Mali : la crise continue

Entrevue avec Aminata Traoré par Marc de Miramon, L’Humanité, 20 août 2020

 

Comment analysez-vous l’attitude de la France ?

Aminata Traoré. Il est peu probable, vu l’importance de l’engagement militaire français au Mali et les répercussions de ce dossier, essentiel pour Paris dans le contexte européen, que la France ait été prise de court. De mon point de vue, nous sommes confrontés à l’échec d’une expérience soi-disant démocratique imposée depuis l’extérieur, à l’incapacité de faire face à une crise économique et sociale dont les enjeux ont été délibérément limités à une stricte dimension sécuritaire. Le drame du Mali est instrumentalisé en France, en particulier par la droite et l’extrême droite, comme un péril « terroriste » qui menacerait les populations européennes à leur porte. Je constate d’ailleurs que la colère de la rue, dirigée il y a quelques mois contre l’opération Barkhane, a été habilement détournée vers le gouvernement malien, comme si ce dernier était entièrement comptable de cet effondrement.

Dans ce contexte, êtes-vous favorable au départ de Barkhane ?

Aminata Traoré. La question fondamentale est la suivante : la force Barkhane est-elle réellement présente ici pour régler les problèmes d’insécurité et venir concrètement à bout de la menace terroriste ? Comment demander à nos armées sous-équipées d’affronter un problème sécuritaire que les armadas occidentales, dotées de budgets colossaux, ont été incapables de régler en Afghanistan, en Irak ou en Libye ?

Quel horizon politique pour le Mali ?

Aminata Traoré. Ce qui se passe ici doit servir de leçon universelle, personne n’est à l’abri. L’effondrement sécuritaire concerne toute l’Afrique de l’Ouest et la crise économique et sociale, aggravée par la pandémie de Covid-19, fournit un vivier sans fin de volontaires pour grossir les rangs des forces « terroristes » qui nous menacent. Comment expliquer que les pays riches se battent pour l’ouverture de leurs frontières, le retour des visiteurs étrangers, et participent de fait à la destruction des maigres infrastructures touristiques dont nous bénéficions ici en classant l’ensemble des zones sahéliennes en rouge, c’est-à-dire « déconseillées sauf raison impérative » ? L’ancienne ministre de la Culture et du Tourisme que je suis ne peut pas l’accepter.