#MeToo : Un mouvement pour les travailleuses aussi !

Sonia Mitralias, CADTM, 6 mars 2019

Ça fait déjà plus de deux ans depuis l’apparition du mouvement #MeToo qui a dévoilé l’énorme étendue du harcèlement sexuel aux lieux de travail et de la violence sexuelle de genre partout au monde ! Pas du tout éphémère, ce mouvement n’arrête pas de nous surprendre : non seulement il persiste et s’étend désormais à tous les continents, mais il évolue aussi de phénomène virtuel à l’Internet à un véritable mouvement social du 21e siècle. Et surtout, il devient étendard des travailleuses provoquant des mobilisations victorieuses de dimensions historiques contre deux gigantesques multinationales du capitalisme le plus impitoyable…

Quand la boite de Pandore s’est ouverte…

Tout a commencé aux États Unis en Octobre 2017, avec le scandale de harcèlement sexuel qui avait pour protagoniste le grand producteur de Hollywood H. Weinstein, et après que l’actrice Alyssa Milano ait fait circuler sur Internet un Tweet qu’elle avait appelé Me Too. Le contenu était simple : “Si vous êtes harcelées sexuellement, écrivez Me Too comme réponse à ce tweet”. C’est à dire, “moi aussi”.

En à peine 24 heures, 12 millions de personnes de par le monde, dans leur écrasante majorité des femmes, allaient dénoncer des cas de harcèlement sexuel de la part d’hommes puissants.

D’une manière inédite et à travers des millions de témoignages, le mouvement #MeToo, qui utilise les outils technologiques de notre époque, a dévoilé une réalité planétaire cachée, tragique et de masse. Il a provoqué un choc en exposant au grand jour les énormes dimensions du phénomène des agressions sexuelles.

C’est un fait que #MeToo est devenu très visible et a attiré l’attention de l’opinion publique seulement quand plusieurs célébrités de Hollywood ont osé parler en public. Cependant, prétendre que #MeToo a démarré grâce aux célébrités et qu’il ne concerne qu’elles est historiquement faux.

Au contraire de ce qu’on a pu croire, #MeToo n’est pas né en 2017, il a existé bien avant. Il est né il y a onze ans à New York, à l’initiative de Tarana Burke, une activiste Afro-américaine née dans le quartier pauvre de Harlem.

Burke se définit comme une “survivante” d’une agression sexuelle. Le mouvement #MeToo, nous dit-elle, crée un processus de solidarité entre celles qui ont “survécu”, lesquelles peuvent ainsi ouvrir leur cœur et parler de choses qui sont d’habitude indicibles, afin que les femmes s’écoutent les unes les autres. Cela aide à dépasser le sentiment de culpabilité, la victimisation et la solitude.

Tarana Burke avait proposé #MeToo comme moyen de libération pour que les “survivantes” s’acceptent et dépassant leur profond traumatisme psychologique, qu’elles réveillent leur volonté d’agir et de se battre. Leur credo est : “Se renforcer à travers la compréhension mutuelle”. Dans une vidéo, elle a expliqué : « J’ai passé beaucoup de temps, dans ma vingtaine, à chercher comment je pourrais guérir. J’en ai parlé à des amies, à ma communauté, mais la où j’ai trouvé une vrai compréhension, c’était avec des gens qui avaient vécu les mêmes expériences. Les “survivantes” sont les seuls qui peuvent comprendre les autres “survivantes”. »

Le mouvement #MeToo a apporté quelque chose de totalement nouveau au combat des mouvements féministes : à travers l’Internet, il a créé un espace mondial d’auto conscience, une chose que nous les féministes des années ‘70 avons réussi en créant des petits groupes appelés alors “groupes d’auto conscience”. Mais ceux-la ont fonctionné seulement à trop petite échelle.

