Rachida El Azzouzi et Lilia Blaise, Médiapart, mars 2020
«Quand on voit ce qui se passe en France, en Italie, les systèmes de santé au bord de l’implosion, alors qu’ils sont parmi les meilleurs d’Europe et du monde, comment les nôtres, déjà très fragilisés, peuvent-ils tenir et affronter une crise pareille sans que cela ne soit un massacre pour nos populations, en grande partie pauvres ? »
À l’instar de celle qu’exprime ce médecin généraliste dans le Rif, une région déshéritée du nord du Maroc jusque-là épargnée, l’inquiétude est à son paroxysme au Maghreb, alors que la pandémie de coronavirus progresse : 94 cas détectés, dont dix décès en Algérie ; 63 cas au Maroc, dont deux guérisons et deux décès ; 39 cas dont une guérison et un décès en Tunisie, selon les derniers bilans officiels que beaucoup estiment sous-évalués… Le Maghreb se prépare au pire et se barricade.
Conscient de ses limites sanitaires, le Maroc, 36 millions d’habitants, est le premier pays à avoir réagi et à avoir pris des mesures drastiques, bien plus rapidement que bien des pays européens. Il a bouclé ses frontières terrestres et aériennes avec une trentaine de pays. Il l’a fait en deux temps, d’abord avec les grands foyers européens la semaine dernière tels que la France ou l’Italie, mais aussi avec son voisin algérien, premier foyer de contamination en Afrique, puis avec une vingtaine d’autres pays à travers le monde, de l’Afrique à l’Amérique latine, en passant par le Moyen-Orient.
Une décision radicale qui lui a valu des critiques mais inévitable, compte tenu de la vitesse de propagation du virus, du tourisme de masse dans le pays et des moyens sanitaires largement défaillants du royaume. Le Maroc accueille chaque année en moyenne 13 millions de touristes. Plus personne n’ignore que voyager, c’est propager le Covid-19 à très grande échelle. Quant aux hôpitaux, ils vivent une situation dramatique, souffrent d’un manque de moyens humains et matériels criants.
Comme le rappelle ici l’épidémiologiste marocain Youssef Oulhote, « le grand danger est que la capacité hospitalière, qui est déjà très fragile au Maroc, soit saturée. Le nombre de lits hospitaliers au Maroc (1,1 lit pour 1 000 habitants) est très bas par rapport à des pays déjà submergés par le virus ».
Dans un article publié par l’association Tafra qui a beaucoup circulé, il estime fort probable que « le nombre réel des cas soit dix à cent fois supérieur, vu que le nombre de cas détectés reflète davantage le nombre de tests effectués par les pouvoirs publics que la réalité de la transmission sur le terrain ». D’après lui, il faut s’attendre à « des dizaines de milliers de cas au Maroc dans les semaines à venir ».
Selon l’une de ses hypothèses, « le Maroc pourrait avoir besoin de 400 000 lits d’hôpital, dont une partie significative nécessiterait soins intensifs et ventilation. Or, le Maroc ne dispose actuellement que de 30 000 à 40 000 lits d’hôpital, soit dix fois moins que nécessaire, en plus de la pénurie de médecins et de personnels hospitaliers ».
S’il n’est pas sans conséquences – des milliers de Marocains sont coincés à l’étranger et des milliers de touristes du monde entier sont encore bloqués au Maroc dans les aéroports du pays (Marrakech, Agadir pour les plus touchés), dans un chaos généralisé, les autorités des différents pays concernés étant dépassées –, le verrouillage des frontières est apparu comme indispensable sur le plan sanitaire pour contenir la progression de la pandémie. L’accès à tous les ports marocains sur la Méditerranée et l’Atlantique a également été temporairement fermé à tous les navires de plaisance, de croisière et de passagers.
Plusieurs autres mesures de restrictions sociales ont été prises. Les rassemblements de masse ont été annulés. Les écoles et universités ont suspendu leurs cours. Les lieux de socialisation – cafés, restaurants, cinéma, salles de sport, hammams, terrains de proximité, etc. – ont fermé. Même les mosquées, pour les cinq prières quotidiennes ainsi que celle du vendredi, ont baissé le rideau, ce qui a provoqué le courroux de quelques figures islamistes radicales, estimant que la santé ne devait pas passer avant la religion.
Ne tournent désormais que les commerces indispensables : les supermarchés, magasins d’alimentation générale, enseignes de livraison à domicile, banques et pharmacies. Les autorités ont également annoncé des restrictions et des opérations de désinfection dans les transports publics « plusieurs fois par jour ».
