COURTIL Elise, Basta Mag, 3 juin 2019
Blocage des migrants à la frontière dans les Alpes, navire anti-réfugiés en Méditerranée, slogans anti-musulmans ou banderoles anti-migrants, soupes au cochon pour sans abris, discours anti-féministes… Les coups de com’ des militants identitaires se multiplient. Le mouvement, qui a adopté le sanglier pour logo, bénéficie d’un réseau européen, de la sympathie de toute la droite extrême, des cathos intégristes aux néo-nazis. Et essaiment dans les partis d’extrême-droite établis, du FN en France à l’AfD en Allemagne.
En avril 2018, ils se vantaient d’ « intercepter » des migrants à la frontière italienne, au col de l’Échelle, dans les Alpes. Une opération visant essentiellement à la communication, relayée sur les réseaux sociaux, dont Génération identitaire a l’habitude. Les militants de ce groupe d’extrême droite n’ont pas été inquiétés par la police pour cette action. En revanche, les activistes de la solidarité qui avaient organisé une marche de soutien aux migrants ont, eux, été poursuivis par la justice française. En juin 2017, le mouvement identitaire européen lançait des campagnes de financement participatif pour affréter un bateau en Méditerranée. Celui-ci devait entraver le travail des ONG qui y tentaient de sauver les migrants naufragés. Une embarcation, le C-Star, a ainsi navigué en juillet 2017 avec des identitaires à bord. Entre inspections pour cause de travail illégal au sein de l’équipage, actions de blocage des ports tunisiens suite à la mobilisation des pêcheurs et des habitants, et avaries, l’initiative « Defend Europe » a viré au fiasco. Il n’empêche, elle aura permis au mouvement identitaire de faire parler de lui à travers l’Europe pendant tout l’été.
« La campagne Defend Europe avait en fait été lancée depuis un moment. En Autriche, les identitaires avaient déjà organisé un rassemblement sur ce thème un an auparavant. Même l’affrètement d’un bateau avait déjà été annoncé », analyse Kathrin Glösel. Cette politologue autrichienne et activiste antiraciste suit la mouvance identitaire en Autriche et en Europe depuis 2011 et a co-écrit un ouvrage sur le sujet [1]. « En l’occurence, c’était une action menée par les cadres du mouvement et qui a été critiquée en interne. »
La stratégie de communication au centre du mouvement
Présent aujourd’hui en Allemagne, Autriche, Danemark, Suède, Suisse, Italie, République tchèque, Grande Bretagne… le mouvement des identitaires est à l’origine né en France, avec la création, en 2002, des Jeunesses identitaires, « considérées, par la justice, comme la résurgence d’Unité radicale, un groupuscule d’ultra-droite dissous en 2002 après l’attentat manqué contre Jacques Chirac », précise Éric Dupin dans son ouvrage La France identitaire [2]. En 2012, Jeunesses identitaires devient Génération identitaire. Le groupe revendique 2500 membres, actifs à Nice, Paris, Lyon, Toulouse et aussi à Lille, où ils ont ouvert un « bar identitaire » en 2016.
Les membres du mouvement sont plutôt jeunes. Et leurs actions consistent essentiellement en des happenings racistes, où, comme pour le navire affrété contre les migrants, communication et médiatisation sont centrales. En octobre 2012, ils envahissent le chantier de la mosquée de Poitiers. Pendant le mouvement contre le droit au mariage civil pour les personnes de même sexe, ils s’investissent au sein du « printemps français », aux côtés des ultras de la manif pour tous. En septembre 2015, un groupe d’identitaires allume des fumigènes devant un centre d’accueil de réfugiés à Loudun, dans la Vienne. En mars 2016 à Calais, une centaine d’entre eux bloquent un pont pendant quelques heures et y accrochent des banderoles « No Way » et « Go home ». Sans oublier l’organisation de « soupes aux cochons » pour sans abris non musulmans. Des actions qui sont filmées, photographiées et dont le mouvement fait circuler les images via internet.
