Moyen-Orient : sur la brèche

RENÉ BACKMANN, Médiapart, 15 octobre 2019

L’attaque, par des missiles iraniens, de deux sites pétroliers saoudiens, le 14 septembre, puis l’intervention turque contre les Kurdes et le retrait américain de Syrie ont bouleversé la donne régionale. Le chaos s’aggrave en Syrie. Israël se prépare à affronter une alliance Iran-Syrie-Hezbollah. Et l’Arabie saoudite a demandé au Pakistan d’entreprendre une médiation avec Téhéran.

Alors que l’offensive turque contre les Kurdes au nord-est de la Syrie et le retrait américain rendent plus instable la région moyen-orientale, les dirigeants israéliens, déroutés par l’irresponsabilité de leur allié Donald Trump, commencent à douter des garanties de sécurité qu’il était censé leur offrir. Inquiétude d’autant plus vive qu’ils sont confrontés, depuis trois semaines, à deux défis majeurs. L’un, politique, l’autre stratégique. Il leur faut, au plus tôt, parvenir à constituer un gouvernement soutenu par une majorité parlementaire durable. Il leur faut aussi trouver la réponse aux capacités militaires et technologiques inédites démontrées récemment avec éclat par l’Iran en Arabie saoudite.

Car elles font peser sur Israël la menace d’une guerre conventionnelle jugée « dévastatrice » par l’état-major. Premier ministre depuis plus de dix ans, chef du gouvernement sortant, Benjamin Netanyahou, qui a été chargé, malgré ses graves problèmes judiciaires, de relever le premier défi voudrait imposer l’idée qu’il est aussi le seul capable de relever le second. Au risque de prolonger l’inquiétude de ses compatriotes.

Les jours et les semaines qui viennent permettront de voir s’il est en mesure de conserver ses fonctions. Ce qui paraît pour l’instant peu probable. L’hypothèse d’un nouveau scrutin – le troisième en moins d’un an – gagne en vraisemblance de jour en jour. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’état-major, en attente de choix politiques clairs et assumés. Quant à la menace militaire nouvelle que présente l’Iran, dans son actuelle configuration stratégique régionale et avec les armes modernes dont il dispose désormais, il ne suffira pas d’une augmentation colossale du budget de la défense israélien, comme vient de le suggérer Netanyahou, pour la conjurer.

C’est à une révision générale de leurs évaluations du danger iranien, à une mise à jour des données collectées par les services secrets et à une refonte radicale de leurs dispositifs de protection et de défense que les responsables de l’armée israélienne et des services de renseignement sont aujourd’hui invités. Car la frappe du 14 septembre sur les installations saoudiennes de stockage et de raffinage de pétrole attribuée à l’Iran par plusieurs services secrets occidentaux, et probablement lancée depuis le territoire iranien, a révélé une sophistication technique, une planification tactique et des capacités opérationnelles inconnues à ce jour des militaires et des services de renseignement israéliens.

La première surprise de ces deux frappes sur les installations d’Abqaiq, la plus grande usine de traitement du pétrole de la planète, et sur le site de Khurais, à 180 km au sud-ouest, a été l’usage combiné par l’Iran de drones et de missiles de croisière de moyenne portée. Une vingtaine de missiles et au moins autant de drones semblent avoir été utilisés. Les drones avaient, semble-t-il, trois usages : la désignation des cibles, le guidage final et l’évaluation des dommages.

La deuxième surprise a été la précision des tirs. Les photos prises par les satellites de surveillance occidentaux montrent que les réservoirs de pétrole ont été atteints par les missiles en plein centre, tout comme les tours de stabilisation du brut. À Abqaiq, où 17 cibles ont été atteintes, 5 des 18 tours ont été détruites ou endommagées. Deux installations ont été visées et atteintes à Khurais. Selon un expert israélien, la précision des frappes était de 1 mètre. Une performance qu’aucun des systèmes de guidage traditionnels – inertiel, GPS, radar, topographique – ne peut garantir seul, mais qu’un marquage laser ou un guidage par drone, dans la phase finale, peut assurer. Grâce à cette combinaison missiles-drones, le taux de réussite des frappes a été de 85 %, contre 60 % pour les derniers tirs des missiles de croisière américains sur la Syrie, estime le même expert.

Le résultat des frappes a été tel que la production de pétrole de l’Arabie saoudite, évaluée à 9,8 millions de barils par jour, a été amputée de 5,7 millions de barils. Pour éviter une augmentation brutale des cours du brut et préserver le projet d’entrée en bourse d’Aramco, la compagnie nationale saoudienne des hydrocarbures, Riyad a puisé dans ses stocks de réserve. Mais la remise en état des installations prendra au moins six mois et la valorisation de la compagnie risque de souffrir de cette démonstration de vulnérabilité du cœur de ses installations.

