Dans un contexte international marqué par des transformations politiques profondes, deux phénomènes suscitent l’inquiétude : la montée de l’extrême droite et la dérive vers l’autoritarisme. De l’Argentine aux États-Unis, en passant par l’Allemagne, l’Irlande et les Pays-Bas, le constat est clair : ces mouvements font partie d’une tendance globale. Face à cette montée, une question émerge : quelle posture la gauche doit-elle adopter pour y faire face?

Montée de l’extrême droite : une tendance internationale

L’actuelle montée de l’extrême droite à l’échelle internationale est une tendance extrêmement alarmante, soulignant une inflexion dans le paysage politique mondial.

En Argentine, le récent triomphe électoral de Javier Milei, un économiste libertaire d’extrême droite, marque un tournant significatif. Son ascension au pouvoir incarne un rejet du statu quo politique, illustrant une désillusion envers les structures politiques établies et un appétit désespéré pour des idées radicalement différentes.

Geert Wilders a remporté les élections législatives… mais il doit encore former une coalition afin de pouvoir gouverner les Pays-Bas. Crédit photo @ Thierry Ehrmann sous licence CC BY 2.0 DEED

Dans le contexte européen, les Pays-Bas viennent tout juste d’assister à une poussée significative de l’extrême droite, avec le Parti de la liberté (PVV) de Geert Wilders remportant les élections législatives.1 Ce mouvement témoigne d’un virage vers des politiques restrictives en matière d’immigration et d’une opposition croissante à l’Union européenne, des thèmes récurrents dans la rhétorique de l’extrême droite.

L’Allemagne, quant à elle, n’est pas à l’abri de cette tendance. Avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) – désormais le deuxième parti le plus populaire dans le pays2 – le paysage politique allemand s’est complexifié, révélant une nette progression des idées d’extrême droite. Cette évolution est d’autant plus préoccupante dans un pays profondément marqué par son passé historique avec le fascisme.

L’Irlande, traditionnellement moins affectée par de telles dynamiques, a aussi vu émerger des mouvements et des groupes d’extrême droite. Ces groupes exploitent les tensions sociales, notamment autour de l’immigration, pour gagner du terrain dans le paysage politique. La semaine dernière, l’extrême droite irlandaise a tenté de tirer profit d’un incident isolé d’attaque au couteau qui aurait impliqué un citoyen irlandais né à l’étranger.3 Ce phénomène s’est traduit par de nombreuses manifestations violentes ayant semé un chaos total dans les rues de Dublin, principalement menées par des individus radicalisés.4

Potentiel retour de Trump à la Maison-Blanche : une dérive vers l’autoritarisme ?

L’éventualité d’un retour de Donald Trump à la présidence, bien qu’incertaine, demeure une hypothèse plausible, malgré les obstacles judiciaires considérables auxquels il fait face. L’ensemble de la preuve des procédures judiciaires principales qui le concerne (l’inculpation du 6 janvier, l’affaire de l’ingérence électorale en Géorgie, le dossier des documents confidentiels, et l’affaire Stormy Daniels) suggère une forte probabilité de condamnation. Cependant, la question de savoir si un.e juge aura le courage de prendre une telle décision, avec toutes ses implications potentielles, reste en suspens. Théoriquement, Trump pourrait même accéder à la présidence depuis une cellule de prison, en prêtant serment derrière les barreaux avant de s’accorder immédiatement un pardon présidentiel.

