L’eau, un patrimoine commun et un droit universel

Kouandé, Bénin @Justin ABADJAYE CC BY-SA 4-0

À l’occasion de la journée mondiale de l’eau, une conférence mondiale des Nations Unies dédiée à l’eau s’ouvre aujourd’hui, et jusqu’à vendredi, à New York. Il y a quarante-six ans que les membres de l’ONU ne s’étaient pas réunis en sommet international sur l’eau douce, une ressource nécessaire à la vie et toujours peu accessible à toutes et tous. Cette conférence fut décidée en 2018 avec comme objectif officiel est de faire un bilan sur grands objectifs mondiaux sur l’eau, notamment sur l’accessibilité à l’eau douce et un objectif de développement durable pour 2030. L’importance de ce sommet n’est pas dans son caractère contraignant, mais permettrait de réviser la gouvernance mondiale de l’eau et ainsi la place du privé, dit-on. À suivre.

Nous reproduisons la déclaration du Forum alternatif mondial de Dakar qui s’est tenu à la même date l’an dernier. Il s’agit d’une prise de position d’organisations et de mouvements sociaux réunis à Dakar, en parallèle au Forum mondial de l’Eau, qui est aussi le rendez-vous des grandes entreprises internationales privées sur l’eau. Toujours d’actualité, elle exprime toute l’importance des enjeux.

La Rédaction

L’eau, un patrimoine commun et un droit universel

Déclaration du Forum alternatif mondial de Dakar 2022

Nous, représentantes et représentants des mouvements sociaux, des Organisations paysannes, des communautés autochtones, des femmes, des jeunes, des ONG et autres organisations de la société civile qui défendent le droit des populations à l’eau et à l’assainissement, nous nous sommes réunis à Dakar du 21 au 26 mars 2022 dans le cadre du Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME).

Le FAME a réuni des centaines de milliers de participantes et participants, venus de tous les continents, autour de panels, conférences, ateliers, expositions, projections de films documentaires, etc.

Le thème du FAME est « l’accès à l’eau et à l’assainissement est une question de santé publique et un baromètre de démocratie ». Le FAME s’est déroulé dans un contexte de changement climatique, de stress hydrique à l’échelle de la planète et de mondialisation néolibérale néfaste aux communautés. À la suite de riches échanges, il ressort que :

Les eaux douces ne représentent que 2,8 % des ressources hydriques, 1 % seulement est sous forme liquide et 0,7% est utilisée dans le monde dont :

  • 70% par l’agriculture irriguée soit 21% des terres cultivées, notamment par l’agrobusiness au détriment de l’agriculture familiale et paysanne;
  • 20% par les industries;
  • 10% uniquement pour les besoins domestiques.

Nos ressources en eau sont de plus en plus polluées et dégradées, par l’agriculture, l’élevage et la pêche industriels, les industries extractives, la déforestation massive, etc.

La pénurie d’eau affecte près de 40 % de la population mondiale :

  • Trois (3) personnes sur 10 n’ont pas accès aux services d’eau potable gérés de manière sûre.
  • Les corvées de l’eau, quelle que soit la distance du point d’accès, sont laissées aux femmes, aux jeunes filles et aux enfants, qui passent 200 millions d’heures par jour dans la collecte de cette eau, hypothéquant sûrement leur avenir.
  • Plus de (2.000.000.000) deux milliards de personnes manquent d’installations d’hygiène et sanitaires de base comme les toilettes et les latrines.
  • Plus de (700) sept cents enfants de moins de 5 ans meurent chaque jour de maladies diarrhéiques dues à la consommation d’eau non potable ou à un manque d’hygiène et d’assainissement.
  • Les inondations représentent 70 % des causes de décès liés aux aléas naturels.
  • Les défenseurs des droits humains, notamment ceux liés à la terre et à l’eau, sont victimes de manière croissante de violence et de répression ou encore d’intimidations.

Face à la gravité de cette situation, le FAME proclame que:

  • L’eau est une ressource vitale comme la terre, l’air, la faune et la flore. Ils sont notre patrimoine commun. Leurs cycles naturels doivent être respectés pour la préservation de la biodiversité, des écosystèmes, de même que pour la mise en œuvre de l’agroécologie paysanne dans les terroirs et les politiques publiques.
  • Pour permettre aux populations de vivre dignement, en bonne santé et d’assurer la souveraineté alimentaire, l’eau doit être préservée, protégée et gouvernée, à tous les niveaux, de façon concertée, inclusive, équitable et participative dans le respect:
    • Des droits des communautés rurales et urbaines et de leur liberté de les faire valoir.
    • Des savoirs locaux et des valeurs endogènes propres aux Communautés.
    • Des équilibres écologiques et environnementaux.
  • L’Eau n’est ni une marchandise à introduire en bourse ni un bien à privatiser au profit des riches et des entreprises multinationales. La privatisation des services de l’eau et la financiarisation de ce Bien enrichissent les multinationales au détriment des peuples. Ici, au Sénégal, la Constitution stipule que : « les ressources naturelles appartiennent au peuple ». C’est déjà un premier pas pour ce qui est de l’eau.
  • Il est urgent de mettre en œuvre de façon optimale, à tous les niveaux :
    • l’Objectif du Développement durable n°6 (ODD6) visant à garantir l’accès de tous à des sources d’eau potable et à l’assainissement, mais aussi à assurer la gestion durable des ressources en eau d’ici 2030.
    • Les dispositions de l’article 21 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales, relatives au droit des paysans à l’eau. Ces dispositions doivent être largement vulgarisées et appliquées dans tous les pays.
  • Il est urgent d’agir pour :
    • Que le droit d’accès à l’eau et à l’assainissement, inscrit dans des Constitutions de pays comme le Venezuela, la Bolivie, le Burkina Faso, conformément aux résolutions de 2010 de l’Assemblée générale de l’ONU et du Conseil des Droits de l’Homme, le soit dans celle de tous les États africains et du monde,
    • L’accélération de l’adoption puis la ratification du traité international contraignant les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement partout dans le monde, en négociation au sein des Nations Unies.
    • La création, au sein du système des Nations Unies, d’une Haute Autorité autonome de l’eau.

Le Forum Alternatif Mondiale de l’Eau (FAME) appelle à :

  • Une convergence des initiatives et mouvements de lutte pour le respect des droits à l’eau, à la terre, à l’assainissement et à un environnement sain ainsi que la protection de leurs défenseurs.
  • Une campagne internationale et panafricaine de sensibilisation, de renforcement des capacités des communautés rurales et urbaines et de plaidoyer pour l’intégration effective du droit à l’eau et à l’assainissement dans le droit international, les Constitutions et les politiques publiques de tous les pays.
  • Renforcer les réseaux et les dynamiques pour la justice de l’eau dans la perspective du prochain FAME, à Bali en 2024.

Fait à Dakar, le 26 mars 2022 – Les délégué-es du Forum alternatif mondial sur l’eau (FAME)