Èva Lachance-Adamus, correspondante au journal, elle a passé quatre mois au Népal dans le cadre des stages internationaux d’Alternatives.
Au Népal, la communauté islamique, malgré sa forte minorité au sein de la population, commence à subir l’intolérance du voisin indien, dont le racisme déborde doucement des frontières.
Le Népal est parfois perçu comme un endroit où paix et variété de cultures règnent. Bien que la langue officielle soit le Népalais, le pays compte en réalité plus d’une centaine de langues encore parlées aujourd’hui. Il rassemble aussi une soixantaine de groupes ethniques distincts. En ce qui a trait à l’appartenance religieuse, selon le dernier recensement de 2021, plus de 81,19 % de la population s’identifie à l’hindouisme, 8,21 % au bouddhisme et 5,09 % à l’islam. Les 5 % restants sont associés à divers groupes religieux tels les kirantis, les chrétiens, les prakritis, les bons, les jaïns, les bahaïs et les sikhs.
Cette diversité se traduit dans l’environnement physique de la ville de Katmandou. Il est par exemple fréquent d’y voir, dans un même quartier, des temples hindous très actifs ainsi que des dizaines de prières bouddhistes suspendues au-dessus des rues. La fête musulmane de l’Aïd el-Kébir est par ailleurs congé national pour tous au Népal.
Cette diversité est également reconnue par le droit népalais. Dès son troisième article, la constitution de 2015 reconnait que le peuple népalais est «multi-ethnique, multilingue, multi-religieux, multi-culturel». La disposition suivante mentionne que l’État népalais est laïque, au sens où il protège les religions, les cultures ainsi que les libertés religieuses et culturelles.
Tumultes chez les voisins
Tant au niveau géographique, culturel qu’économique, il faut noter que le Népal est un pays très proche de l’Inde. C’est entre autres cette proximité qui justifie une politique de «frontières ouvertes» entre les deux pays, tant pour les Népalais que pour les échanges économiques. En juin dernier, le pays voisin, qui se veut la plus grande démocratie du monde, fut confronté à des élections qui ont porté le président sortant Modi au pouvoir. Celui-ci a notamment utilisé des discours fondamentalistes hindous ainsi que des propos ouvertement islamophobes. La question se pose alors de savoir quelle influence, si tant est qu’il y en ait, ces discours haineux promulgués en Inde peuvent avoir sur la minorité musulmane népalaise. En effet, à la manière des individus ou des biens, il n’est pas rare que les débats politiques traversent également les frontières.
Évènements suspects
Sameer Sapkota, étudiant népalais âgé de 22 ans, a été témoin en octobre 2023 de confrontations extrêmement tendues entre des individus hindous et musulmans. La situation fut considérée si dangereuse que la ville de Nepalgunj a jugé nécessaire d’établir un couvre-feu. Le jeune Sapkota n’a alors pas pu sortir de la résidence de son oncle pendant plus de deux semaines. Il explique qu’une fausse nouvelle circulant sur les réseaux sociaux aurait été à la source des tensions. La vache étant un animal sacré au Népal, on y racontait qu’un homme musulman en avait égorgé une. Le tout s’est en réalité révélé être faux. Selon lui, ces évènements seraient effectivement reliés à l’influence des idées discriminatoires présentement assez fortes en Inde.
Sapkota explique également avoir été présent à l’automne 2022 lors d’affrontements physiques à l’occasion des festivités de Dashain et de Muharram, des évènements religieux hindouistes et musulmans. Selon ses dires, alors qu’il s’apprêtait à traverser la rivière de Brada, une bataille se déclencha entre les deux groupes et une émeute s’en suivit. Bien que la police ait pu intervenir, deux personnes y ont tout de même perdu la vie.
Sur un autre registre, M. Pokherel, professeur depuis une dizaine d’années dans une école secondaire, s’est vu confronté à quelques obstacles lors de sa conversation à l’islam. Cette décision lui a valu un rassemblement de personnes devant son domicile manifestant contre son choix. Une vidéo prise sur les lieux par Bimala Khadka en témoigne.
Réforme législative
Les élus népalais s’apprêtent à faire adopter une loi qui aurait pour but de limiter les fonds attribués aux ONG chrétiennes et musulmanes, sous prétexte qu’elles auraient en réalité des objectifs de prosélytisme. Arjun Bhattarai, secrétaire général de la Fédération des ONG du Népal, explique «qu’il s’agit pour la plupart d’organisations qui aident et qui soutiennent la population, incluant les 20 % de la population vivant dans la pauvreté, sans motifs ultérieurs». Il met en garde les élus en mentionnant que limiter leurs financements s’avérerait critique pour certaines communautés qui dépendent de ces services. M. Bhattarai ajoute qu’en réalité ce nouveau projet de loi semble voir le jour suite à l’adoption par l’Inde des restrictions similaires limitant la présence d’ONG musulmanes.
En somme, l’harmonie népalaise n’est pas à l’abri des influences extérieures et des tensions régionales, notamment en raison des discours polarisants et des conflits religieux qui traversent les frontières. Face à ces défis, il est crucial pour le Népal de préserver son engagement en faveur du pluralisme et de la protection des libertés religieuses.