Il est essentiel d’analyser un éventuel retour de Trump d’un œil critique, en abandonnant les notions de comportements électoraux « habituels ». En effet, les États-Unis semblent avoir quitté le domaine de la politique conventionnelle pour entrer dans ce que le Dr Brian Klaas décrit comme le « pays de la politique autoritaire ».5 Les exemples de comportements irrationnels dans la politique américaine sont nombreux : la loyauté indéfectible des partis envers des leaders défaillants, l’insignifiance apparente des scandales, la rigidité des opinions, et l’importance primordiale de la personnalité plutôt que du programme politique.6

L’éventualité d’un second mandat de Donald Trump suscite de nombreuses interrogations. Contrairement à son premier mandat, l’absence de contrainte de réélection laisse supposer une fixation de Trump sur la vengeance. Cette tendance se manifeste clairement dans ses récentes prises de parole, où, rien que le mois dernier, il a laissé entendre que le général en chef des États-Unis mériterait d’être exécuté7 en plus de déshumaniser ses adversaires politiques en les traitant de « vermine »8 – pour ne mentionner que quelques exemples.

Compte tenu de l’importance historique substantielle associée au terme, l’attribution de l’étiquette de « fasciste » à une personne nécessite prudence et discernement. Par ailleurs, l’éminent linguiste Noam Chomsky nous rappelle que des termes comme « fascisme » dans le discours politique sont souvent imprécis et chargés d’une lourde connotation.9 Néanmoins, il semble raisonnable de considérer que le discours de Trump s’aligne avec plusieurs éléments caractéristiques du fascisme, du moins au niveau rhétorique. Ainsi, un retour de Trump à la présidence pourrait signaler un virage vers un autoritarisme plus marqué, ce qui exige une surveillance et une vigilance accrues, tant au niveau national qu’international.

En outre, il est crucial de situer cette potentielle réélection dans son cadre géopolitique actuel, marqué par de nombreuses tensions, notamment en Palestine et en Ukraine. L’intersection de ces facteurs crée un environnement propice à l’intensification des conflits, formant ainsi une véritable recette pour un « cocktail explosif » sur la scène internationale.

Alerte rouge : les marqueurs du passage de l’extrême droite au fascisme

Dans un contexte international marqué par une montée de l’extrême droite et de l’autoritarisme, il est primordial d’examiner avec rigueur les signaux qui marquent une bascule potentielle vers le fascisme.

Selon Samir Amin, la transformation de l’extrême droite en fascisme s’opère dans un contexte de crises profondes affectant la gestion du capitalisme. L’extrême droite, en tant que réponse politique, peut évoluer vers le fascisme lorsqu’elle adopte une gestion de la société qui, tout en préservant les principes fondamentaux du capitalisme, rejette catégoriquement la démocratie en faveur d’une soumission à la discipline collective et à l’autorité d’un leader suprême​​. Cette mutation s’ancre dans des crises violentes et profondes, offrant une apparente solution aux défis posés à la gestion capitaliste, tout en instaurant un régime autoritaire et répressif.10 La transition du populisme au fascisme nécessite, en plus d’une crise incontrôlable, la présence d’une culture nihiliste.11 Ainsi, le fascisme n’est pas seulement une réponse à une crise économique ou politique, mais aussi le produit d’une culture qui rejette les valeurs et les normes établies.

Cela nous reconduit donc à la conjoncture actuelle. Force est de constater que les crises ne manquent pas. La crise des migrants est un terreau fertile pour le discours extrémiste, notamment en Europe. La crise économique alimente une désillusion profonde, comme on le constate en Argentine. Aux États-Unis, la polarisation extrême et un scepticisme viscéral envers les institutions renforcent la mise en place d’une culture nihiliste.

Les partis d’extrême droite sont particulièrement habiles à exploiter ces crises. Ils utilisent le populisme pour frapper sur des peurs classiques : peur de la perte d’identité, peur de l’insécurité économique. Ces peurs, lorsqu’elles sont instrumentalisées, deviennent de puissants vecteurs pour faire gober un message radical. L’extrême droite, par cette stratégie, parvient à canaliser le mécontentement et la peur vers un agenda autoritaire basé sur l’exclusion.

Quelles stratégies pour la gauche (les gauches) ?

Face à ces sombres constats, quelle posture doit adopter la gauche ? La réponse à ces défis peut-elle résider dans une réappropriation du populisme par la gauche, un populisme authentique, enraciné dans les préoccupations des classes populaires ?