Troisième surprise : les systèmes de détection et de défense achetés par Riyad aux États-Unis – qui comprennent notamment des batteries de missiles Patriot – n’ont intercepté aucun des objets volants en provenance d’Iran. Peut-être en raison d’un manque d’entraînement ou de motivation des militaires impliqués. Peut-être aussi parce que les antennes des radars étaient orientées en priorité vers le Golfe, c’est-à-dire vers l’est, alors que les missiles, partis, semble-t-il, de la région d’Ahvaz, seraient arrivés du nord, à travers l’espace aérien du Koweït. Sans doute aussi parce que les engins iraniens volaient au ras du sol. Pour un pays qui a le troisième budget militaire de la planète et qui est devenu, depuis au moins cinq ans, le premier importateur d’armes, l’humiliation est cruelle.

Mais il y a, pour la diplomatie saoudienne, pire encore. Car en apparence, l’armée américaine, très présente et vigilante dans la région, n’a pas détecté l’arrivée des missiles et des drones iraniens. À moins, ce qui est plus vraisemblable, que l’attaque ait été détectée mais que le Pentagone n’ait pas jugé utile ou avisé d’en informer ses alliés locaux. Ce qui pourrait en dire long sur les intentions réelles de la Maison Blanche et la crédibilité du parapluie militaire américain dans la région. Crédibilité réduite à néant, trois semaines plus tard, par l’annonce du retrait des forces spéciales américaines de Syrie et l’abandon des Kurdes…

Quatrième surprise : malgré le désastre stratégique que représente pour l’Arabie saoudite et ses protecteurs une frappe qui sème, aux yeux du monde, la destruction en plein cœur de son potentiel économique, aucune opération de représailles n’a été déclenchée, ni par Riyad, pourtant au bord de la guerre avec Téhéran, ni par Washington, qui accumule sanctions et menaces contre la République islamique, tout en répétant que la voie du dialogue n’est pas fermée. Sans doute la volonté de Trump de ne pas ouvrir un front supplémentaire – des plus risqués – à l’orée d’une année électorale explique-t-il la soudaine retenue du matamore de la Maison Blanche. Mais on ne peut plus désormais écarter, dans les raisons de cette prudence du Pentagone et de ses alliés arabes, l’effet de dissuasion que provoque aujourd’hui, dans les états-majors de la région, la frappe imparable et dévastatrice de l’Iran.

La politique iranienne de Netanyahou s’est effondrée

C’est bien là ce qui inquiète les stratèges israéliens. Alors que Téhéran qui a largement contribué, aux côtés de Moscou, à la victoire de Bachar al-Assad sur ses opposants, poursuit son implantation en Syrie et renforce l’armement de ses alliés chiites libanais du Hezbollah, les monarchies sunnites du Golfe qui partageaient l’aversion d’Israël et des États-Unis pour l’Iran semblent mesurer ce qu’il peut en coûter de s’opposer militairement à la République islamique.

D’autant que les gesticulations de Trump sont de plus en plus illisibles. Alternant les proclamations bravaches sur Twitter et les reculades sur le terrain, il sème la confusion chez ses amis et alliés, sans troubler ses ennemis. Après avoir, en juin, renoncé au dernier moment à exercer des représailles contre l’Iran après la destruction d’un drone espion de l’US Air Force, il est resté spectateur de la frappe iranienne contre l’Arabie saoudite et vient de livrer ses alliés kurdes à la vindicte d’Erdogan. On a vu des protecteurs plus convaincants.

« La dernière fois qu’il avait retiré des troupes de Syrie, constate un observateur israélien, il nous avait prévenus 24 heures à l’avance. Cette fois, il a décidé de retirer ses forces spéciales sans même penser à nous avertir. » Rappelant que la politique étrangère et la stratégie de défense du premier ministre israélien étaient fondées, jusqu’à sa défaite électorale, sur une identification complète avec Trump et sur l’escalade du conflit avec l’Iran, l’éditorial du quotidien Haaretz constatait vendredi que « la politique iranienne de Netanyahou s’est effondrée ». Et le chroniqueur militaire du même journal estimait le lendemain que « le retrait de Trump de Syrie est un désastre stratégique pour Netanyahou ».

