Les migrants au Mexique : de la répression à la protection

Marie-France Abastado, Radio-Canada, 12 avril 2019

Dès son entrée au pouvoir, le 1er décembre dernier, le nouveau président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, a promis de revoir de fond en comble la politique migratoire de son pays. Un vaste chantier. L’objectif : faire passer la politique migratoire mexicaine d’un outil de répression à un outil de protection à leur égard.

Le Mexique sera dorénavant plus respectueux des droits des migrants, disait M. Lopez Obrador dans son premier discours à titre de président.

Celui qu’il a placé à la tête de l’Institut national de la migration, Tonatiuh Guillen, a eu pour mandat de trouver des moyens de régulariser le statut des migrants pour qu’ils ne soient plus dans l’illégalité.

Visas humanitaires, permis de travail dans la zone frontalière, statut de réfugié : tout est envisagé pour sortir les migrants de l’ombre et ainsi les rendre moins vulnérables aux criminels et aux fonctionnaires corrompus.

Une affiche sur les droits des migrants. Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Le Mexique est coincé entre les migrants qui se bousculent pour entrer par sa frontière sud – ils ont été près de 300 000 l’an dernier – et les pressions des États-Unis qui souhaitent que leur voisin du sud agisse comme un filtre pour éviter que trop d’entre eux se retrouvent à leur propre frontière.

Il est aussi coincé entre ses anciennes façons de faire et ses nouvelles résolutions.

Le plan Frontière sud, appliqué à partir de 2014 à la demande des Américains, en témoigne bien. Il consiste à faire en sorte que moins de migrants puissent entrer au Mexique et, par la suite, aux États-Unis. Pendant les années qui ont suivi son adoption, le Mexique a donc détenu énormément de migrants et en a déporté massivement.

Mais le Mexique d’Andres Manuel Lopez Obrador veut résolument changer de cap.

À l’auberge Frères en chemin

Un mur sur lequel est inscrit le nom de l'auberge.L’entrée de l’auberge Frères en chemin, à Ixtepec Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

À l’auberge Hermanos en camino (Frères en chemin), de jeunes enfants mettent la dernière main à une immense carte de l’Amérique qu’ils ont peinte.

En la dessinant, petits et grands ont symboliquement retracé le chemin parcouru avec leurs parents, de leur pays du triangle nord jusqu’ici, à Ixtepec, au Mexique. La route a été semée d’embûches, la peur constante de se faire attraper et déporter par la police migratoire mexicaine n’étant pas la moindre.

« C’est très désagréable d’avoir à courir parce que la police migratoire vous suit, dit celle que nous appellerons Liliana. On a l’impression que notre cœur va arrêter de battre. C’est horrible. »

Originaire du Salvador où sévissent des bandes criminelles, Liliana a été menacée de mort.

Je ne veux pas mourir tout de suite. J’ai trois enfants. C’est pour ça que j’ai fui.

Liliana (nom fictif), une migrante originaire du Salvador

Liliana est partie seule, en laissant derrière elle sa mère et ses trois enfants.

La route de tous les dangers

Les migrants savent, quand ils empruntent la route vers le Mexique, qu’ils courent le risque d’être séquestrés contre rançon par des bandes criminelles ou encore d’être assassinés pour avoir refusé de travailler pour eux. Sans compter la corruption de fonctionnaires en collusion avec le crime organisé.

En témoigne le congédiement récent de 30 travailleurs de l’Institut national de migration du Tamaulipas pour avoir trempé dans la disparition de 60 migrants.

« L’Institut national de migration, je l’appelais l’Institut criminel de migration », dit le père Alejandro Solalinde, qui a fondé l’auberge Hermanos en camino, où est hébergée Liliana.

« Ils étaient en collusion avec les Zetas, le cartel le plus agressif et le plus meurtrier pour les migrants, soutient le prêtre. Il y avait de l’extorsion et des enlèvements. Et jamais justice n’a été rendue. »

Le père Alejandro Solalinde est de toutes les tribunes pour défendre les migrants. Chaque fois qu’il le peut, il répète qu’ils ne doivent plus être considérés par le Mexique comme des envahisseurs ou des terroristes.

Des histoires comme celle de Liliana illustrent bien qu’ils ont plutôt besoin de protection, croit-il.

Le prêtre ne s’est d’ailleurs jamais privé de critiquer les autorités de son pays en matière d’immigration.

Récemment encore, avant l’élection du président Lopez Obrador, il affirmait que son pays faisait office de police migratoire pour les États-Unis en détenant massivement les migrants dans les fameux centres de rétention, qu’il appelle plutôt des « centres de détention ».

