Jonathan Cook, Chroniques de Palestine, 1 février 2020
Le projet d’accord inclut délibérément une série de conditions totalement irréalisables, pour que ce qui reste de la Palestine soit reconnu.
Une grande partie de l’ « Accord du siècle » de Donald Trump était déjà connue. Au cours des 18 derniers mois, les responsables israéliens ont divulgué de nombreux détails de cet accord.
La soi-disant « Vision pour la paix » dévoilée mardi a simplement confirmé que le gouvernement américain a officiellement épousé le consensus qui règne depuis longtemps en Israël : à savoir qu’Israël a le droit d’occuper indéfiniment les territoires qu’il a saisis illégalement au cours des cinquante dernières années, privant de ce fait les Palestiniens de tout espoir d’avoir un jour un État.
La Maison Blanche a rompu avec l’image d’ « honnête courtier » entre Israël et les Palestiniens, à laquelle les États-Unis étaient traditionnellement attachés. Les dirigeants palestiniens n’ont pas été invités à la cérémonie, et ne seraient pas venus s’ils l’avaient été. L’accord conçu à Tel-Aviv plus qu’à Washington avait précisément pour but d’écarter le « partenaire » palestinien.
Israël obtient ce qui est le plus important pour lui : la permission de Washington d’annexer toutes ses colonies illégales, aujourd’hui éparpillées en Cisjordanie, ainsi que le vaste bassin agricole de la vallée du Jourdain. Israël continuera à exercer un contrôle militaire sur l’ensemble de la Cisjordanie.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé son intention de présenter ce plan d’annexion à son cabinet dès que possible. Il constituera sans aucun doute la pièce maîtresse de ses efforts pour remporter les élections générales très disputées du 2 mars prochain.
L’accord Trump approuve également l’annexion actuelle de Jérusalem-Est par Israël. Les Palestiniens devront faire d’un village de Cisjordanie, situé en dehors de la ville, leur capitale « Al Quds ». Il y a des signes extrêmement inquiétants qui laissent penser qu’Israël pourrait être autorisé à diviser de force le complexe de la mosquée Al Aqsa pour créer un espace de prière pour les juifs extrémistes, comme à Hébron [Al-Khalil].
En outre, l’administration Trump semble vouloir donner satisfaction à la droite israélienne qui a toujours voulu redessiner les frontières actuelles pour pouvoir transférer en Cisjordanie des centaines de milliers de Palestiniens vivant actuellement en Israël en tant que citoyens. Cela équivaudrait presque certainement à un crime de guerre.
Le plan ne prévoit pas de droit au retour et il semble que le monde arabe devra payer la facture de l’indemnisation de millions de réfugiés palestiniens.
Sur une carte américaine distribuée mardi, on voit des enclaves palestiniennes reliées par un dédale de ponts et de tunnels, dont un entre la Cisjordanie et Gaza. Quant aux Palestiniens, ils doivent se contenter des promesses américaines de renforcer leur économie. Compte tenu de l’état désastreux des finances palestiniennes après des décennies de vol de leurs ressources par Israël, la promesse ne vaut pas grand-chose.
Tout cela a été présenté comme une « solution réaliste à deux États », offrant aux Palestiniens près de 70 % des territoires occupés – ce qui représente 22 % de leur patrie d’origine. En d’autres termes, les Palestiniens doivent accepter un État sur 15 % de la Palestine historique après qu’Israël a saisi toutes les meilleures terres agricoles et les sources d’eau.
Comme tous les accords, celui sur cet « État » patchwork – dépourvu d’armée et dont Israël contrôlera la sécurité, les frontières, les eaux côtières et l’espace aérien – a une date limite. Si d’ici quatre ans, les Palestiniens n’ont pas signé, Israël aura carte blanche pour s’approprier encore plus de territoires palestiniens. Mais la vérité est que ni Israël ni les États-Unis ne veulent que les Palestiniens signent.
