Des centaines de Palestiniens détenus dans des prisons, des centres de détention et des centres d’interrogatoire israéliens se préparent à entamer une grève de la faim massive une fois qu’Israël aura mis en œuvre de nouvelles mesures qui vont aggraver les conditions de détention des prisonniers.
Dans un communiqué conjoint, des prisonniers, y compris des détenus administratifs qui sont détenus sans inculpation, ont déclaré que leur décision était une réponse au « nouveau niveau d’oppression ».
« Ces mesures sont une déclaration de guerre qui marque une nouvelle phase de notre lutte », lit-on dans le communiqué.
Ils ont également appelé les organisations et les militants palestiniens à être solidaires avec eux et ont demandé des rassemblements à l’échelle nationale.
Israël détient 5500 prisonniers palestiniens, dont près de 500 détenus administratifs, selon le groupe de défense des droits des prisonniers palestiniens basé à Jérusalem, Addameer.
L’appel à l’action est une réplique aux plans d’Israël visant à aggraver les conditions déjà précaires pour les Palestiniens détenus dans ses prisons. Le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a annoncéles mesures la semaine dernière et le gouvernement israélien devrait les appliquer au cours des prochaines semaines.
L’un des changements les plus « graves » en attente d’approbation par le gouvernement israélien est la fin de la politique de séparation des prisonniers du Hamas de ceux affiliés à l’organisation palestinienne rivale du Fatah, selon Amjad al-Najjar, porte-parole du Club des prisonniers palestiniens basé à Hébron.
« Cela inquiète le plus les prisonniers », a déclaré Al-Najjar à Al Jazeera, originaire de la ville occupée d’Hébron, en Cisjordanie.
« Cela pourrait provoquer des affrontements qui pourraient même mener à des meurtres dans les prisons – en particulier à la lumière du climat politique actuel », a-t-il déclaré.
Parmi les autres mesures figurent le rationnement de l’approvisionnement en eau, le blocage des fonds de l’Autorité palestinienne, la réduction du nombre de visites des familles et l’interdiction de l’accès aux cantines des prisons.
Au cours des 12 dernières années, les détenus ont principalement vécu de la nourriture qu’ils paient à la cantine de la prison.
Il pouvaient y acheter des choses comme du poulet, de la viande et des conserves comme alternative aux repas pris en prison qui ne suffisent pas pour « subvenir aux besoins quotidiens des détenus », a expliqué al-Najjar.
« S’ils (les services pénitentiaires israéliens) suppriment cela, il n’y a tout simplement pas d’alternative », a-t-il ajouté.
Des prisonniers atteints de maladies chroniques
Au cours de la Première Intifada ou « soulèvement palestinien », al-Najjar a été condamné à 25 ans de prison, mais il a passé six ans en détention avant d’être libéré dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers en 1995.
À cette époque, les cantines de prison n’existaient pas et les prisonniers devaient se contenter des repas distribués par le Service pénitentiaire israélien (IPS).
Najjar a raconté que les portions étaient minuscules et souvent infestées d’insectes.
« Cela provoquerait des intoxications alimentaires et toutes sortes de maladies chroniques chez les prisonniers », a-t-il rappelé.
« Pour le déjeuner, chaque portion n’aurait pas été suffisante pour un enfant, et encore moins pour un homme adulte », a-t-il ajouté.
Pendant des années, Israël a incarcéré des Palestiniens dans des prisons surpeuplées aux conditions d’hygiène déplorables, que chaque prisonnier étant confiné dans un espace de 2,9 mètre carré, selon Addameer.
Certaines des politiques les plus sévères auxquelles les Palestiniens sont soumis sont notamment l’isolement pour punition et la négligence médicale.
Chaque année, des dizaines de prisonniers palestiniens sont maintenus en isolement sous le prétexte de « sécurité », a déclaré à Al Jazeera Lana Ramadan, avocate internationale auprès d’Addameer.