« Ce sont de véritables prisons, laisse-t-il tomber. Même dans les endroits où se trouvent les femmes et les enfants, il y a des gens qui portent des armes longues. Les portes sont en métal, avec des serrures qui ne s’ouvrent que de l’extérieur. J’ai toujours condamné cette approche, mais le gouvernement de Pena Nieto n’a jamais rien fait. »

Le père Solalinde croit bien que cette politique changera avec l’arrivée au pouvoir d’Andres Manuel Lopez Obrador.

Les conseils du Haut-Commissariat pour les réfugiés

Le Mexique se plaint souvent de la façon dont ses ressortissants sont traités aux États-Unis. Mais il ne ferait guère mieux avec les migrants qui sont sur son territoire, entre autres au chapitre de la séparation des familles dans les centres de détention.

Le représentant au Mexique du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Mark Manley, souhaiterait que ça change. « Ce sont des centres de détention où les gens sont vraiment enfermés. Si un jeune garçon a plus de 12 ans, il n’est pas avec sa famille. »

Mais les choses devraient changer, d’après ce que promettait M. Lopez Obrador après avoir pris le pouvoir en décembre dernier : « Nous prendrons le parti de la protection des droits de la personne à l’égard des migrants, et nous privilégierons une immigration sécuritaire, ordonnée et régulière ».

En d’autres termes, le président s’engageait à régulariser le statut des migrants dits illégaux et même à leur donner du travail.

Malgré ce discours, son gouvernement semble faire un pas en avant, puis un autre en arrière en matière de politique migratoire depuis son arrivée au pouvoir.

Après avoir annoncé en janvier qu’il accorderait des visas humanitaires temporaires aux migrants, pour leur permettre de traverser le pays en toute légalité, le programme a été interrompu abruptement moins de deux semaines plus tard.

En 15 jours, les autorités migratoires avaient délivré près de 13 000 de ces visas, beaucoup plus que ce à quoi elles s’attendaient.

De pays de transit à pays de destination

Le Mexique est de moins en moins considéré comme un pays de transit par les migrants centraméricains.

Face à la fermeture grandissante des États-Unis et au discours anti-immigration de leur président Donald Trump, le rêve américain a perdu de son lustre.

Les migrants sont donc beaucoup plus nombreux qu’avant à demander l’asile au Mexique. Entre 2014 et 2018, les demandes de statut de réfugié sont passées de 2000 à 30 000.

La longue file devant les bureaux de la Commission d’aide aux réfugiés (COMAR) de Tapachula le montre bien. Plusieurs migrants sont ici depuis hier soir et ont dormi sur le trottoir pour s’assurer de pouvoir déposer leur demande.

Une marchande de tacos a flairé la bonne affaire. Elle a posté son chariot juste devant les bureaux de la COMAR. Entre les demandeurs d’asile qui font la queue pendant des heures et les fonctionnaires submergés de travail qui n’ont pas le temps de prendre une longue pause pour manger, elle trouve toujours des preneurs pour ses petits tacos pliés, des dobladitas.

« Elles sont très bonnes ces dobladitas », lance une Salvadorienne qui attend toujours ses papiers.

Un autre client, un Guatémaltèque celui-là, les a reçus. « Je vais enfin pouvoir travailler et m’en sortir », dit-il.

La COMAR est débordée devant le nombre croissant de demandes d’asile. Mais elle peut compter sur l’aide et les conseils du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Mark Manley croit que la COMAR devrait avoir plus de moyens. « On travaille actuellement avec eux pour s’assurer qu’ils ont le personnel nécessaire, des bureaux aux bons endroits, de façon à ce qu’ils puissent traiter les demandes reçues », précise-t-il.

Des criminels parmi les migrants

Il faudrait aussi cesser d’envoyer dans des centres de détention les migrants qui font des demandes d’asile, comme ça arrive encore trop souvent, estime M. Manley. D’autant plus que le personnel de la COMAR n’est pas toujours bien formé pour distinguer les vrais réfugiés des criminels.

Car, sans tomber dans le discours du président américain Donald Trump, qui fait un amalgame quasi systématique entre migrants et criminels, le représentant du Haut-Commissariat admet que certains membres de gangs passent la frontière sud du Mexique et se retrouvent dans les centres de rétention avec les demandeurs d’asile.

Olga Sanchez Martinez est la fondatrice de l’auberge pour migrants El Buen Pastor, à Tapachula. Au cours des 17 ans d’existence de son auberge, elle en a entendu et vécu, des histoires, avec ses protégés.

Et si elle souhaite que le Mexique redouble d’efforts pour aider les Centraméricains qui fuient la violence, elle confirme que des membres de gangs criminels s’infiltrent parmi les migrants.

Elle n’est pas étonnée que les fonctionnaires de l’immigration ne soient pas en mesure de les repérer.