« Ce n’est pas encore la panique mais partout se rejouent les mêmes scènes vues dans les villes du monde entier : ruée sur les magasins et pharmacies, prix qui augmentent, rayons vides, etc. On craint les mêmes mesures de confinement qu’en Europe. On commence déjà à s’autoconfiner », raconte une habitante de Casablanca, qui ne sort plus de chez elle et déplore tout de même un sérieux manque d’information et de prévention dans un pays où près de la moitié de la population est analphabète ou illettrée. « Il faut sensibiliser les gens, les alerter, les informer. C’est une question de santé publique et d’intérêt national. »
Pour le sociologue Mehdi Alioua, confiner les Marocains chez eux « risquerait d’être la pire des solutions et la plus inefficace ». Il opterait plus pour des confinements ciblés et un dépistage généralisé, comme a fait la Corée du Sud, qui a un des taux les plus faibles de mortalité, alors que le pays était l’un des plus infectés. Une option qui n’est pas du tout privilégiée par les autorités, qui réfléchissent plutôt au confinement général et ont pratiqué moins de 300 tests, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a redit en début de semaine l’importance d’une politique de dépistage massif des populations. « Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés », a déclaré le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
« Dans un pays comme le Maroc, explique Mehdi Alioua, des millions de personnes achètent leurs denrées alimentaires au jour le jour, en fonction de ce qu’elles gagnent quotidiennement. Elles n’ont pas d’épargne, pas de revenus stables. Beaucoup n’ont pas accès à l’eau courante ni à l’électricité. Pour les personnes des catégories populaires et intermédiaires qui ont des revenus plus stables et un foyer avec les commodités où se confiner, leurs revenus sont trop modestes pour faire suffisamment de provisions. Elles ne tiendront pas des semaines, surtout les personnes qui ont besoin de certains soins ou de médicaments. »
Qui plus est, et c’est aussi valable en Algérie comme en Tunisie, dans ces pays en voie de développement, où l’écrasante majorité de la population est pauvre, les familles s’entassent à plusieurs sur de petites surfaces, entremêlant les générations, enfants, parents, grands-parents. Ce qui augure d’un confinement complexe, d’autant que plus les confinés sont nombreux, plus le risque de contamination augmente. « Si on les empêche par la force, dans les grandes villes, l’émeute ne tardera pas à venir. Cela serait le pire des scénarios, qui entraînerait panique généralisée, émeutes, pillages », note encore Mehdi Alioua.
Jeudi 19 mars, l’état d’urgence sanitaire a été décrété pour restreindre encore plus les déplacements de la population alors que le pays a enregistré plus d’une cinquantaine de cas en une semaine.
« Continuer le Hirak serait criminel, un danger mortel »
En Algérie, 42 millions d’habitants, premier pays africain à avoir déclaré un cas de Covid-19 le 25 février (un ressortissant italien arrivé mi-février à Alger), l’épidémie progresse dangereusement et gagne de nouvelles régions, plus d’une quinzaine aujourd’hui. À ce jour, 94 cas ont été confirmés, dont dix décès. Un chiffre trompeur qui doit être revu à la hausse, alors que le virus circule depuis bientôt un mois dans le pays, car, là encore, les structures de dépistage sont insuffisantes – l’Algérie n’en compte qu’une.
1 200 tests ont été effectués, selon le ministère de la santé. C’est cinq fois plus qu’au Maroc mais pas assez massif. Blida, où la population commence à s’autoconfiner, est la première wilaya (région) touchée par la pandémie. Si l’Algérie compte plus de lits hospitaliers que le Maroc (1,9 lit pour 1 000 habitants), la situation de ses hôpitaux n’est guère plus reluisante. Elle est aussi critique qu’au Maroc.
Gangrénés par la corruption, le manque de moyens humains et financiers, la pénurie de médicaments, le délabrement des infrastructures, ayant provoqué l’exode des médecins à l’étranger, notamment en France (ils sont plus de 10 000), les hôpitaux algériens sont le miroir grossissant des grands maux de l’Algérie, paupérisée par vingt ans de bouteflikisme. Alors que le pays consacre 10 % de sa dépense publique au secteur de la santé, soit presque le double du Maroc, que la médecine repose sur un principe cardinal valeureux, la gratuité, le système de santé algérien se détériore d’année en année.
Les échos qui parviennent des professionnels de la santé, qui, pour beaucoup d’entre eux, exercent encore sans protection en première ligne contre le Covid-19, et qui ne croient pas à la promesse présidentielle d’une augmentation des capacités des hôpitaux, notamment en lits de réanimation (à peine 400 en Algérie !) et en respirateurs, augurent de temps difficiles. Dans certains hôpitaux, c’est déjà la panique, comme en Kabylie, à Bejaïa, où des cas ont été détectés.