L’exploit inédit de #MeToo réside dans le fait qu’il s’adresse en tout premier lieu à ceux et celles qui ont subi des violences sexuelles. En même temps, il crée une importante dynamique, parce qu’en faisant disparaître le sentiment de douleur, de honte, de solitude, d’isolement, il crée les conditions pour faire naître une conscience, une auto-connaissance et une action directe féministe collective contre la violence sexiste et la misogynie !

Et le mur du silence se brisa !

Mais pourquoi le mouvement #MeToo a-t-il grandi seulement en automne 2017 et pas quand il a été lancé par Tarana Burke en 2007 ? Tout simplement parce que c’est à ce moment que le mouvement féministe américain est en train de monter en flèche. Il y a eu précédemment la grande Marche de Femmes contre l’intronisation à la présidence des États Unis du très sexiste Donald Trump, qui s’attaque aux droits conquis par le mouvement féministe.

Ç’a été la plus grande manifestation de l’histoire des États Unis, regroupant une multitude de mouvements sociaux et réussissant à renforcer énormément tout le mouvement féministe nord-américain. Par la suite, les mobilisations féministes ont continué le 8 Mars 2017 avec quelque chose de totalement inédit, la grande grève internationale des femmes. C’était donc dans un tel climat que les femmes se sont senties plus fortes pour aller encore plus loin…

D’ailleurs, il n’est pas non plus surprenant que ce soient les célébrités “survivantes” de Hollywood et autres “femmes exceptionnelles” qui aient pu crever l’abcès. Il y en a qui attaquent ces “femmes exceptionnelles”, les qualifiant injustement de carriéristes, d’hypocrites, de femmes célèbres et riches, appartenant à la cour de la grande bourgeoise et néolibérale Hillary Clinton pour s’exhiber et rester aux avant postes de l’actualité.

Pour nous, l’explication est tout autre. Nous croyons que ces femmes “exceptionnelles” ont crevé l’abcès d’un maillon faible. Elles travaillent au cœur de la bête immonde, au cœur d’un espace où elles sont en rapport avec des mâles prédateurs tout-puissants de l’élite mondiale des “upper class”, où la violence et le harcèlement sont fréquents. Et il y a pire : dans ce milieu de ceux d’en haut, le harcèlement sexuel est non seulement accepté, mais il constitue une “valeur” presque imposée, un “must” totalement impuni. Pourquoi ? Mais exactement parce qu’il symbolise le prestige et la force du mâle au sommet de son pouvoir, qui prend son pied en imposant sa domination absolue sur le corps et la vie de ses “sujets”…

Le mur du silence se brise, mais…

“Oui”, disent certains/es, “mais les dénonciations de violence sexuelle se limitent à dénoncer quelques personnes, visent des individus isolés et donc elles ne concernent que des cas individuels”. Et le pire, disent-ils, “c’est qu’elles se placent au dessus de la loi, et donc elles sont très dangereuses puisqu’elles peuvent conduire à se faire justice elle-mêmes, au revanchisme et au lynchage”.

Cependant, le mouvement #MeToo est né précisément contre le silence hypocrite de la société qui tolère systématiquement ces crimes, puisque ses institutions fondamentales comme la police, la justice, la famille ferment les yeux ou préfèrent regarder de l’autre côté. En somme, il est vrai que les féministes ne doivent pas limiter leur lutte à la dénonciation de quelques mâles prédateurs, même si leur condamnation n’est pas du tout négligeable.

Le harcèlement sexuel au travail comme la violence de genre a des racines profondes dans la société patriarcale et est tant lié aux inégalités sociales de toute sorte, qu’il exige une réponse collective… contre l’isolement produit par la violence de genre.

D’ailleurs, le mouvement #MeToo a déclenché dès le début des manifestations de résistance collective dans la vie sociale réelle. Et cela parce qu’on ne peut pas briser le tabou de la tolérance hypocrite en protestant sur Internet. Car ce mouvement #MeToo n’est pas une simple réalité virtuelle, comme disent certain/es, puisqu’il produit un dialogue public social, encourage les actions en justice et a une fonction éducative : il développe la conscience féministe.