« Tous les leaders identitaires allemands viennent de mouvements néonazis »
En Allemagne, les identitaires sont aussi apparus en 2012, d’abord seulement sur Facebook, puis par des actions qui relèvent, là aussi, essentiellement du coup de com’. En août 2016, une poignée d’entre eux hisse une banderole anti-migrants sur la porte de Brandebourg, au centre de Berlin. En Autriche, une banderole similaire est accrochée sur le toit du grand théâtre Burg de Vienne. « C’est la photo qui compte plus que l’action en elle-même. Au moment où celle-ci se déroule, en fait, presque personne ne se rend compte que quelque chose se passe, souligne Kathrin Glösel. Les identitaires ont une stratégie médiatique offensive. C’est ce qui les différencie d’autres groupes d’extrême-droite. Au contraire de groupes néonazis, qui agissent consciemment de manière la plus discrète possible, les identitaires ne cherchent pas l’anonymat. Ils mènent un travail de communication assez professionnel et agissent de manière similaire dans les différents pays où ils sont présents. »
Ce qui n’empêche pas des néonazis de se sentir tout à fait à l’aise chez les identitaires. « Trois des identitaires allemands qui étaient sur le bateau de Defend Europe étaient, ou sont toujours, des néonazis », indique un membre du groupe antifasciste allemand Sachsen-Anhalt Rechtsaussen, qui lutte contre les mouvements d’extrême droite dans la région allemande de Saxe-Anhalt, dans l’est du pays. « Plus largement, en Allemagne, tous les leaders identitaires viennent de mouvements néonazis : de la branche jeune du parti néonazi NPD [Nationaldemokratische Partei Deutschland], des autonomes nationalistes ou de la Heimtatreue Deutsche Jugend, HDJ, des sortes de scouts néonazis. » Ce dernier mouvement a été interdit par les autorités allemandes en 2009.
Xénophobes, homophobes, conspirationnistes… Les identitaires ratissent large
Les services du renseignement intérieur allemands (la Verfassungsschutz) estiment dans leur rapport annuel de 2017 à environ 500 le nombre de militants identitaires dans le pays. Un chiffre en augmentation : en 2016, leur nombre était estimé à 300. Pour comparaison, le parti néonazi allemand compte 4500 membres. « Le mouvement identitaire allemand revendique une démocratie “identitaire” – en opposition à la démocratie représentative, cela signifie qu’ils veulent une démocratie “véritable, directe” », analysent les services allemands du renseignement intérieur. « Mais une démocratie pour laquelle une homogénéité du peuple serait nécessaire, homogénéité qui serait – c’est ce qu’ils disent – menacée par une prétendue immigration de masse incontrôlée », poursuit le rapport des services de renseignements [3].
« Il ne s’agit pas d’un mouvement de masse, c’est sûr, mais c’est déjà assez gros pour qu’il soit important de le suivre, estime Kathrin Glösel. En Allemagne, le mouvement des identitaires a très vite attiré l’attention et la sympathie de tout le spectre d’extrême-droite, des éditeurs, des revues. » Le mensuel xénophobe et conspirationniste Compact, l’hebdomadaire Junge Freiheit, et la revue Sezession (dirigée par l’idéologue Götz Kubitschek, qui a aussi lancé en 2016 une initiative destinée à récolter des fonds pour des campagnes et des actions d’extrême droite en Allemagne, Ein Prozent für unser Land – « un pour-cent pour notre pays »), leur ouvre ainsi régulièrement leurs colonnes avec beaucoup d’empathie.
C’est que l’idéologie des identitaires, la même dans les différents pays où ils sont présents, est clairement xénophobe, islamophobe et raciste. Les identitaires autrichiens et allemands ont adopté l’expression du « grand remplacement », inventée par le français Renaud Camus (selon lequel une supposée unité ethnique française serait menacée par les migrations), et de la « remigration », qui vise à exclure et expulser les personnes d’origine immigrées.
Masculinistes et anti-féministes
La politologue Kathrin Glösel et ses co-auteurs soulignent aussi la composante masculiniste de la mouvance : « Pour la nouvelle droite, la décadence, c’est avant tout une crise de la masculinité », écrivent-ils. En découlent des positions homophobes, contre le droit à l’avortement, contre le féminisme en général, et pour une image des femmes comme protectrice de la famille, avec la maternité pour seul horizon.
« Le mouvement identitaire est particulièrement tourné en direction des jeunes hommes, avec une image de masculinité de soldat. C’est quelque chose de très présent dans leur discours de vouloir s’adresser aux jeunes hommes blancs en leur disant qu’ils sont des défenseurs contre l’étranger, mais aussi contre le marxisme et le féminisme, explique Kathrin Glösel. Les membres du mouvement ne sont pas des laissés-pour-compte. Au contraire, ils ont souvent fait des études. Ce sont des fils de médecins par exemple, mais ils se présentent comme une minorité menacée. »
Un tremplin vers le Rassemblement national ou l’AfD
Que ce soit en France ou ailleurs en Europe, les proximités des identitaires avec les partis d’extrême droite sont fortes, idéologiquement et du point de vue des parcours des personnes. « Plusieurs militants du groupe français Génération identitaire travaillent ou ont travaillé avec des élus du FN », indiquait Éric Dupin dans son ouvrage. Comme Julien Langelia, un des fondateurs du mouvement, recruté par la mairie FN de Cogolin (Var). Ou Philippe Vardon : à l’origine des Jeunesses identitaires en 2002, il a délaissé le mouvement pour devenir conseiller régional FN en PACA en 2014. Il est aujourd’hui vice-résident du groupe Rassemblement national (le nouveau nom du FN) de la région PACA, et membre du bureau national de RN. Plus récemment, Damien Rieu, ancien militant à la section jeune du FN, avait rejoint Rebeyne !, la section jeune des Identitaires de Lyon, avant de devenir l’un des porte-paroles de Génération Identitaire. Il est présent lors de l’occupation du chantier d’une mosquée de Poitiers en 2012. Il fait partie des cadres identitaires qui ont organisé la communication autour du blocage du col de l’Echelle en avril 2018 [4]. Il est aujourd’hui collaborateur à l’Assemblée nationale du député Rassemblement national Gilbert Collard.
