Dans le chaos calamiteux d’une présidence catastrophique, Donald Trump a trouvé un moment de répit mi-août pour se donner l’air présidentiel et annoncer que deux importantes bases militaires américaines, « Israël » et les « Émirats arabes unis », allaient « normaliser pleinement leurs relations ».
On ne savait pas le moins du monde qu’ils entretenaient des relations anormales.
Trump et son sioniste en chef à demeure à la Maison-Blanche, Jared Kushner, ont voulu présenter le lien stratégique entre ces deux implantations militaires américaines comme un événement « historique », rien que ça. Le journaliste pro-israélien du New York Times, Thomas Friedman, est intervenu pour la qualifier de « séisme géopolitique ».
Lorsqu’on vit aux États-Unis et qu’on suit les informations, on est habitué à ce charabia délirant. On lit l’information et on attend la suite, en vain.
Flanqué de son ancien avocat spécialiste des faillites, qu’il a récompensé par un poste d’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, et Kushner, Trump a été incapable de prononcer une seule phrase factuelle sans rajouter le mensonge selon lequel, en échange de cet accord – pour lui, tout n’est qu’accord –, Israël n’allait pas « décréter sa souveraineté » sur les territoires de Cisjordanie occupée.
Il s’agit bien entendu d’un mensonge flagrant. Israël ne relâchera pas ses efforts avant d’avoir englouti l’intégralité de la Palestine, ainsi que des bouts du Liban, de Syrie, de Jordanie et d’Égypte. En tant que projet colonial européen, le sionisme ne peut qu’étendre territorialement son État-garnison.
Après des années de relations de facto, Israël et les Émirats arabes unis (EAU) ont désormais un accord de jure, scellés par Trump, dans l’espoir d’un plus vaste repositionnement pour faire au moins d’une pierre deux coups : neutraliser le monde arabe dans la lutte palestinienne et menacer l’Iran et la Turquie afin qu’Israël puisse voler le reste de la Palestine en toute impunité.
Israël ne relâchera pas ses efforts avant d’avoir englouti l’intégralité de la Palestine, ainsi que des bouts du Liban, de Syrie, de Jordanie et d’Égypte
Les cheikhs émiratis n’ont été que trop heureux de soutenir l’illusion.
Les Émirats ne sont bien évidemment pas le premier État arabe à trahir officiellement la cause palestinienne. Ils sont le troisième État arabe à aller contre la volonté de leur propre peuple en nouant des relations diplomatiques avec Israël : l’Égypte l’a fait en 1979 et la Jordanie en 1994.
Les sionistes de Tel Aviv à Washington réfléchissent désormais au moyen de faire en sorte que d’autres pays arabes leur emboîtent le pas.
Le New York Times a signalé que la force derrière l’accord entre Israël et son dernier complice arabe en date dans le vol de la Palestine n’était autre que Kushner. Ces derniers temps, les sionistes américains sont ivres de pouvoir. Ils se sont convaincus que leur conquête de la Palestine est un fait accompli. Si quiconque ose remettre cela en question, leurs cellules dormantes de stormtroopers dégoupillent quelques grenades type « antisémitisme » pour l’étouffer et le réduire au silence. On peut compter sur eux !
Cliché orientaliste à vomir
Pour Trump qui fait face au cauchemar de la campagne pour sa réélection, c’est un soulagement bienvenu au regard de son désastreux bilan de président échouant lamentablement.
Pour le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, c’est un triomphe politique pour son régime corrompu ; quant aux Émiratis, qui ont toujours les yeux plus gros que le ventre, ils se réjouissent d’être accueillis lors d’une ridicule nouvelle cérémonie à la Maison-Blanche.
Où cela mène-t-il les Palestiniens et leur lutte historique pour libérer leur patrie ? Où en sont les Palestiniens après avoir été une fois de plus poignardés dans le dos par leurs soi-disant frères arabes ?
Les raisons de mettre ce cliché orientaliste à vomir de la fraternité arabe au rebut de l’histoire sont nombreuses. Mais le problème est bien plus vaste que cette relique du passé. L’illusion du soi-disant monde arabe et de sa solidarité avec la cause palestinienne doit être rejeté catégoriquement dans son ensemble.
On fait généralement une distinction cruciale entre les dirigeants arabes et les peuples arabes, et cette distinction est légitime.
L’Arab Opinion Index, l’indicateur le plus fiable de l’opinion publique arabe, révèle régulièrement que la libération nationale palestinienne figure en tête des préoccupations des Arabes, du Maroc à l’Irak.
« Plus des trois quarts de la population du monde arabe convient du fait que la cause palestinienne concerne tous les Arabes, et pas uniquement les Palestiniens », note le dernier Index.
Mais en dehors des soulèvements révolutionnaires périodiques que les tribus au pouvoir – comme aux EAU – cherchent à réprimer, l’opinion publique arabe n’a pas de pouvoir. Les Arabes sont dirigés par une clique ou une autre de dirigeants illégitimes.
