Depuis le téléphone entre Trump et Haftar les milices et les bandes criminelles de celui-ci se sont senti bien rassurées du soutien des Etats-Unis et ont relancé avec plus d’envergure l’attaque contre les milices et les bandes criminelles de Serraj, l’autre chef de la guerre civile libyenne. Depuis l’élimination de Khadafi merci à la «sante alliance» entre France, Royaume Uni, les Etats-Unis et ensuite l’Italie et les autres de l’OTAN, la Libye n’arrête pas d’être meurtrie par une guerre apparemment intestine mais bien alimentée par les logiques néocoloniales françaises, italiennes et des autres puissances économiques et militaires de la région et du monde. Après avoir raflé bonne partie des avoirs de Khadafi placés dans plusieurs banques d’Europe, les néo-colonialistes européens ont cru bon de pouvoir maitriser la Libye faisant confiance aux deux principales bandes criminelles qui se sont imposées. Suivant ses vieilles traditions para-diplomatiques, voir la pratique de tisser des relations apparemment bonnes avec tout le monde, l’Italie a essayé de se montrer impartiale. Pour mieux dire ce sont tout d’abord les hommes de la multinationale italienne du pétrole, ENI-AGIP, qui -à travers le ministère des affaires étrangers italien ou directement à travers leurs hommes et surtout les services secrets qui ont toujours travaillé pour cela- n’a pas cessé de marchander avec les bandes et les milices tout comme avec Serraj et Haftar. L’objet de l’échange était et reste l’offre d’armes et d’argent de la part des Italiens et, de la part des Libyens la promesse de ne pas empiéter sur les installations et le transport du pétrole de l’ENI-AGIP. C’est une modalité que avait pratiquée Enrico Mattei, le grand chef de l’ENI-AGIP qui soutenait l’FLN algérien et que ont poussé les sept sœurs du pétrole des Etats-Unis ainsi que la France et d’autres à le tuer (sur l’histoire relations franco-italiennes souvent empreinte de conflictualité voir aussi Marie-Anne Matard Bonucci).
L’Italie n’a pas abandonné cette pratique et l’a continué dans les différents pays où ses entreprises se sont installées, pour les protéger et notamment pour négocier le sauvetage de personnels à l’occasion de l’enlèvements de ceux-ci par des bandes locales.
En 2017 on avait découvert un trafic de gasoil de Zawyia (40 Km à ouest de Tripoli) de Libye à l’Italie par œuvre aussi de la mafia de Catane (Sicile) qui visait vendre ce carburant meme dans d’autres pays européens (l’enquête n’a découvert qu’un trafic de 80 millions de kg. de gasoil, soit environ 30 millions d’euros mais il semble que s’agissait d’une affaire bien plus importante). Une autre enquête montre dans le reportage Rai montre la contrebande de pétrole le long de la route Libye-Malte-Italie. A cela s’ajoute la contrebande courante entre Libye et Tunisie, et Égypte.
Jouant sur la «grande peur» de la menace d’«invasions de migrants» et pour faire face à la monté de la droite (qui aujourd’hui est au gouvernement) le ministre de l’intérieur du Parti Démocratique, Minniti, a alors pensé bien de réaliser ce qu’il croyait être un coup de maitre : à travers des agents des services secrets italiens et -ça va sans dire- avec le soutien de l’ENI a fait donner 10 millions de dollars à la bande responsable de ce trafic de pétrole, désignée aussi comme la responsable du trafic de migrants envoyés en Italie (le journaliste du Corriere della Sera, Lorenzo Cremonesi, a raconté que marchandage a eu lieu dans un hôtel de Tunis). Mais bien évidemment les autorités italiennes fêtaient le supposé succès d’avoir stoppé les départs de migrants vers l’Italie. De leur part les bandes et les autorités libyennes jouent le jeu disant: «Si vous ne nous donnez pas l’argent et les moyens promis, on fera repartir les migrants». Cremonesi et des autres journalistes ont pu apurer que la milice pseudo anti-migrant «48e brigade» était composée de «contrebandiers» jouant les policiers pour rafler les financements promis par l’Italie et l’UE et meme que l’Italie serait la principale artisane de la création de cette milice (pour plus de détails voir ici) alors que leur menace la plus redoutée par l’ENI visait les raffineries et le vol du pétrole semi-affiné.