Le « populisme de gauche » se profile comme une approche politique visant à mobiliser les citoyen.nes autour d’un projet démocratique, en établissant une division fondamentale entre l’élite et le peuple.12 Au Québec, le populisme de gauche est incarné par des figures comme Catherine Dorion, via notamment son recours aux émotions comme moteur de changement. 13

Ainsi, il peut se caractériser par un discours franc, un rejet des conventions de la classe politique traditionnelle, et une rhétorique qui cible directement les préoccupations des classes populaires.14 Cette approche peut-elle être la réponse à la montée de l’extrême droite, en offrant une alternative authentique et pertinente aux citoyen.nes désabusés par le système actuel ?

Ce populisme de gauche est-il compatible avec l’intellectualisation, l’institutionnalisation, et la centralisation de la gauche, un phénomène observable ces dernières années – au Québec comme ailleurs ? À première vue, ces caractéristiques peuvent sembler en contradiction avec l’essence même du populisme de gauche, qui mise sur l’immédiateté et l’authenticité du lien avec le peuple. Peut-on réellement concilier ces deux visions au sein de la gauche, ou bien doit-on choisir entre une voie institutionnelle et une approche populiste ?

La réponse à cette interrogation n’est pas tranchée. Les deux postures ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives. Il est envisageable que la gauche puisse trouver un équilibre entre une approche institutionnelle et une stratégie populiste, en tirant parti de leurs forces respectives. Cependant, cela nécessitera un important travail de concertation et d’introspection. Comment se réapproprier le discours populiste sans sacrifier ses valeurs fondamentales et son engagement envers une société plus équitable et inclusive ?  Quelles stratégies permettront réellement de contrer la montée de l’extrême droite et de répondre efficacement aux besoins et préoccupations des citoyen.nes ? La gauche, au Québec comme ailleurs, doit déterminer quelle est la meilleure manière de répondre aux défis actuels, dans un monde de plus en plus polarisé et autoritaire.

 


  1. Franceinfo « Pays-Bas : l’extrême droite remporte les élections législatives », 23 novembre 2023. []
  2. Gideon Rachman, « The far right is moving into Europe’s mainstream », Financial Times, 27 novembre 2023, sect. Populism in Europe. []
  3. Jérôme Flury, « Populisme d’extrême-droite : et maintenant l’Irlande ? », Le Taurillon, 29 novembre 2023. []
  4. Shane Harrison, « Dublin Riots: Immigration’s Complicated Role in Growing Ireland’s Far Right », BBC, 25 novembre 2023. []
  5. Brian Klaas, « How Trump Could Win », 21 avril 2023. []
  6. Brian Klaas, « Trump Floats the Idea of Executing Joint Chiefs Chairman Milley », The Atlantic, 25 septembre 2023. []
  7. Brian Klaas, « Trump Floats the Idea of Executing Joint Chiefs Chairman Milley », The Atlantic, 25 septembre 2023. []
  8. Marianne LeVine, « Trump Calls Political Enemies ‘Vermin,’ Echoing Dictators Hitler, Mussolini », Washington Post, 13 novembre 2023. []
  9. Noam Chomsky, Jipson John, et Jitheesh P.M., « ‘The growth of right-wing forces is ominous’ », consulté le 28 novembre 2023. []
  10. Samir Amin, « The Return of Fascism in Contemporary Capitalism », Monthly Review, 1 septembre 2014. []
  11. Roger Eatwell, « Populism and fascism », The Oxford handbook of populism, 2017, 363‑83. []
  12. Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche (Albin Michel, 2018). []
  13. Catherine Dorion et Claude Vaillancourt, « Entretien avec Catherine Dorion. Comment dire les choses autrement en politique ?  », Revue À bâbord !, consulté le 29 novembre 2023. []
  14. Jonathan Durand Folco, « Je viens de terminer la lecture du livre… », 25 novembre 2023. []

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