Gustave Massiah à l'Université d'été des mouvements sociaux et de solidarité - Bobigny France, 27 août 2023 @ Luna Choquette Loranger

Nous publions la première partie d’un nouvel essai de Gustave Massiah sur la solidarité internationale. Ce premier texte est l’introduction qui est suivie d’un survol des caractéristiques de la solidarité internationale au cours de trois périodes historiques : de 1944 à 1977, la première phase de la décolonisation; de 1977 à 2008, le néolibéralisme et l’altermondialisme; et après 2008, avec les crises écologique et géopolitique. ((Mise à jour le 9 octobre: nous publierons la suite un peu plus tard en octobre, compte tenu de l’actualité qui exige toute notre énergie bénévole.))

De larges pans de ce texte furent présentés par Gus dans une intervention à l’Université d’été des mouvements sociaux lors de l’atelier Ressemer l’internationalisme au cœur des mouvements sociaux. Initiée par ATTAC-France, l’activité était appuyée par la Campagne BDS France, du Centre de recherche et d’informations sur le développement, de la Confédération paysanne, de France Amérique latine, du Journal des Alternatives — Plateforme altermondialiste et de l’Union syndicale Solidaires. Une cinquantaine de personnes ont participé à ce module qui se déroulait toute la journée.


La solidarité est une valeur qui s’impose progressivement, aux côtés de la liberté et de l’égalité. Ce sont des valeurs individuelles et collectives. Elles s’imposent dans les révolutions du 18ème siècle. Elles marquent la fin des systèmes qui, après les premiers systèmes communautaires, les systèmes esclavagistes et les systèmes tributaires centraux, les grands empires, ou féodaux, ont précédé les systèmes capitalistes.

La solidarité internationale est une valeur; c’est la dimension internationale de la solidarité. Ce sont des pratiques, des rapports entre les peuples, les états, les nations. C’est aussi un mouvement, le mouvement de solidarité internationale, qui s’est formé en soutien à la décolonisation et qui, aujourd’hui, se concrétise dans l’altermondialisme et l’internationalisme. L’altermondialisme propose une alternative à la mondialisation dominante et l’internationalisme propose de construire des relations d’égalité entre les peuples, les nations et les états.

Les communautés s’organisent ; elles s’engagent dans des formes collectives qui se différencient en peuples, états, nations. Le système international organisé est en fait un système interétatique. Le mouvement de solidarité internationale se définit comme un mouvement associatif ; il ne retient pas les formes d’organisation des entreprises économiques organisées pour les profits, ni les formes d’organisation étatiques organisées pour le pouvoir. Le mouvement associatif se fonde sur l’égalité et cherche à se prémunir des formes qui réintroduisent le profit et le pouvoir dans l’organisation associative.

Les grandes contradictions qui structurent la situation sont : le social, l’écologie, la démocratie qui combine le politique et l’idéologie. A l’échelle internationale deux questions sont majeures, celle de la décolonisation qui n’est pas terminée et celle de l’avenir du mode de production dominant, le capitalisme. La première phase de la décolonisation, celle de l’indépendance des États est à peu près achevée, à quelques lourdes exceptions près comme celle de la Palestine. La libération des nations et des peuples est à peine commencée. La situation politique internationale est marquée par une forte contradiction : une tendance à la montée des alliances entre les droites et les extrêmes droites qui occupe les scènes politiques et à l’opposé, la radicalité des mouvements sociaux, notamment les mouvements féministes, écologiques, antiracistes, des migrations, de l’antiracisme, des peuples premiers.

Dans l’histoire longue de l’humanité, un grand basculement a lieu en 14921 avec la colonisation des Amériques et avec la traite esclavagiste qui redéfinissent le système monde et qui mettent fin aux grands empires et aux échanges limités entre les grandes régions géoculturelles. Cette période des colonisations est aussi une période de luttes et de résistances contre les colonisations. Les peuples ont résisté et ont lutté partout et tout le temps contre les formes de domination.

Un nouveau mode de production va s’imposer et devenir dominant, le mode de production capitaliste. Après une longue période de gestation, il arrive à imposer ses règles aux sociétés en subordonnant les modes de production féodaux, esclavagistes, étatiques centraux. Il donne naissance à de nouvelles classes, les bourgeoisies et les prolétariats qui s’imposent comme classes principales dans les formations sociales. Il impose de nouvelles formes de pouvoir politique à travers des révolutions au 18ème siècle. Il connaît plusieurs formes d’organisation : concurrentiel, monopoliste, fordiste et keynésien, néolibéral. Il construit des alliances de classes dans les différents pays avec les autres classes sociales, les paysanneries, les commerçants, les intellectuels, … Le capitalisme, comme système mondial, a toujours développé un système impérialiste pour l’exploitation des matières premières, par l’exploitation directe ou indirecte, et pour l’exploitation de la main d’œuvre, par la traite ou par le salariat.

Une question nouvelle est posée aujourd’hui par rapport à l’avenir du capitalisme. C’est celle du passage à une nouvelle phase du capitalisme, comme on l’a connu après la crise de 1929, ou après la crise de 1977. Certains vont même jusqu’à poser la question du passage à un nouveau mode de production, comme Immanuel Wallerstein, qui pense que l’on pourrait sortir du capitalisme dans les trente prochaines années, non pour arriver à un système socialiste comme issue à la crise, mais pour arriver à un nouveau mode de production, inégalitaire mais différent avec de nouvelles classes sociales et de nouvelles déterminations. Les contradictions écologiques et géopolitiques donnent du crédit à cette hypothèse. Dans tous les cas, passage à une nouvelle phase du capitalisme ou passage à un nouveau mode de production, les prochaines décennies seront incertaines et contradictoires, et les avenirs seront à inventer.

À suivre

  1. Wallerstein, I. 2008, L’universalisme européen : de la colonisation au droit d’ingérence, Demopolis. []