« L’attraction du FN explique la disparition du Bloc identitaire », analyse d’ailleurs l’auteur de La France identitaire, Éric Dupin. Cet autre groupement identitaire créé en 2003 s’est transformé en parti politique en 2009. Mais la « formation identitaire “adulte” n’a jamais réussi à percer. Ses résultats électoraux sont restés des plus modestes, même dans des zones de force comme Nice » [5]. Dans certains cantons niçois ou alsaciens, des candidats du Bloc identitaire ont pu attirer entre 3 % et 9 % des voix, en concurrence du FN. Ils ont depuis arrêté de concurrencer localement le parti et plusieurs de leurs cadres en ont investi l’organigramme.
En Allemagne et en Autriche, « il n’y a aucune différence idéologique entre les partis de l’AfD (Alternative für Deutschland, parti allemand d’extrême droite né en 2013 et entré au Bundestag en 2017, ndlr) et du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, pour l’Autriche, ndlr) et le mouvement identitaire », estime Kathrin Glösel. L’un des chefs de l’AfD, Alexander Gauland – élu député lors des dernières élections législatives allemande – avait même appelé publiquement les identitaires à rejoindre son parti. « On trouve des militants de l’AfD à des rassemblements des identitaires. C’est similaire en Autriche : le FPÖ a eu deux assistants parlementaires qui étaient membres du mouvement identitaire autrichien. »
Des camps d’été en uniforme et entraînements physiques
Faut-il y voir une stratégie coordonnée ? De Prague, à Lyon, les membres du réseau des identitaires européens se rencontrent régulièrement. « Le groupe identitaire de Halle, que nous suivons de plus près, voyage régulièrement vers la France », indique le militant antifasciste de Sachsen-Anhalt-Rechstaussen. En avril 2018, le militant identitaire autrichien Martin Sellner, qui est aussi très connu en Allemagne, a tenté de se rendre avec un militant identitaire hongrois en Grande Bretagne pour participer à une conférence organisée par le groupe identitaire britannique Generation Identity. Les deux ont été retenus à l’aéroport et renvoyés hors du territoire britannique. Un mois plus tôt, Sellner s’était déjà vu refuser l’entrée en Angleterre. Les autorités britanniques ne souhaitant pas le voir diffuser son discours raciste dans le pays [6].
Racistes, xénophobes, virilistes, avec un réseau européen et des liens avec les partis d’extrême-droite établis et les organes de diffusion de leurs idées, les identitaires, même relativement peu nombreux, constituent-ils une menace ? « Il y a encore quelques années, j’aurais dit que le mouvement identitaire n’était pas dangereux. Mais j’ai changé d’analyse, témoigne Kathrin Glösel. On voit aujourd’hui qu’ils peuvent être physiquement dangereux, les entraînements au combat qu’ils pratiquent, pendant leurs camps d’été par exemple, ne sont pas là pour rien. »
Les identitaires français organisent un camp d’été chaque année depuis 2013. Au programme, des conférences et ateliers sur des thèmes aussi racistes que « comment ont été repoussés les musulmans par le passé ». Ces camps, où les participants sont en uniforme – short beige et t-shirt bleu orné du sigle identitaire – visent à « former un groupe cohérent au moyen d’une discipline quasi-militaire », écrit Eric Dupin. Qui note aussi « les connotations guerrières de la propagande de Génération identitaire ». La politologue et activiste autrichienne ajoute : « En Autriche, nous avons vu des identitaires attaquer des personnes à coups de matraques télescopiques. »
Notes
[1] Die Identitären, Handbuch zur Jugendbewegung der Neuen Rechten in Europa. Julian Bruns, Kahtrin Glösel, Natascha Strobl. Unrast Verlag, 2017.
[2] La France identitaire, enquête sur la réaction qui vient, La Découverte 2017.
[3] Verfassungsschutzbericht 2017. Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat, juillet 2018.
[4] « Damien Rieu, l’identitaire derrière l’opération anti-migrants du col de l’Echelle », Le Journal du Dimanche, 30 avril 2018.
[5] La France identitaire, p 51.
[6] « Anti-Muslim campaigners denied entry to UK at border », The Guardian, 14 avril 2018.