Les négociations de l’ALÉNA et la nouvelle offensive néolibérale

Closeup of the flags of the North American Free Trade Agreement NAFTA members on textile texture. NAFTA is the world's largest trade bloc and the member countries are Canada, United States and Mexico. 3D rendering with detailed textured grunge effect on closeup.

Publié dans la revue À Babord, avril 2018

Les rondes de renégociation de l’Accord de libre-échange des Amériques (ALÉNA) se poursuivent depuis plus de six mois et tous les scénarios quant au sort de ces discussions demeurent possibles. Donald Trump ne renonce pas à mettre fin à l’accord, mais la possibilité de les reporter après les élections mexicaine et américaine est sur la table. Néanmoins, les équipes de négociation, y compris celle de l’administration Trump, travaillent dans la perspective de conclure une entente. Quelle sorte d’accord pourra-t-il ressortir de ces négociations ?

Les mouvements sociaux et syndicaux se sont toujours inquiétés des conséquences des accords de libre-échange (ALÉ). Le but de tels accords n’est pas seulement de faciliter le commerce transfrontalier, notamment par la réduction des droits de douanes, mais aussi de réduire les obstacles au commerce, en éliminant la réglementation, en ouvrant tous les marchés et en accordant plus de droits aux entreprises. La négociation actuelle sur l’ALÉNA ne fait pas exception.

Un bilan peu reluisant

Le bilan de l’ALÉNA est connu : depuis 24 ans, on constate une hausse de la croissance dans les trois pays, même si l’ALÉNA n’est pas le seul facteur de création de cette richesse accrue. Par ailleurs, on observe du même coup dans les trois pays que les conditions de vie et de travail, notamment les salaires, n’ont pas accompagné cette croissance. Il s’agit là d’une des raisons de la frustration de la population laborieuse américaine sur laquelle Donald Trump s’est appuyé pour son élection. Et ce sont les travailleuses et les travailleurs du Mexique qui ont le plus souffert de cette détérioration des conditions de travail et des droits humains, alors qu’on leur promettait le contraire.

Premier accord multinational signé en 1994, l’ALÉNA est un modèle pour tous les accords subséquents sur les droits des entreprises, notamment en leur permettant de poursuivre les États, le fameux chapitre 11. Rappelons que le Canada est l’État le plus poursuivi et qui a perdu le plus souvent. Les deux tiers des poursuites concernent la réglementation en environnement !

Les nouveaux enjeux des accords de libre-échange

Les discussions soulèvent plusieurs enjeux, qui vont de l’ouverture du secteur privé des services au secteur agricole, en passant par la production automobile et aux marchés publics. Les demandes américaines visent évidemment à renforcer la position des entreprises des États-Unis sur différents marchés. Toutefois, derrière les demandes, les enjeux portent toujours sur la souveraineté des gouvernements à décider de règle et de normes dans des secteurs clés de leur développement.

L’ouverture des marchés publics remet en question un important levier de développement local, régional, voire national, non seulement au niveau des gouvernements, mais aussi des municipalités et même des sociétés d’État. Sur ce plan, le gouvernement Trudeau présente l’accord entre le Canada et l’Union européenne comme un modèle, qui permet des ouvertures importantes sur ce plan.

Par ailleurs, on retrouve différentes remises en question du contenu d’origine dans la production automobile, de la gestion de l’offre dans le secteur agricole, mais aussi de la suppression des tarifications dans le commerce numérique. Les enjeux concernant l’environnement demeurent entiers : il n’y a aucune remise en question du principe de proportionnalité qui oblige à maintenir l’exportation de la même proportion d’énergie vers les partenaires commerciaux.

La position de la société civile nord-américaine

Les élites économiques et politiques canadiennes se présentent comme les sauveurs d’une catastrophe, celle de la fin de l’ALÉNA. On doit reconnaître que le projet de Trump, avec ou sans ALÉNA, est une attaque majeure contre les classes laborieuses. Dans ce contexte, la position des organisations de la société civile nord-américaine de demander une nouvelle entente, ne vise ni la défense de l’ALÉNA ni le rejet de toute entente commerciale.

Elle propose une alternative à la dérèglementation et à la libéralisation des marchés. Juste avant l’amorce des négociations, des organisations nord-américaines des trois pays ont adopté à Mexico une déclaration politique qui propose une nouvelle entente, basée sur le respect des peuples et de la planète.

Le protectionnisme de Donald Trump : les habits neufs du néolibéralisme

Toutefois, force est de reconnaître que l’alternative de la société civile n’est pas au jeu dans les discussions. Sur ce plan, les objectifs des négociations ne sont pas différents de ceux des années 90. Ainsi, Donald Trump, aussi protectionnisme qu’il peut être, ne veut pas remettre en question la dérèglementation et la libéralisation de la mondialisation néolibérale. Il en veut plus au bénéfice des grandes entreprises des États-Unis. La réforme fiscale de Trump ne fait pas qu’en donner aux mieux nantis, elle lance un appel aux entreprises américaines et leur offre un environnement fiscal qui s’apparente à un paradis fiscal !

Les propositions américaines dans les négociations sont des remises en question de la réglementation en matière agricole et dans le commerce numérique, en continuité des meilleures traditions de dérèglementation. Trump veut renforcer ces politiques du tout au marché. C’est d’ailleurs ce qui rend crédible la possibilité d’une entente.

Le gouvernement Trudeau et la modernisation de l’ALÉNA

La position du gouvernement libéral à Ottawa en vue de moderniser l’entente ne constitue en rien une ligne susceptible de faire échec aux politiques agressives de Donald Trump. Ses points d’appui sont l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne, d’une part, et le récent partenariat transpacifique (PTP), rebaptisé progressiste. Par ailleurs, les ouvertures dans l’actuelle négociation n’ont rien de rassurant.

D’abord, l’AÉCG et le PTP reprennent l’essentiel des irritants typiques des ALÉ, comme le droit des entreprises de poursuivre les États. Plus, le PTP, l’accord signé par la ministre Freeland en Nouvelle-Zélande le 4 février dernier, recule sur certains développements concernant le travail et les dispositions en regard de la culture.

Par ailleurs, il est inquiétant d’apprendre ce que sont les avancées au lendemain de la ronde de Montréal. Même si nous n’avons que des bribes d’information et que nous ne connaîtrons la réalité plus précise qu’à la conclusion d’une entente, on a appris que les avancées portent notamment sur la dérèglementation du commerce numérique et les normes de santé des produits alimentaires !

Vers une entente qui s’éloigne des clauses sociales ?

Si toutes les possibilités sont sur la table, celle d’une amélioration des droits humains, des normes du travail, du respect de l’environnement n’est pas au jeu. La probabilité est grande pour que la modernisation de l’ALÉNA se réalise, appuyée par l’administration Trump, sur la base une extension de la dérèglementation et des politiques néolibérales.

Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) est né dans les années 80-90 dans la lutte contre les premiers ALÉ. Ces accords concrétisaient la première vague des politiques néolibérales. Le combat du RQIC, notamment contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), s’inscrivait dans une conjoncture et un contexte de mobilisations sociales qui marquaient des points, notamment en Amérique latine. Sans répéter l’histoire, le contexte politique et social exige de redéfinir les plans d’action en fonction de cette nouvelle offensive néolibérale et dans le cadre des mobilisations sociales d’aujourd’hui, au-delà des accords de libre-échange et de l’ALÉNA.

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