Pour les stratèges israéliens, il est clair que l’attaque iranienne contre les installations pétrolières saoudienne constitue un tournant. « Une capacité de frappe d’une telle précision et d’une telle efficacité met en danger, ici, de nombreuses infrastructures stratégiques », estime un expert, qui énumère l’aéroport Ben Gourion, la centrale électrique de Hadera, le réservoir géant d’ammoniaque de Haifa et plusieurs dépôts de gaz et de carburant. « Le moment est venu de fermer le réacteur nucléaire de Dimona », affirme même l’universitaire Uzi Even, qui fut, dans les années 1960, avec le grade de lieutenant-colonel, l’un des pionniers du programme nucléaire israélien.

Tandis que Benjamin Netanyahou semblait obsédé par le risque de voir l’Iran disposer de l’arme nucléaire, au point de convaincre Trump de quitter l’accord sur la démilitarisation du nucléaire iranien, signé en 2015 par Barack Obama et les dirigeants britanniques, français, allemands, chinois et russes, de nombreux experts militaires israéliens pointaient, avec insistance, un autre danger : celui que constituait le développement de la présence militaire iranienne en Syrie, au Liban, au travers du Hezbollah, et en Irak.

En janvier dernier, présentant au président israélien son « Évaluation stratégique » pour 2019, le général Amos Yadlin, directeur de l’Institut national pour les études de sécurité (INSS) et ancien chef des renseignements militaires (Aman), avait prévenu : « La plus grave menace que nous devons affronter n’est pas une troisième guerre du Liban ou une détérioration de la situation en Judée et Samarie [Cisjordanie – ndlr], mais la première guerre du nord, c’est-à-dire un conflit simultané avec le Hezbollah, la Syrie et l’Iran, auquel le Hamas, au sud, pourrait se joindre. Israël, en 2019, est un pays fort. Notre armée est assez puissante pour dissuader nos ennemis. Le défi auquel nous devons faire face est de mobiliser cette puissance pour renforcer la politique adéquate. »

La « politique adéquate », apparemment, incluait une évaluation précise de la présence militaire iranienne en Syrie, une stratégie active d’endiguement de la puissance du Hezbollah et le développement de la protection des sites stratégiques vulnérables. Ce qui s’était traduit en 2017 et 2018 par plusieurs centaines de raids de bombardement de l’aviation israélienne sur la Syrie. La plupart visaient des entrepôts d’armes iraniennes, des installations militaires iraniennes ou des convois de matériel militaire iranien destiné au Hezbollah. « Au cours de la seule année 2018, confiait au New York Times le général Gadi Eizenkot, alors chef d’état-major, nous avons largué près de 2 000 bombes lors de ces frappes. »

Dans une étude datée de juin dernier, le général de réserve Michael Herzog, officier de renseignement pendant vingt ans, puis chef du département de la planification stratégique et conseiller de quatre ministres de la défense, étudie en détail la stratégie de modernisation de l’armement du Hezbollah, lancée par son protecteur iranien en 2016, dans le cadre de sa transformation de la Syrie en front renforcé face à Israël. Ses conclusions expliquent l’alarmisme du général Yadlin.

Baptisée « Projet précision », cette stratégie des militaires iraniens avait pour objectif de transformer en armes de précision une partie des missiles fournis par Téhéran au Hezbollah. Les quelque 100 000 roquettes Katioucha ou Grad, à courte portée, n’étaient pas concernées par cette transformation. Mais au moins un millier d’engins de moyenne et longue portée devaient être équipés de systèmes de guidage par GPS, de fabrication russe, ou de systèmes de navigation inertielle qui leur donnaient une précision de l’ordre de 10 mètres. Les travaux de transformation étaient réalisés au Liban et en Syrie dans des ateliers camouflés.

Selon l’armée israélienne, qui en a publié des photos aériennes début septembre, l’un de ces ateliers se trouverait près de la localité de Nabi Chit, dans la vallée libanaise de la Bekaa, non loin de la frontière syrienne. Trois autres ateliers installés à Beyrouth ont été fermés et sans doute transférés en des lieux plus discrets, après l’avertissement lancé au Liban par Benjamin Netanyahou devant l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre 2018.

« Du point de vue israélien, écrivait le général Herzog, le “projet précision” est peut-être la composante la plus redoutable du dessein iranien en Syrie et au Liban. En dépit de sa puissance militaire, Israël est un petit pays vulnérable dont la majorité des centres de population et les infrastructures nationales et militaires majeures sont concentrés dans une zone de 20 km de large et 80 à 100 km de long. Avec un nombre relativement faible de fusées de haute précision, le Hezbollah pourrait nous faire payer très cher une nouvelle guerre en visant des sites majeurs pour la sécurité nationale du pays et pour notre aptitude à conduire la guerre. »

Les dirigeants du Hezbollah sont parfaitement conscients de l’atout qu’ils ont en main. En décembre 2018, la milice libanaise affirmait dans une vidéo qu’elle disposait d’une « banque d’objectifs israéliens » contenant des bases aériennes, le réacteur de Dimona, le ministère de la défense et l’état-major de l’armée, en plein centre de Tel-Aviv, l’aéroport international David-Ben Gourion, la raffinerie d’Haïfa, des installations de gaz offshore, des usines de désalinisation, des installations pétrochimiques et les principales centrales électriques. En juillet dernier, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, enfonçait le même clou en citant à Beyrouth, dans l’un de ses discours, l’étude du général Herzog, publiée par le site d’un centre de recherches stratégiques de Washington.