« La période d’isolement que les responsables de la prison peuvent ordonner va de 12 heures … à des périodes plus longues de six mois à un an », a expliqué Ramadan.
Un autre problème majeur est la négligence médicale, où les médecins employés par IPS ont des qualifications médicales minimales et ne sont pas sous l’autorité du ministère israélien de la Santé.
Ramadan a noté que les problèmes médicaux chez les prisonniers palestiniens étaient répandus et que leur gravité variait, allant d’infections thoraciques et de diarrhée à des problèmes cardiaques et à une insuffisance rénale.
« Bien que toutes les prisons incluent une clinique médicale, les médecins sont de service irrégulièrement et les soins médicaux spécialisés sont généralement indisponibles », a-t-elle déclaré, ajoutant que la plupart des prisonniers se font prescrire des analgésiques au lieu d’être soignés.
Par le passé, ces conditions ont obligé les prisonniers à entamer des grèves de la faim illimitées afin de garantir leurs droits fondamentaux. Parfois, les autorités pénitentiaires ont recours au gavage forcé, une pratique qui aboutit parfois à la mort de Palestiniens.
La dernière grève de la faim, conduite par le dirigeant du Fatah, Marwan Barghouti, a duré 40 jours en 2017. Elle revendiquait notamment l’installation de téléphones publics, la reprise des visites bimensuelles des familles et la fin de la politique d’isolement cellulaire.
Les grèves ont réussi à imposer certains changements, tels que l’installation de téléphones payants.
Les précédents
Ce n’est pas la première fois qu’Israël tente de limiter les droits des Palestiniens prisonniers, dont la plupart sont détenus dans des prisons à l’intérieur d’Israël, en violation de l’article 76 de la quatrième Convention de Genève selon lequel une puissance occupante doit détenir des prisonniers d’un pays occupé dans leur pays de résidence.
Les dirigeants palestiniens condamnent les conditions de détention existantes et déclarent que les nouvelles mesures constituent une nouvelle escalade des violations des droits de l’homme. Les groupes de défense des droits humains estiment que bon nombre des mesures proposées sont déjà de facto en place.
En juin, Gilad Erdan a annoncé la création d’un comité spécial composé de membres du gouvernement israélien.
Selon Ramadan, le comité devait « déterminer les moyens de réduire les conditions au strict minimum », puis publier des recommandations dans les 90 jours suivant sa création.
Ramadan a déclaré que le comité avait commencé à appliquer certaines des recommandations avant d’obtenir l’approbation du gouvernement israélien, notamment des restrictions d’accès à la nourriture, à l’éducation et l’installation de caméras de sécurité qui portent atteinte à la vie privée.
En octobre 2018, un comité ministériel a également adopté un projet de loi interdisant totalement le droit de visite des familles des prisonniers du mouvement Hamas.
Un outil de pression politique
Selon Nadia Hijab, directrice du réseau politique palestinien Al Shabaka, ces mesures sont un outil politique pour les hommes politiques israéliens qui cherchent à obtenir un soutien populaire dans la perspective des élections.
« Alors que le parti Likoud du [Premier ministre israélien] Benjamin Netanyahu se dirige vers les élections, ils cherchent sans aucun doute à montrer qu’ils sont encore plus durs à l’égard des Palestiniens », a déclaré Hijab à Al Jazeera.
Le gouvernement de Netanyahu a annoncé la tenue d’élections pour le 9 avril, après que la coalition au pouvoir se soit retrouvée à court de voix pour adopter un projet de loi controversé ordonné par un tribunal.
Il fait également face à une pression croissante à la suite d’une série d’enquêtes sur des cas de corruption.
Hijab pense que l’objectif du gouvernement est de conduire les prisonniers à une nouvelle grève de la faim afin de détourner l’attention des problèmes de Netanyahu.
C’est un point de vue partagé par Al-Najjar. « Ils aggravent les conditions [de détention] pour prendre des voix à la droite israélienne », a-t-il déclaré.
« Ils veulent gagner des élections en exploitant les souffrances des prisonniers palestiniens ».