’à l’origine de la solution Guaidó, les gouvernements du Canada et des pays latino-américains membres du Groupe de Lima se sont effacés devant les émissaires de Trump. Ils ont laissé toute la place à son vice-président Mike Pence et son secrétaire d’État, Mike Pompeo. Ceux-ci ont mené les attaques contre Maduro, et cela ne ferait que commencer, car le conflit est devenu géopolitique.

Normalement, l’annonce de la présidence par intérim de Juan Guaidó, aurait fait long feu, et serait tournée au ridicule, ou reléguée aux faits divers surprenants propres à une nation latino-américaine. La puissance de Washington a transformé l’annonce en possibilité de changement de régime. Une politique qui n’est pas proche d’aboutir pacifiquement. On est forcés de constater que l’actuelle offensive contre la démocratie bolivarienne est menée par l’actuelle administration américaine. ABC Internacional annonçait la veille qu’un vidéo du vice-président Mike Pence en appui aux manifestations de mercredi s’inscrivait dans la stratégie de Washington de nommer Guaidó comme président par intérim du Venezuela. Et qui ne fait pas l’unanimité en Amérique latine  La solution Guaidó augmentera la violence au Venezuela. D’après le président Maduro, « ici, personne ne se rend » parce qu’elle s’attaque à l’État de droit d’une constitution bolivarienne, adoptée par référendum populaire. Plus largement, elle s’attaque à l’autodétermination des peuples du droit international. Ce qui est loin de faire l’unanimité dans la communauté internationale.

Malgré les affirmations au contraire, le Venezuela n’est pas si isolé. Signe des temps, la majorité des pays de l’OEA, ont résisté le jeudi 24 janvier aux pressions du Secrétaire d’État Mike Pompeo pour appuyer la solution Guaidó. Washington et le Groupe de Lima ont échoué au test de l’OEA. Pourtant, cette organisation régionale a été inféodée traditionnellement à Washington. Des gouvernements latino-américains appuient le gouvernement Maduro : La Bolivie, Cuba, le Salvador, Nicaragua, Trinidad Tobago. D’autres sont contre l’intervention ou pour les négociations. Le nouveau président du Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) est revenu à son ancienne politique de non-ingérence dans les affaires internes d’autres États. L’Uruguay et d’autres pays latino-américains vont dans le même sens. La majorité des pays du CARICOM sont pour la non-ingérence et une solution négociée. (Barbade, Belize, Dominica, Antigua, St-Vincent, Suriname, Trinidad et Tobago, entre autres.)

Le Mexique, l’Uruguay et le secrétaire général de l’ONU invitent pour le 7 février à une conférence internationale sur la situation au Venezuela, ce qui constitue une alternative à la solution Guaidó. Ni dans le monde Aussi, le samedi 26 janvier, ce fut le tour de Conseil de sécurité de l’ONU de bloquer la reconnaissance de Guaidó exigée par Mike Pompeo. À différence de l’attaque contre la Libye de Kadhafi, cette fois, la Russie et la Chine ont imposé leur veto. Ceci équivaut à un questionnement de la zone d’influence américaine par d’autres puissances internationales. D’ailleurs, le soutien à Maduro de la Russie, la Turquie, l’Iran, la Chine, l’Afrique du Sud, la Syrie, la Corée du Nord, entre autres, indique une internationalisation de la situation vénézuélienne.

La solution Guaidó, proposée par Washington, est crainte, parce qu’elle créerait le précédent d’une autoproclamation. L’Union africaine et des pays africains ont également refusé de reconnaître Guaidó. L’Italie argumente le principe de non-intervention des Nations Unies et propose la réconciliation. C’est le cas également de l’Inde. Aussi, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en réponse à la lettre exigeant l’aide humanitaire de Guaidó, a clarifié que le cheminement de celle-ci doit être coordonnée avec le gouvernement de Nicolas Maduro.   Mike Pompeo, le secrétaire d’État de Donald Trump, au Conseil de sécurité de l’ONU le 26 janvier Malgré la résolution d’un parlement européen aux pouvoirs limités l’Union européenne hésite toujours à appuyer la solution Guaidó et reste vague. Bien que, comme dans les temps de Bush, le secrétaire d’État de Donald Trump, Mike Pompeo a invité les membres du Conseil de sécurité de l’ONU à choisir leur camp, seulement six pays européens ont réagi. L’Espagne, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Portugal et les Pays bas ont suivi. Ils ont donné un ultimatum jusqu’au 3 février pour obliger Maduro à décréter des élections libres. Sous peine de reconnaître Guaidó. Maduro a déjà refusé l’ultimatum.

Perspectives incertaines

Le Venezuela est face à des perspectives incertaines selon un journaliste du Guardian britannique. Les scénarios sont confus. La seule certitude est l’enlisement du conflit et de la polarisation. Suite à l’échec diplomatique de la solution Guaidó, c’est la guerre d’usure contre le gouvernement de Nicolas Maduro. Du point de vue économique, l’annonce de nouvelles sanctions contre la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne (PDVSA) fait craindre le renforcement du boycottage de l’économie du Venezuela. Cela signifie le blocage de 7 milliards d’actifs vénézuéliens et une perte de 11 milliards en revenu annuel. Il fait même de la pression sur les réserves d’or du Venezuela à l’étranger. Guaidó exige que la Banque d’Angleterre lui transfère 1,2 milliard en £ congelées au Royaume-Uni. Celui-ci a déjà annoncé qu’il prendrait le contrôle de ses actifs à l’étranger. John Bolton a déjà manifesté clairement en entrevue à Fox Business, l’importance accordée par Washington à un libre accès au pétrole vénézuélien. Washington a opté pour la stratégie de l’asphyxie économique du Venezuela. Réussira-t-il à la mettre à faire plier le Venezuela? Créera-t-elle, l’effet contraire de renforcer le caractère de défense de la nation devant la menace étrangère? Maduro s’est vu forcé de dévaluer en 34,48% le Bolivar pour faire face à l’offensive économique.  Le Plan Pais de Guaidó est un rappel des allégeances de droite de Guaidó et ses alliés. Il s’apparente à un retour des politiques néolibérales des années 90. Au retour des pétrolières et des occasions d’affaires pour les investisseurs et un État réduit. Rien pour séduire une armée bolivarienne qui est partie prenante de la révolution bolivarienne. Elles ne soulèvent pas l’appui de la majorité des Vénézuéliens. Les élections anticipées de l’assemblée nationale, offerte par Maduro seraient une possibilité de sortie. Cependant, l’opposition radicale refuse, elle veut une sortie en rupture avec l’état de droit bolivarien. La polarisation est de mise, avec son lot de confrontation dans les rues. Le scénario d’une intervention armée directe des États-Unis et de ses alliés colombien ou brésilien semble écarté pour le moment. La puissance de l’armée bolivarienne la déconseille.

Cependant, comme dans l’expérience chilienne, cela n’empêche pas l’augmentation des groupes violents qui ont recours à des attentats. Un scénario qui rendrait encore plus violente la société vénézuélienne. L’utilisation d’un couloir humanitaire par l’opposition, proposée par Guaidó, ne compte pas sur l’appui de l’ONU. Tout indique que le Canada, d’habitude, très éloignée des jeux de pouvoir en Amérique latine, s’est placé dans une mauvaise posture. Il doit redéfinir son rôle dans le Groupe de Lima. La conférence convoquée par le secrétaire général de l’ONU, le Mexique et l’Uruguay pour le 7 février, semble plus crédible. Elle appelle la communauté internationale à exercer un rôle de médiation dans un contexte de polarisation aiguë.

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