Une médiation pakistanaise ?

Comment affronter la nouvelle menace technologique iranienne et le risque d’une « guerre du nord », telle qu’elle a été imaginée dans l’évaluation annuelle du général Yadlin ? Pour l’instant, le commandement de la défense aérienne de l’armée israélienne dispose d’un ensemble de trois systèmes de défense contre les attaques venues du ciel. Les batteries du « Dôme de fer » sont utilisées contre les obus, les roquettes et les missiles à courte portée. Largement déployées autour de la bande de Gaza, ces batteries sont assez efficaces, sauf face à des salves de saturation, où le « dôme » se révèle perméable.

Contre les missiles de moyenne portée ou les missiles de croisière, les militaires israéliens ont développé depuis 2006, avec l’aide des États-Unis, un système de détection et de destruction entré en service opérationnel en 2017, la « Fronde de David », destiné en priorité à assurer la sécurité des localités du nord d’Israël contre les attaques du Hezbollah. Ses deux premières batteries ont été installées sur la base aérienne d’Hatzor, à l’est d’Ashdod. Il a été utilisé pour la première fois en juillet 2018 contre des missiles syriens.

Le troisième niveau de défense anti-aérienne, contre les missiles balistiques, est assuré par les batteries de missiles anti-missiles Hetz (« Flèche ») développées par l’industrie de défense israélienne grâce à un financement américain. Pesant deux tonnes, ces missiles, qui mesurent près de huit mètres de long, doivent en principe détruire leur cible à assez haute altitude et assez loin des centres de population pour que la charge de leur ogive – nucléaire, chimique ou biologique – soit sans effet. La première batterie de Hetz, accompagnée de son radar et de son système de contrôle et de commandement de tir est entrée en service en 2000 sur la base aérienne de Palmachim, au sud de Tel-Aviv.

En outre, le commandement de la défense aérienne dispose de plusieurs batteries de missiles anti-missiles américains Patriot et d’au moins une batterie de missiles antibalistiques américains Thaad, accompagnée de son radar à très longue portée, déployée en mars dernier, quelque part dans le Négev.

A priori, le ciel israélien semble bien protégé. Mais, compte tenu de l’importance des stocks de missiles détenus par le Hezbollah et de la nouvelle menace que constitue la technologie iranienne, associée à des capacités opérationnelles insoupçonnées, l’état-major estime aujourd’hui qu’il est indispensable de mettre en œuvre des « réponses supplémentaires ». Entré en fonctions en janvier dernier, le général Aviv Kochavi, nouveau chef d’état-major de l’armée israélienne, plaide depuis des mois en faveur d’un plan pluriannuel de modernisation de l’armée israélienne.

Sous le nom de code « Momentum », ce plan propose notamment de réactiver le projet de système d’interception des menaces aériennes – missiles, drones, avions – par laser qui avait été envisagé, puis abandonné, il y a quelques années. Les « réponses supplémentaires » prévoiraient aussi un développement des moyens de contre-mesures électroniques destinées à brouiller les systèmes de guidage GPS, d’origine russe, des missiles ennemis. En prenant soin toutefois de ne pas interférer avec les guidages GPS ou autres utilisés en Syrie par l’armée russe, avec laquelle l’armée israélienne entend maintenir ses échanges d’informations. Échanges qui ont permis, ces dernières années, aux avions de combat et aux missiles israéliens de frapper des cibles – notamment iraniennes – sur le sol syrien, avec l’accord tacite des militaires russes, le tout en vertu d’un engagement non écrit de Moscou de ne pas mettre en péril la sécurité d’Israël.

Le plan du général Kochavi se heurte, pour l’heure, à deux obstacles. D’une part, le développement des missiles de défense coûte, selon les experts, plus de 100 fois plus cher que celui des missiles d’attaque. Ce qui implique, pour l’état-major, à budget constant, des choix difficiles. D’autre part, le pays est englué dans une interminable crise politique qui empêche le gouvernement en fonctions de prendre des décisions à long terme. Notamment en matière d’engagements financiers.

