PAUL Martial , Nouvel hebdo anticapitaliste, 23 août 2020
Les élections législatives des 29 mars et 19 avril ont été le déclencheur d’une mobilisation populaire qui, depuis, ne fléchit pas.
Organisées en dépit de la menace du coronavirus, et de l’enlèvement, par des groupes djihadistes du dirigeant de l’opposition Soumaïla Cissé, ces élections ont été largement délaissées par la population avec un taux de participation de 35 % au premier tour et 23 % au second, et leur sincérité a été sujette à caution. Une fois le résultat proclamé, le Conseil constitutionnel a invalidé 30 députés de l’opposition au profit du parti en place, provoquant des appels à descendre dans la rue.
Les deux premières manifestions se sont déroulées dans le calme mais, face à la répression du pouvoir qui a arrêté des dirigeants du mouvement, les principales structures de l’opposition ont appelé à la désobéissance civile généralisée. Les populations ont occupé les bâtiments publics, investi le siège de l’Assemblée nationale et ont été victimes des violences des forces de l’ordre qui ont tiré à balle réelle faisant au moins onze morts.
Le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) vient d’annoncer la dissolution du Conseil constitutionnel, et la démission de son fils président de la Commission Défense de l’Assemblée nationale, particulièrement honni par les populations pour sa corruption sans que cela ne désamorce la mobilisation.
Nouvel homme fort du Mali
La lutte est dirigée par une structure appelée Mouvement du 5 juin (date de la première manifestation) Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Cette structure hétéroclite composée par la quasi-totalité des forces politiques de l’opposition, la société civile et les structures religieuses, s’est formée autour de l’imam Mahmoud Dicko qui a lancé sa propre formation politique : la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS).
Cette personnalité religieuse a fait ses débuts sous l’ère de la dictature de Moussa Traoré où il était responsable de la structure religieuse du pouvoir de l’époque. Il a été par la suite responsable du Haut Conseil islamique malien (HCIM), et a appelé à une mobilisation contre le nouveau Code de la famille qui donnait plus de droits aux femmes maliennes. Présenté comme faiseur de roi, il a soutenu la candidature de IBK en 2012, puis lors de la seconde élection s’est abstenu de le soutenir pour entrer frontalement en opposition avec lui courant 2017.
Religieux rigoriste ayant fait ses études théologiques en Arabie saoudite, il n’a jamais soutenu les djihadistes, mais il a pour autant considéré l’attentat contre l’hôtel Radison Blue, qui a fait une vingtaine de morts, comme une punition divine contre l’homosexualité. Lors de la guerre dans la partie nord du Mali il a entretenu des relations avec les rebelles islamistes, notamment Iyad Ag Ghali.
Une issue de secours pour l’armée française ?
Le succès de Dicko tient d’abord à la fatigue des populations contre les politiciens. En effet, lors de la première élection de Keïta, il y avait l’espoir que la situation s’améliore, IBK avait fait sa campagne contre la corruption et s’était engagé à résoudre la crise sécuritaire. Huit ans après, le bilan est désastreux. Il est apparu comme un président corrompu, notamment en raison de ses liens étroits avec le Français Michel Tomi, surnommé le parrain des parrains, quant à la sécurité, elle s’est profondément dégradée.
Les pays de la région et les chancelleries occidentales sont inquiètes de l’instabilité du Mali. Il est clair qu’IBK n’est plus l’homme de la situation, sa politique erratique de concessions et de violente répression n’a fait que détériorer le climat politique.
La situation demeure ouverte au Mali, le M5-RFP est certes pluriel, mais la voix prédominante reste celle des religieux, ce qui est un sujet de préoccupation. En effet dans les pays où le pouvoir est fortement influencé par les religieux, le Soudan de l’époque d’Omar el-Béchir ou la Mauritanie, la situation sociale et démocratique est peu reluisante.
Pas sûr que la France voit l’ascension de Dicko comme une catastrophe. Certes, ce n’était pas le choix premier du Quai d’Orsay, mais cet imam, qui n’a jamais condamné l’intervention française au Mali, pourrait être une source de stabilité, au moins dans le nord du Mali, en étant capable d’engager un dialogue avec les différentes forces rebelles se réclamant de l’islamisme et ainsi isoler la frange la plus radicale représentée par l’État islamique du Grand Sahara. Ce qui serait une issue de secours pour l’armée française enlisée depuis des années dans les barkhanes du Sahel.