Mardi 12 mars, après un gros retard à l’allumage, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a annoncé une nouvelle série de mesures pour combattre le coronavirus, à commencer par la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes, du trafic maritime, à l’exception des bateaux de transport de marchandises.
Des dispositions qui n’étaient pas envisageables il y a encore quelques jours ont été prises, notamment la suspension de la prière du vendredi et des prières collectives dans les mosquées, ainsi que la fermeture des dernières. Il a également prononcé « l’interdiction des rassemblements et des marches, quelle que soit leur forme ou objectif ».
Voilà qui vise tout particulièrement le Hirak, le mouvement de contestation à l’œuvre depuis plus d’un an contre le régime algérien qui a déboulonné l’ancien président Bouteflika et qui réclame toujours la fin du système qui paralyse le pays depuis plus de vingt ans. Depuis des jours, une polémique divisait les militants du Hirak comme jamais depuis le début du mouvement en février 2019, dans les rues et sur les réseaux sociaux : faut-il ou non continuer la révolution, qui rassemble toujours des milliers de personnes, alors que la pandémie gagne du terrain dans le pays, qu’il est urgent de s’en protéger pour protéger les autres et empêcher la propagation. Si une majorité se dessinait pour faire une pause, beaucoup de hirakistes voulaient et veulent encore continuer.
« Des Algériens sont sortis ce mardi 17 mars marcher dans Alger en dépit du bon sens, de la raison, des recommandations des scientifiques et bien sûr contre l’impératif de préserver la santé d’autrui. C’est stupide, irresponsable et certains pourraient même dire criminel, car cela relève de la mise en danger d’autrui. Danger mortel. On voudrait propager encore plus le coronavirus qu’on ne s’y prendrait pas autrement. On voudrait donner des raisons pour les services de sécurité de réprimer les manifestants qu’on ne s’y prendrait pas autrement », fulminait sur Facebook le journaliste algérien Farid Alilat.
« Je ne suis pas un politicien ou une figure du Hirak, je suis un journaliste libre qui couvre les marches pour montrer aux Algériens et au monde cette révolution exceptionnelle. Je suspends ma couverture à compter de demain pour le bien de tous », tweetait pour sa part le journaliste Khaled Drareni, qui a été arrêté et incarcéré début mars, alors qu’il couvrait une manifestation réprimée par la police (relâché après quatre jours de prison, il reste visé par une enquête pour des accusations d’« appel à un rassemblement illégal » et d’« atteinte à l’unité nationale », liées à ses reportages sur le Hirak).
« Inventons une nouvelle manière de lutter en attendant de pouvoir reprendre la rue. Restons chez nous, tout en continuant à exprimer notre solidarité avec les détenus du Hirak, renchérissait pour sa part le militant des droits humains Saïd Salhi. Chacun le fera à sa façon à partir de chez lui, continuons à réitérer nos revendications pour une Algérie nouvelle mais mobilisons-nous aussi contre le coronavirus, priorité nationale. »
Comme partout dans le monde, les Algériens se ruent sur les marchés et les magasins d’alimentation générale pour se ravitailler. Semoule, farine, pâte, riz, légumes secs, détergents, eau minérale… Les rayons se vident et les prix flambent. On ne trouve plus de gel antiseptique ni de masques. Signe d’une prise de conscience en cours, des Algériens s’imposent de rester à la maison et des réflexes de distanciation sociale commencent à se mettre en place dans les rues, même si cela reste encore laborieux.
« Je n’arrive toujours pas à comprendre comment certains font pour prendre ça à la légère, alors que les pays les plus avancés dans le domaine de la recherche et de la technologie ont été contraints de déclarer l’état d’urgence et d’imposer les mesures les plus strictes pour limiter la propagation de ce virus », s’indigne une étudiante dans El Watan.
De nombreuses voix s’élèvent et appellent à rester chez soi, recommandant notamment aux plus vulnérables d’éviter les places publiques et les lieux de regroupement. Sur les réseaux sociaux, des groupes de médecins algériens lancent des appels de plus en plus nombreux pour l’instauration d’un confinement total de la population dès que possible. Certains appellent à l’instauration d’un « état d’urgence médical ».
Jeudi 19 mars, huit nouvelles mesures ont encore été annoncées parmi lesquelles la fermeture des cafés et restaurants dans les grandes villes, la suspension des liaisons ferroviaires et des transports collectifs urbains et régionaux, la mise en congés payés de 50 % des fonctionnaires, hormis ceux des services vitaux, ainsi que des femmes qui travaillent et qui ont des enfants en bas âge.
