Une large majorité des citoyens de la Convention pour le climat en France s’est prononcée pour ne pas appliquer « en l’état » l’accord de libre-échange avec le Canada. Une position embarrassante pour l’Élysée, le texte controversé n’étant toujours pas passé au Sénat.
« La France doit notifier officiellement sa décision définitive de ne pas ratifier le Ceta en l’état. [Elle] doit également dénoncer l’application provisoire de l’accord », lit-on dans cette proposition. Ils proposent d’intégrer au texte les objectifs climatiques de l’Accord de Paris de 2015. Lors d’un vote séparé dimanche 21, les mêmes citoyens n’ont pas souhaité intégrer explicitement la renégociation du Ceta aux questions posées à l’occasion d’un éventuel référendum national.
« Les citoyens ont jugé que signer des accords de libre-échange était contradictoire avec le respect de nos objectifs climatiques », se réjouit Samuel Leré, de la Fondation Nicolas Hulot. Ce dernier, qui fut l’un des intervenants sur le commerce auprès de la Convention, « espère désormais que l’exécutif va aller au clash sur le sujet » à Bruxelles.
Cette prise de position de la Convention constitue un énième rebondissement, sur le chemin accidenté du Ceta, présenté de longue date par la Commission européenne comme un « accord modèle », censé servir de référence pour les dizaines d’autres textes de libre-échange en cours de négociation par l’UE.
Ce document de 30 chapitres – quelque 1 500 pages – a été négocié de 2009 à 2016 entre Bruxelles et Ottawa. Sa ratification au Parlement européen, en février 2017, avait préparé le terrain à une entrée en vigueur provisoire, la même année, de la majorité des chapitres du texte – une application provisoire que les citoyens de la Convention viennent de dénoncer.
Après le feu vert du Parlement de Strasbourg en 2017, s’est ouvert le processus des ratifications dans les 38 chambres nationales des États membres de l’UE. En France, Emmanuel Macron avait d’abord promis de « renégocier », avant de s’en tenir à un « plan d’accompagnement » du traité. Si le Ceta est passé à une courte majorité à l’Assemblée à l’été 2019 (266 députés sur 553, avec pas moins de 52 abstentions au sein de LREM et neuf autres Marcheurs opposés), sa ratification par le Sénat semble compromise, puisque LREM est la seule formation à encore défendre – du bout des lèvres – ce traité.
À plusieurs reprises, le chef du groupe LR au sein de la Chambre haute, Bruno Retailleau, a exhorté l’exécutif à inscrire le Ceta à l’agenda du Sénat. Impatient de faire « tomber » le texte, il espère ainsi se démarquer de LREM sur les enjeux commerciaux, en défense, dit-il, des agriculteurs français. « Le gouvernement préfère laisser le Ceta s’appliquer en catimini, sans vote de l’ensemble des parlementaires. Ce déni de démocratie est inacceptable », avait-il lancé fin 2019. Lors du vote à Strasbourg en 2017, une majorité d’élus LR avait toutefois voté pour le texte.
À ce stade, trois options se présentent à Emmanuel Macron, toutes inconfortables. Il peut inclure le Ceta dans un référendum, dans la foulée de la Convention. Le scénario est peu probable, et très risqué politiquement, puisque Macron se trouverait dans la position de défendre seul contre tous le texte.
Autre possibilité : mettre le texte au vote des sénateurs d’ici la fin de l’année, assumer son rejet et revenir devant les députés. Mais là encore, alors que les législatives de 2022 approchent, il n’est plus du tout certain que LREM dispose encore de la courte majorité qu’il avait formée à l’été 2019.
Il reste une voie intermédiaire : ne pas inscrire le Ceta à l’agenda de l’Assemblée pour un second vote et le repousser à l’après-présidentielle de 2022. Car en attendant, la majorité des chapitres sont déjà appliqués, de manière provisoire. Ce vote « en négatif » aurait l’avantage, pour le gouvernement, de passer un peu plus inaperçu sur le sujet. Mais cela reviendrait aussi à piétiner les conclusions fermes de la Convention citoyenne.
« C’est le syndrome 2005, déplore-t-on dans l’entourage du président, en référence au Traité constitutionnel européen, le TCE, qui avait été rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas. Même si l’on obtenait encore des améliorations du texte, ce serait de toute façon difficile de le passer, en raison de l’opacité du processus, de la technicité du document ».
a est considéré par beaucoup comme de l’histoire ancienne. Et malgré le choc de la pandémie et le retour des débats sur la « démondialisation », le commissaire européen au commerce, l’Irlandais Phil Hogan, continue de défendre le dogme du libre-échange pour doper la relance économique dans l’UE. En plein confinement en Europe, l’exécutif européen a même annoncé la conclusion d’un accord avec le Mexique. Quant à l’Allemagne, qui prend la présidence de l’UE pour six mois à partir de juillet, elle souhaite faire des avancées commerciales l’une de ses priorités.La position de la France sur les questions commerciales est floue à Bruxelles. En avril 2019, Paris avait été la seule capitale à s’opposer à la reprise de négociations commerciales avec les États-Unis, en vue d’un nouveau traité (avec l’abstention des Belges). Sur le projet d’accord UE-Mercosur (dont le Brésil), Macron avait d’abord soutenu la démarche, avant de faire volte-face, à l’été 2019.
Mais la grande majorité des eurodéputés LREM ont voté le dernier accord commercial en date, celui avec le Vietnam, en février dernier, n’y voyant aucune contradiction avec les engagements climatiques et l’Accord de Paris. Sous la pression de la Convention citoyenne, Emmanuel Macron va-t-il oser rouvrir le dossier du Ceta à Bruxelles ?