A cet effet, le plan comprend – outre l’annexion des colonies – une série de conditions pour que ce qui reste de la Palestine soit reconnu, qui sont totalement irréalisables : les factions palestiniennes doivent déposer les armes et le Hamas doit être démantelé; l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas doit supprimer les allocations des familles des prisonniers politiques; et les territoires palestiniens doivent se transformer en Suisse du Moyen-Orient, une démocratie florissante et une société ouverte, tout cela sous la botte d’Israël.
En fait, le plan Trump met à jour et réduit à néant l’idée mensongère que le processus d’Oslo, vieux de 26 ans, visait à autre chose qu’à une capitulation palestinienne. Il aligne totalement les États-Unis sur l’acharnement israélien – dont tous ses principaux partis politiques font preuve depuis de nombreuses décennies – pour jeter les bases d’un apartheid permanent dans les territoires occupés.
Trump a invité à la fois Netanyahu, le premier ministre intérimaire d’Israël, et son principal rival politique, l’ancien général Benny Gantz, pour le lancement. Tous deux ont tenu à exprimer leur soutien inconditionnel.
À eux deux, ils représentent les quatre cinquièmes du parlement israélien. Le principal enjeu des élections de mars sera d’évaluer qui est le mieux placé pour mettre en œuvre le plan et porter ainsi un coup fatal au rêve palestinien d’un État.
À la droite israélienne, des voix dissidentes se sont fait entendre. Les groupes de colons ont décrit le plan comme étant « loin d’être parfait » – une opinion que partage presque certainement en privé Netanyahu. L’extrême droite d’Israël s’oppose à toute discussion sur un État palestinien, aussi illusoire soit-il.
Néanmoins, Netanyahu et sa coalition de droite prendront tout ce que l’administration Trump veut bien leur donner, en attendant l’inévitable rejet du plan par les dirigeants palestiniens qui servira de justification à Israël pour s’emparer d’encore plus de terres.
Il y a d’autres bonus plus immédiats de « l’Accord du siècle ».
En permettant à Israël de conserver le butin (mal) acquis pendant sa conquête des territoires palestiniens en 1967, Washington a officiellement avalisé l’une des plus grandes agressions coloniales de l’ère moderne. L’administration américaine a ainsi déclaré une guerre ouverte à ce qui reste du droit international.
Trump tire aussi de tout cela un profit personnel. L’accord détourne l’attention de la procédure d’impeachment tout en offrant un cadeau formidable à sa base évangélique obsédée par Israël et à ses principaux bailleurs de fonds, comme le magnat américain des casinos Sheldon Adelson, à l’approche d’une élection présidentielle.
De plus le président américain vient en aide à un allié politique utile. Netanyahu espère que ce coup de pouce de la Maison Blanche propulsera sa coalition ultra-nationaliste au pouvoir en mars et que cela intimidera les tribunaux israéliens qui doivent examiner les accusations criminelles portées contre lui.
La façon dont il compte tirer un profit personnel du plan Trump était évidente mardi. Il a admonesté le procureur général d’Israël qui a enregistré le dépôt de plainte pour corruption, affirmant qu’un « moment historique » de l’État d’Israël était mis en danger.
Pendant ce temps, Abbas a accueilli le plan par « mille non ». Trump l’a laissé complètement nu. Soit l’AP renonce à jouer le sous-traitant sécuritaire d’Israël et se dissout, soit elle continue mais sans plus pouvoir entretenir l’illusion d’œuvrer pour avoir un État.
Abbas va essayer de s’accrocher, en espérant que Trump perde les élections de cette année et qu’une nouvelle administration américaine recommence à faire semblant de faire avancer le processus de paix d’Oslo, qui est mort depuis longtemps. Mais si Trump gagne, les difficultés de l’AP vont rapidement s’accroître.
Personne, et encore moins l’administration Trump, ne croit que ce plan conduira à la paix. Il est plus réaliste de se demander combien de sang sera versé à cause de lui. Sans doute encore beaucoup…