En son nom se créent de par le monde des groupes et des réseaux #MeToo. Aux États-unis, le mouvement parvient à influencer même des syndicats, tout en encourageant des nouvelles études, d’ailleurs en très forte augmentation, qui explorent les formes de violence de genre,
Des mobilisations historiques chez McDonald’s et Google !

En septembre 2018, des milliers de travailleuses très pauvres de la chaîne multinationale du fast food McDonald’s, surtout des afro-américaines et des latinos, ont croisé les bras et sont descendues dans la rue dans dix États nord-américains exigeant du patronat qu’il arrête son silence hypocrite et qu’il cesse de couvrir les agressions sexuelles subies par ses travailleuses de la part de leurs supérieurs, des managers ou même des clients de ses magasins.

Il s’agissait d’un événement historique d’envergure internationale, puisque le mouvement #MeToo se tournait contre le deuxième plus grand employeur du monde, qui est aussi le patron d’une des pire galères de travail, les fast-food McDonald’s. En effet, 42 % des travailleurs, surtout des femmes, y subissent un harcèlement sexuel quotidien systématique dans les plus de 14.000 restaurants de par le monde, car la violence sexiste est une arme utilisée par le patronat pour assujettir les travailleuses.

Évidemment, ce n’est pas un hasard si les mobilisations chez Mcdo ont bénéficié du soutien total d’un de plus grands et plus combatifs mouvements ouvriers indépendants des États Unis, le mouvement Fight for 15$, qui lutte ces dernières années pour faire passer le salaire horaire minimum de 7,3 $ à 15 $. C’est ainsi que ce mouvement ouvrier radical a tout fait pour soutenir dès le début le mouvement #MeToo, et ce n’est également pas un hasard si les banderoles des manifestants/es étaient signés conjointement Fight for 15$ et #MeToo.

Mais il y a eu plus que cette mobilisation historique face à la plus grande chaîne de restauration rapide du monde : début Novembre 2018, environ 20.000 salarié-e-s de Google ont fait grève pour protester contre le traitement hypocrite de la part de leur employeur de plusieurs cas de harcèlement sexuel par ses cadres, comme le tristement célèbre Andy Rubin, l’inventeur du téléphone Android. La société l’a non seulement défendu, mais elle l’a aussi gratifié, quand il a quitté Google, d’un “cadeau” de 90 millions de dollars… Comme si de rien n’était !

Travailleuses en tète, les salarié-e-s ont fermé les lieux de travail de Google et sont descendu-e-s partout dans la rue, de Tokyo à New York et Los Angeles et de Londres et Dublin jusqu’à Zurich et Berlin. Et cette grève a fait l’histoire, ayant été non seulement l’un des plus grands, mais aussi l’un des plus originaux arrêts de travail du mouvement ouvrier contemporain. Et sans doute a-t-elle été la plus grande mobilisation de salarié-e-s dans l’histoire de l’industrie high-tech.

La conclusion est évidente : #MeToo et son mouvement ne sont pas faits par les riches et célèbres …pour les riches et célèbres. Ils sont faits pour l’écrasante majorité des femmes et surtout, pour celles d’en bas et les travailleuses, c’est à dire pour celles qui se trouvent en priorité dans la ligne de mire de toutes les injustices et oppressions de la société capitaliste et patriarcale. Et comme le démontrent concrètement les exemples des mobilisations historiques -et victorieuses- chez McDonald’s et Google, le mouvement Me Too doit et peut devenir une véritable locomotive qui renverse des obstacles sexistes et anti-ouvriers, qui brise les barrages patronaux, unit la classe ouvrière et ceux d’en bas, tandis qu’en même temps il développe leur solidarité, leur égalité et leur conscience !

Le mouvement #MeToo nous enseigne beaucoup de choses. À nous d’en profiter et de passer aux actes !

 

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