C’est la solidarité internationale avec la cause palestinienne, dont l’expression la plus aboutie est le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), qui est cruciale pour l’avenir de la cause palestinienne.
Si les gens en Égypte, au Maroc ou en Irak se soucient de la cause palestinienne – comme c’est le cas en Iran, en Turquie, en Afrique du Sud, au Pakistan et au Mexique – alors le facteur d’« arabité » n’est plus le problème. La solidarité mondiale est un symbole bien plus important.
Grâce aux Émirats arabes unis, les Palestiniens ont ouvert les yeux sur l’illusion d’une solidarité arabe avec leur cause – et c’est une bonne chose. Pour être clair, ils n’ont jamais adhéré à cette illusion, mais il est bon de garder cette idée en tête. Ce qu’ils ont déjà gagné c’est la reconnaissance historique et totale de la solidarité mondiale avec leur juste cause – bien plus précieuse qu’une illusion.
L’accord entre une colonie européenne et une autre association coloniale dans son voisinage ne signifie rien comparé à la solidarité mondiale. Le mouvement BDS s’étend de l’Asie à l’Afrique, en passant par l’Europe, les États-Unis et l’Amérique latine. C’est ce qui fait peur par-dessus tout aux sionistes.
L’illusion d’une « nation arabe »
Ils n’ont aucun contrôle sur les millions d’Arabes et de musulmans à travers le monde qui détestent le vol historique par Israël de la Palestine et la souffrance et la douleur abyssales que celui-ci a causé aux Palestiniens. Ils méprisent ces faits, car ils les paralysent. L’illusion d’un accord avec une clique renégate est ce dont ils doivent faire étalage.
L’accord entre Israël et les Émirats arabes unis expose également la banalité le concept des sionistes qui dirigent selon lequel un arrangement avec un palais tapageur de cheikhs suffit à couvrir leur vol.
Les Émirats arabes unis comme Israël, et tout autre clan au pouvoir qui pourrait tenter de les rejoindre, sont très éloignés non seulement des millions d’Arabes, mais de l’humanité dans son ensemble. Israël ne peut en aucun cas faire passer son braquage à main armée de la Palestine auprès de tout humain pourvu de décence, sans parler des nations qui se soucient profondément de leurs propres libérations nationales.
L’illusion d’une « nation arabe » a depuis longtemps perdu sa légitimité et son attrait. Le temps du nationalisme bourgeois arabe réactionnaire, avec ses caractéristiques patriarcales et misogynes innées, est depuis longtemps révolu, tout comme les idéologies patriarcales et rétrograde turques, persanes ou autre, allant de l’islamisme à la laïcité.
Ils sont totalement attenants au sionisme lui-même et des produits dérivés du colonialisme européen. L’histoire du nationalisme bourgeois dans le monde arabe et musulman et au-delà a systématiquement abusé de sa rhétorique anticoloniale à la poursuite des tyrannies d’États impitoyables.
Ce qu’il nous faut, c’est que le socialisme démocratique au cœur du mouvement de libération nationale palestinienne régisse le monde arabe, plutôt que le nationalisme arabe illusoire et pathétique qui infeste et corrompt la cause palestinienne
En Inde, Gandhi et Jawaharlal Nehru ont ouvert la voie à Narendra Modi ; en Égypte, Gamal Abdel Nasser a fini par donner Abdel Fatah al-Sissi ; en Iran, Mohamed Mossadegh a été déchu au profit d’une théocratie tyrannique pour porter le manteau de l’anti-américanisme.
La libération nationale palestinienne a suscité un élan de solidarité généralisé de l’Argentine au Mexique – où l’historien Ilan Pappé et moi avons personnellement été des témoins actifs – puis à travers l’Amérique du Nord et profondément en Europe, en Asie et en Afrique.
Cette solidarité aujourd’hui exprimée avec emphase à travers le mouvement BDS, comprend des millions d’Arabes totalement opposés aux traîtrises de leurs dirigeants. Les sionistes ont peur de ce phénomène sur lequel ils n’ont aucun contrôle. Des membres du Congrès américain défendent aujourd’hui le BDS. C’est un cauchemar pour les sionistes.
J’ai toujours dit que ce qu’il nous faut, c’est que le socialisme démocratique au cœur du mouvement de libération nationale palestinienne régisse le monde arabe, plutôt que le nationalisme arabe illusoire et pathétique qui infeste et corrompt la cause palestinienne.
Plus les régimes arabes réactionnaires se révèlent et rejoignent le colonialisme israélien, plus les Palestiniens se libéreront de l’illusion de la « solidarité arabe » – et plus ils seront déterminés et fiers, et plus ils seront chez eux dans le monde, ils seront en compagnie de leurs frères et sœurs à travers le globe, notamment ici aux États-Unis, où les pro-Palestiniens sont actifs d’un bout à l’autre du pays, définissant le mouvement de libération le plus progressif du pays.
– Hamid Dabashi est professeur d’études iraniennes et de littérature comparée, récipendiaire de la chaire Hagop Kevorkian, à l’université de Columbia à New York.