« Le personnel de l’immigration est mal formé, pense Olga Sanchez Martinez. Avant, il n’y avait pas une attitude de solidarité et d’appui aux migrants, il s’agissait simplement de les voler, les voler et encore les voler. Alors, c’est sûr que le gouvernement a de la difficulté à faire la différence entre les gens qui ont vraiment besoin des permis et ceux qui veulent juste profiter de la situation. »

Les gîtes pour migrants débordés

C’est le soir, à l’auberge du Buen Pastor, et la plupart des migrants sont rentrés pour la nuit. L’endroit est complètement plein, ce qui impose une grande promiscuité aux pensionnaires.

Partout, il y a des hommes couchés sur des matelas à même le sol, des enfants qui courent et des femmes qui discutent. On a peine à imaginer que certains d’entre eux resteront ici, dans ces conditions, pendant plusieurs semaines, parfois quelques mois, en attendant les papiers qui leur permettront de régulariser leur situation.

La fondatrice de l’auberge souhaite donc que le nouveau gouvernement se donne beaucoup plus de moyens pour résoudre les problèmes à la frontière sud du Mexique. D’autant qu’aujourd’hui, les migrants arrivent de partout dans le monde.

« Ils nous viennent de tous les pays : de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela, du Honduras, du Salvador, du Guatemala… Ils viennent aussi d’Afrique, des Antilles. J’apprécie ce que fait ce gouvernement avec ses programmes et tout ça, mais il doit accorder plus d’importance à cette frontière. »

L’Institut national de la migration a recommencé à accorder des permis de séjour temporaires, mais davantage dans le nord – à Mexico, par exemple – comme s’il voulait désengorger la zone frontalière et encourager les migrants à la quitter.

Il faut dire que les tensions avec les habitants de la région sont de plus en plus vives.

C’est en tout cas ce qu’affirment les membres de cette caravane improvisée rencontrés au bord de la route, à quelques kilomètres de Tapachula.

Ils sont au moins 200 à se reposer au bord de la route.

« Depuis qu’on est au Mexique, aucun village ne nous a laissé entrer, dit l’un d’eux. Pourtant, on vient pacifiquement. »

« On a essayé d’aller acheter de la nourriture, mais ils ne nous ont pas laissé faire, soutient un autre. On a eu de la chance que des paysans nous apportent à manger, hier soir, mais depuis ce temps-là, on n’a rien. »

« On va continuer notre chemin et on est prêts à y laisser notre vie, parce qu’on ne peut pas échouer, lance un troisième. Au Honduras, on nous tue, alors on ne va pas reculer. Mais je ne veux pas que la police migratoire m’attrape. Nous sommes humains. Ce qu’ils font aux Mexicains, aux États-Unis, ils nous le font ici! »

Mettre les migrants au travail

À moyen terme, le gouvernement Lopez Obrador souhaiterait mettre les migrants au travail en les employant dans des mégaprojets dans le sud du pays.

Le développement économique de l’isthme de Tehuantepec, avec la construction et la modernisation des structures routières, ferroviaires et portuaires, sera générateur d’emplois, promet le président. C’est sans compter le projet de train maya, qui doit parcourir tout le Yucatan et qui nécessitera aussi beaucoup de main-d’oeuvre.

Et puis le Mexique veut s’attaquer aux sources mêmes de la migration. Et pour ça, il a signé avec les trois pays du triangle nord – le Guatemala, le Honduras et le Salvador – une entente pour un plan de développement régional sur cinq ans. Le Mexique s’est engagé à créer un fonds de 30 milliards de dollars destiné à ce projet. Il a d’ailleurs l’appui des États-Unis qui pourraient y investir 10 milliards de dollars. L’objectif de l’opération : freiner la migration et faire en sorte que les Centraméricains restent chez eux.

Mais malgré toutes les bonnes intentions, le nouveau gouvernement a encore beaucoup de pain sur la planche en matière d’immigration.

L’un de ses défis, et non le moindre, dans ce pays où à peine 1 % de la population est composée d’immigrants, sera de contribuer à changer les mentalités à leur égard.

Retrouvons Liliana à l’auberge du père Solalinde, à Ixtepec.

Au terme d’une deuxième tentative, elle a finalement obtenu son statut de réfugiée. Mais elle attend toujours que son fils Adrian puisse, lui, avoir un permis de séjour qui leur permettrait de se déplacer dans le pays en toute légalité. Car Liliana veut quitter aussi vite que possible le sud du Mexique.

« Ce n’est pas tout le monde, mais oui, ici il y a de la discrimination. On me dit « tu es du Salvador, donc tu es une voleuse » ou  « tu es du Salvador, donc tu es membre d’un gang ». »

Liliana espère que ça sera plus facile si elle s’établit plus au nord du pays.

Mon rêve, ce n’est pas d’aller aux États-Unis. Tout ce que je veux, c’est aller dans un endroit où je pourrai bien gagner ma vie et où mes deux autres enfants viendront me rejoindre. C’est ça mon rêve : que ma famille s’en sorte.

Liliana (nom fictif), une migrante originaire du Salvador

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