Dans un entretien du 23 janvier 2019 avec RFI, le directeur de recherche à l’IRIS Francis Perrin, veut jouer le diplomate-pacificateur disant: «Sur le terrain libyen, il n’y a pas d’intérêts de Total qui seraient opposés à ceux d’Eni. La situation actuelle, c’est une production limitée par telle ou telle milice, des problèmes sur un oléoduc, ou l’occupation d’un terminal par tel groupe armé. Les deux compagnies ont intérêt à ce que les principaux acteurs politiques libyens remettent un peu d’ordre et de sécurité dans le pays».
Mais l’Eni est de loin n°1 en Libye et Total (qui probablement a convaincu la présidence Macron à la soutenir à fond) a l’ambition de réduire le poids des Italiens: a racheté les intérêts de l’Américain Marathon Oil dans le bassin de Syrte et de fait elle est du côté des Etats-Unis et du royaume saoudien. Mais le soutien pas totalement explicite de la France à Haftar se comprend mieux si l’on se rappelle ce qui est ce général chef de la fraction qui n’arrête pas de reproduire la guerre civile libyenne.
En 1987, tombé prisonnier dans la guerre avec le Tchad, Haftar décide de passer au service des Etats-Unis contre Khadafi. Dès lors il n’arrête pas de tenter des coups contre le régime libyen sans réussir jamais; il s’installe à Vienne près du siège de la CIA; il vante que ses combattants libyens reçoivent un entraînement militaire régulier et des aides des Etats-Unis. Il a veçu 20 ans aux Etats-Unis et a eu la nationalité étatsunienne. Après l’éclatement de l’attaque à la Libye de Khadafi en 2011, il rentre dans son pays de naissance et il devient le deuxième homme fort après al-Sarraj. Haftar domine la Cyrénaïque et d’autres zones merci au soutien de l’Égypte, des Émirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite (la Turquie et le Qatar sont du côté de Sarraj). Et il semble qu’il puisse compter sur l’amitié de Putin (entre autres voir ici). Or, l’actuel attaque d’Haftar contre Sarraj semble bien être voulu tout d’abord par le régime saoudien, mais il semble aussi ne pas déplaire ni aux Etats-Unis ni à la France. Remarquons au passage que dès le début de cet attaque Washington a tout de suite évacué le personnel militaire et civil qui était en Libye et il semble bien que les milices d’Haftar soient dotées d’armements et drones des Émirats (mais d’origine américaine ou française ou meme italienne? Personne le dit mais c’est probable). Selon l’analyse que propose Mauro Bottarelli, la guerre relancée par Haftar provoque en particulier une chute de l’exportation de barils de pétrole libyens, ce qui arrange les Saoudiens aux prise avec la valorisation de la cotation en bourse de l’Aramco, le géant de Ryad qui veut coter à plus de 2 trillions de dollars (les gains de Aramco sont presque le double de Apple, la première firme américaine après celle saoudienne, et de loin supérieure à Alphabet, Exxon Mobil, Yoyal Dutch Shell et Amazon) . “Si Haftar prendra le contrôle do port-terminal de Zawiya il contrôlera tout le pétrole libyen”, souligne Salma El Wardany de Bloomberg.
Jusqu’au coup de fil entre Trump et Haftar, la France a nié d’être en compétition avec l’Italie et souhaite le retour à la paix, ce qui figure aussi dans le communiqué formel de la Maison Blanche alors que le coup de fil de Trump à Haftar alors que ce fait a été le signe du soutien américain à Haftar contre Sarraj et en partie contre une Italie qui comme pour le passé les Etats-Unis ont stigmatisé pour son double jeu. Pour la France macronienne être du meme coté des Saoudiens et des Etats-Unis c’est une bonne chose car -c’est ce qui croit Macron- renforce le poids de ses visées d’accaparement des ressources naturelles en Afrique du Nord et meme sub-saharienne. Rappelons que l’enjeu de l’intervention française au Mali et au Niger et ailleurs n’est pas que le pétrole mais aussi les minéraux qui sont devenus très prisés et qui en partie l’étaient déjà (voir la recherche de Ben Cramer, “L’Afrique des minerais stratégiques. Du détournement des richesses à la culture de la guerre”, Bruxelles, Les Rapports du GRIP, 2018/08). Ces minéraux se trouvent en Libye comme dans tout le Maghreb et dans nombre d’autres pays africains. C’est exactement à cause de cela que la France a empêché aux militaires italiens de se placer en position de contrôle (voir ingérence) en Niger.