« Les gens réalisent l’importance de se protéger et de protéger ses aînés »
La Tunisie, 12 millions d’habitants, a enregistré 39 cas depuis le 2 mars, dont une guérison et un décès. Mais les autorités ont pris des précautions de stade 3 pour se préparer au pire, à cause de l’état du système de santé du pays, en crise depuis plusieurs années, et d’un contexte économique très fragile.
Difficile d’évaluer le niveau de confinement du grand Tunis. Entre les rues vides et les cafés et restaurants qui ferment à 16 heures, certains pourraient croire à une ville fantôme mais, en matinée, les plus téméraires continuent de sortir faire des courses ou de s’installer pour un « capucin » ou un « direct » (noms donnés aux café noisette et café crème) matinaux.
Certains mariages ont encore eu lieu, malgré l’interdiction des rassemblements. Plusieurs étrangers ou Tunisiens de retour de foyers de contamination ne respectent pas toujours le confinement dans les régions voisines, comme à Nabeul, où de nombreux citoyens ont dénoncé ceux qui dérogeaient à la règle de l’auto-isolement.
Mais, depuis mercredi 18 mars, il sera plus compliqué de se permettre ce genre d’écarts. Le président de la République Kaïs Saïed a indiqué dans une allocution télévisée que le couvre-feu serait imposé sur tout le territoire de 18 heures à 6 heures du matin : « Nous devons faire des sacrifices et nous montrer solidaires », a-t-il déclaré solennellement.
Sur le Facebook tunisien où près de sept millions de personnes se connectent chaque jour, les informations et blagues sur cette situation inédite fusent, tandis que les infox sont allègrement relayées, comme les nombreuses annonces de décès liés au coronavirus, plusieurs fois démenties. Si la majorité des Tunisiens fait preuve de résilience en raison de la dernière décennie, qui a vu défiler révolution de 2011, assassinats politiques, attentats et crises économiques, politiques et sociales à répétition, le coronavirus reste un fait nouveau, comme dans d’autres pays.
Sur Facebook, on s’échange des conseils ou l’on s’improvise expert, mais derrière les statuts alarmistes ou blagueurs, les bons conseils tels que l’usage du savon vert traditionnel versus le gel désinfectant ou le mot-dièse #Cheddarek (« Reste chez toi ») montrent aussi une prise de conscience progressive de la population de l’importance de se protéger et de protéger ses aînés. Dans beaucoup de familles tunisiennes, la tradition veut que les enfants habitent avec leurs parents même après le mariage, en construisant un étage, par exemple, au-dessus de la maison familiale.
La prise en charge et le respect des aînés sont des valeurs essentielles pour certaines familles. C’est le cas pour Selim, enseignant universitaire de 40 ans, qui réside à Sousse au-dessus de chez ses parents et partage tous les jours son quotidien sur Facebook pour tenter de se rendre utile. « Je fais les courses pour eux, je porte sans cesse un masque, des gants et j’utilise du gel. Je décontamine systématiquement tout ce qui entre dans la maison. Je sors avec des bottes en caoutchouc que je lave à l’eau de javel à chaque fois que je rentre, je les enlève sur le paillasson. Nous sortons seulement pour faire un tour au bord de la mer quand il n’y a personne. Je préfère me faire traiter de cinglé que d’irresponsable », décrit-il.
Leila Ben Gacem, 50 ans, est manager de maisons d’hôtes dans la médina de Tunis. Elle a fermé temporairement les lieux et s’est mise en quarantaine avec ses parents, les obligeant à revenir dans la maison familiale à Tunis. « Ils habitent normalement à Beni Khaled, pas loin de la ville de Nabeul, et je ne veux pas qu’ils soient isolés. Je les garde avec moi à Tunis et je leur montre l’exemple en me mettant moi-même en quarantaine. » Son père est légèrement diabétique et a 80 ans, sa mère fait de l’hypertension et a 72 ans. « Mon père me dit qu’il a plus peur de moi que du corona car je vérifie toujours ce qu’il fait, s’il s’est bien lavé les mains, etc… », rigole Leila.
Ses parents alternent entre Facebook et des promenades dans le jardin. Ils ont dû changer leurs habitudes, comme d’autres personnes âgées, pour faire face à un risque de contamination du virus. « Nous tentons de nous mobiliser avec d’autres associations locales pour que les personnes âgées n’aient pas à chercher à la poste, par exemple, leur retraite, comme chaque mois. Beaucoup de retraités la reçoivent par mandat et la retirent en cash pour pouvoir payer leurs factures et autres, et c’est un vrai souci, car cela les oblige à sortir et à faire des queues », témoigne Leila.