Ces difficultés n’ont pas dissuadé Netanyahou de proposer, le 2 octobre, à l’occasion de la première réunion de la nouvelle Knesset, une augmentation annuelle de 4 milliards de shekels (1,15 milliard de dollars) du budget de la défense. Alors que le maintien du budget militaire à son niveau actuel oblige déjà le gouvernement à des coupes claires dans nombre d’autres domaines, les spécialistes des dépenses militaires s’interrogent sur l’origine de ce chiffre, qui ne correspond à aucun programme de recherche ou de développement identifié. L’unique explication avancée jusqu’à présent est que le premier ministre, en posture très difficile, a tenté de surfer, avec cette surenchère, sur la vague d’inquiétude née, dans le pays, de l’analyse de la frappe iranienne. Avec l’intention probablement de cultiver auprès de son électorat son image de champion de la sécurité d’Israël.

Sans doute n’a-t-il pas mesuré – ou refuse-t-il de voir – que la donne stratégique, dans la région, est désormais différente. Hier encore, jouant sur la rivalité régionale entre sunnites et chiites, et sur l’hostilité des monarchies du Golfe à l’égard de l’Iran, accusé d’ambitions impérialistes, Israël pouvait nourrir le projet d’enrôler les capitales sunnites dans sa guerre contre la République islamique. Guerre à laquelle venait de se joindre l’administration Trump, résolue à défaire ce qu’Obama avait fait.

Fort de sa proximité avec son ami Donald, confiant dans l’effet ravageur des sanctions américaines et comblé d’avoir rallié à sa cause le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) et son mentor émirati Mohammed ben Zayed (MBZ), Netanyahou semblait alors convaincu que la stratégie de la « pression maximum », militaire et économique, exercée par la Maison Blanche sur l’Iran aboutirait à la déstabilisation durable du régime des mollahs, voire à sa chute.

Erreur fatale. Dans cette partie qui semblait jouée, la frappe iranienne a redistribué la majeure partie des cartes. Et la défaite électorale de Netanyahou, faute impardonnable aux yeux de Trump qui n’aime pas les perdants, en a bousculé quelques autres. En répétant désormais qu’il ne veut pas la guerre mais le dialogue avec l’Iran, en livrant les Kurdes à Erdogan, Trump laisse de fait la scène syrienne sous le contrôle de Poutine, maître du champ de bataille avec ses alliés iraniens. Tirant les leçons de cette nouvelle donne, les généraux israéliens, pragmatiques, ont rangé dans leurs tiroirs les plans de frappe contre un péril nucléaire iranien que peu d’entre eux jugeaient « existentiel » et se concentrent sur la protection du sanctuaire national, en cherchant aujourd’hui la parade à une « guerre du nord » dont Netanyahou n’avait pas mesuré tous les risques.

Quant aux dirigeants saoudiens, ils semblent admettre, de leur côté, que ni leur ruineux appareil militaire, ni leur alliance avec Washington, ni leur rapprochement avec Israël n’ont pu leur offrir la suprématie régionale qu’ils convoitaient, et pas davantage les protéger d’une frappe destructrice pour leur économie. Signe qu’il est peut-être temps de donner la parole aux diplomates.

Le mois dernier, quelques jours après l’Assemblée générale des Nations unies, et deux semaines après la frappe iranienne sur l’Arabie saoudite, le premier ministre pakistanais Imran Khan avait révélé qu’à l’occasion de leur rencontre à New York, le prince héritier saoudien et Donald Trump lui avaient demandé de tenter une médiation entre Riyad et Téhéran. La démarche avait été confirmée par le porte-parole du gouvernement iranien Ali Rabiei. Ce dernier avait indiqué que l’Iran avait reçu, via un pays tiers, une lettre du prince saoudien.

Pourquoi le Pakistan ? Parce que ce pays, qui a 2 000 kilomètres de frontière commune avec l’Iran et représente les intérêts consulaires de Téhéran aux États-Unis, a aussi d’excellentes relations diplomatiques et militaires avec l’Arabie saoudite, où vivent 2,5 millions de Pakistanais, dont certains sont des conseillers militaires. Une position idéale pour tenter une mission de bons offices.

Dimanche, Imran Khan était donc à Téhéran, où il a déclaré, après avoir rencontré le président Rohani et le guide suprême Ali Khamenei, qu’il entendait être un « facilitateur, pas un médiateur ». « Il est impératif que nous empêchions un conflit d’éclater entre la République islamique et le royaume saoudien », a-t-il indiqué, avant d’annoncer qu’il se rendrait mardi en Arabie saoudite. À suivre…

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