De leur côté l’actuel gouvernement italien ne fait pas le poids, non seulement parce qu’il est de plus en plus mal en pointe dans tous les domaines, mais parce qu’il n’a aucune crédibilité à l’échelle internationale. Le premier Conte c’est un pauvre homme qui sans doute dit ce qu’il suggère la présidence de la République (Mattarella) et le ministère de affaires étrangères (voir l’ENI). M. Salvini, leader de la montée du fascisme-racisme en Italie, a pris la place de Minniti et tout de suite a prétendu relancer le jeu de ce dernier : il est allé en Libye, il a promis de donner aux Libyens encore plus armements de ceux donnés par Minniti, il n’a pas arrêté de crier que la Libye est un pays sur et garant des droits démocratiques meme dans ces centres de rétention et que c’est le plus sérieux allié de l’Italie pour stopper les migrations. Salvini s’efforce de prouver qu’il est à la fois le meilleur fidèle allié de Trump mais aussi di Putin. Mais son souverainisme apparaît assez risible car il proclame la totale allégeance à l’OTAN et aux Etats-Unis, en défense de l’achat des F35 et d’autres armements, contre les accords de la «voie de la soie» avec la Chine etc., ce qui plait à Mattarella ; en meme temps il demande de rétablir des relations amicales avec la Russie ce qui ne plait point aux autres alliés de l’OTAN. En meme temps les positions de l’autre parti du gouvernement, le M5S, oscillent et voudraient être vouées à l’autonomie. En effet, Salvini -tout comme les gens du M5S- est un parvenu de la politique et il croit pouvoir jouer comme si l’Italie était un pays souverain alors qu’il a perdu meme sa toute relative autonomie conquise avec Moro et son compromis historique avec le Parti Communiste. Bref, il est évident que dans ces derniers trente ans l’Italie a abouti au plus faible poids international et elle semble avoir de plus en plus de mal à défendre les seuls deux importants multinationales italiennes: Leonardo-Finmeccanica (armements, nucléaire et chantiers navals) et l’ENI. Jusqu’à maintenant les patrons de ces deux multinationales, avec l’aide parfois habile et d’autres fois maladroit des services secrets, face à la compétition et la concurrence de la part des autres lobbies des autres pays ont tenu le coup avec la pratique des pots de vins et meme faisant des marchandages totalement illicites avec l’argent et les armements à travers des intermédiaires louches voir meme des mafieux (c’est aussi pour cela qu’on dit que l’Italie n’a jamais subi des attentats de la part du terrorisme pseudo-islamiste). Le chef du gouvernement Conte a prétendu relancer des négociations avec Haftar pour le convaincre à retourner à la table des accords que l’Italie croyait avoir fait passer à la rencontre de Palerme. Mais déjà là Haftar avait donné les signes de ses intentions de ne pas s’y engager pour la paix avec Sarraj (sans renoncer à être dans la photo de la fin de ce sommet). Il est alors probable que le sale pétrin dans lequel les logiques néocoloniales ont re-enfoncé la Libye va durer dans l’incertitude. Car il n’est pas clair jusqu’à quel point Haftar puisse être soutenu avec des appuis suffisamment fortes pour pouvoir battre Sarraj, mais il a toujours été un perdant (meme sur le terrain des plus sales modalités de guerre). Comme justement laisse entendre Jean-Pierre Filiu, la conduite de la France -et j’ajoute aussi de l’Italie et de l’UE- risque fort de conduire à la fois à des nouveaux massacres de population civile, à un énième aggravement de l’instabilité de la région et aussi à un échec patent des visées de la France. En effet, il est certain que cette nouvelle folie guerrière des bandes d’Haftar et la réaction des bandes de Sarraj ne produiront que morts et destructions et meme crimes contre l’humanité et un nouveau coup dur contre la pauvre Tunisie. Alors qui sortira gagnant ? L’Égypte de Sissi épaulé par les Saoudiens, Trump et meme l’Israel du bandit Netanyahu ?