À Bizerte, un jeune et son association se sont d’ailleurs proposés pour s’occuper des courses des personnes âgées et de cette question. Dans la ville de Kerker, à une trentaine de kilomètres de Sousse, la municipalité a proposé aux personnes âgées de ne pas sortir et de leur amener directement les pensions.
À l’image de cette prise de conscience collective, le pays a aussi pris de nombreuses mesures bien avant d’arriver aux situations de ses voisins européens. Si seulement 25 cas ont été recensés pour le moment, les dépistages sont peu nombreux, avec seulement 450 tests effectués depuis le premier cas et près de 5 000 personnes en auto-isolement.
Le chef du gouvernement a annoncé la fermeture des mosquées au moment des prières, la suspension de la prière du vendredi, la séance unique de cinq heures par jour pour les travailleurs dans l’impossibilité de faire du télétravail avec des horaires en décalé pour éviter la congestion des transports en commun, la limitation des vols avec l’Italie et la France, la suppression des vols commerciaux et la fermeture des frontières maritimes. Sur le plan local, les municipalités, dont celle de Tunis, multiplient les contrôles pour désinfecter les grandes surfaces et vérifier que les cafés ne vendent plus les fameuses chichas, qui sont l’emblème national, désormais interdites pendant un mois.
Des points d’eau ont été installés près des grandes artères pour inciter les passants à se laver les mains, tandis que le ministère de la santé tient un point presse quotidien pour informer sur les nouveaux cas, la plupart issus de l’entourage de Tunisiens revenus de l’étranger ou d’étrangers arrivés en Tunisie début mars. Des Tunisiens de l’étranger ont mis en place des cagnottes pour tenter d’aider les hôpitaux, tout comme l’État, qui a mis en place une caisse de solidarité à laquelle les Tunisiens peuvent participer en faisant don d’une partie de leur solde de téléphonie mobile.
« Tout le monde se prépare et tente d’anticiper car nous savons que nous n’avons pas les moyens de gérer une crise. Rien qu’à l’hôpital régional de Gabès [dans le sud tunisien – ndlr] qui dessert près de 375 000 habitants, nous n’avons que 10 lits de réanimation et six appareils d’assistance ventilatoire. Les lits sont déjà occupés par des malades atteints d’autres maladies que le coronavirus », témoigne Mourad Thabti, un médecin de l’hôpital.
Les médecins sont ceux qui tentent d’alerter le plus la population en partageant au quotidien des chiffres et des faits que chacun connaît en Tunisie : le système de santé souffre d’un manque de moyens depuis plus d’une décennie et les médecins sont habitués à une médecine d’urgence. Avec seulement 331 lits de réanimation répartis sur tout le territoire pour les hôpitaux publics, le pays aura du mal à faire face à une crise similaire à celle que vivent ses deux voisins et principaux partenaires commerciaux, la France et l’Italie.
Face à cette réalité, beaucoup de Tunisiens et de secteurs se sont résignés à s’arrêter, malgré une économie chancelante. Anis Meghirbi, directeur commercial de trois hôtels entre Sousse et Djerba, deux villes touristiques, ferme un à un ses complexes. « Nous avions des touristes qui étaient là sur du long séjour, beaucoup de Belges et de Français qui passent une partie de l’hiver ici. Ils sont en train d’être rapatriés et nous, nous allons être dans l’obligation de fermer aussi pour respecter les mesures de confinement », explique-t-il.
Le secteur hôtelier, malgré une reprise du tourisme en 2019, n’a cessé de vivre des crises à répétition, dont celle de la faillite du tour-opérateur Thomas Cook en septembre dernier, qui a laissé près de 59 millions d’euros de créances en Tunisie. Parmi les secteurs impactés, outre le tourisme, qui risque de prendre un nouveau coup dans cette crise, il y a celui des travailleurs précaires tels que les ouvriers de chantier, les serveurs, les femmes de ménage, pour qui le code du travail tunisien ne prévoit aucune indemnité ou même recevabilité de l’employeur. Un vide juridique qui risque de laisser place à des tensions sociales en cas d’obligation de confinement total.
Le président de la République a d’ailleurs demandé mardi soir à ce que le pouvoir législatif planche sur des mesures pour alléger et échelonner les dettes des personnes ne pouvant pas payer leurs crédits en cas de confinement. Sur un plan plus global, il a demandé aux bailleurs internationaux de tenir compte aussi de la situation économique de la Tunisie pour les échéances de remboursement de la dette extérieure.
Comme au Maroc et en Algérie, les conséquences sanitaires, économiques et sociales risquent d’être terribles.