Palestinienne : quels défis de luttes ?

SHLALDEH Lamya, RITIMOm 27 février 2018

Depuis le début du processus de colonisation israélien, des femmes palestiniennes se mobilisent pour faire face à ses terribles conséquences. Malgré un contexte social, politique et culturel hostile à leur participation politique, des Palestiniennes jouent un rôle majeur dans la lutte pour l’auto-détermination, tout en agissant activement pour la mise en place concrète de politiques non-discriminatoires envers les femmes.

L’ensemble des Palestinien.ne.s, femmes et hommes, toutes couches sociales confondues, souffrent de la colonisation israélienne au quotidien. Le peuple palestinien est victime du rejet, de l’exil et des massacres. Forcé de migrer et de se déplacer loin de son pays, il est par ailleurs interdit pour un.e Palestinien.ne de décider de son sort et d’avoir droit à l’autodétermination. Chacun.e subit de surcroît une interdiction de l’exercice de son droit de souveraineté, au point d’être victime d’une politique acharnée qui vise à anéantir les fondements d’un État palestinien. Ses ressources naturelles sont spoliées et inaccessibles.

L’évolution du système international de protection des droits humains a pourtant légitimé les revendications portées par le peuple palestinien, tant sur la question du droit à l’indépendance et de la libération du joug de la colonisation israélienne que sur la question de l’égalité et de la justice sociale. En effet, la Charte internationale des droits de l’homme, comme les différentes chartes internationales en matière de droits, a constitué un cadre juridique permettant la promotion de l’égalité femmes-hommes en matière de droits civiques, politiques, culturels, sociaux et économiques. De son côté, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF, en anglais CEDAW) est la consécration d’un processus juridique équitable envers les femmes. En effet, la CEDEF oblige les États à mettre en place des procédures pour mettre fin aux discriminations à l’égard des femmes.

Cependant, bien que la Palestine soit signataire de ces accords internationaux, la réalité sociale et politique ainsi que la nature des relations au sein des territoires constituent un véritable obstacle à l’application des principes d’égalité, notamment au sein des jugements issus des tribunaux palestiniens puisque le droit pénal comme le code de la famille continuent à comporter des textes discriminatoires à l’égard des femmes. Cette réalité remet la question des droits des femmes au premier plan, tant au niveau national qu’international. Il s’agit d’inciter à l’application effective de ces accords ainsi que de faire évoluer le système juridique pour qu’il soit en adéquation avec ces derniers.

Les femmes palestiniennes et le processus de colonisation

En raison du traditionalisme qui caractérise les relations femmes-hommes au sein de la société palestinienne, traiter du rôle des femmes palestiniennes dans la lutte pour l’autodétermination ne peut être dissocié de la question du mouvement de libération nationale et de la lutte contre la colonisation israélienne. En effet, depuis le début de ce siècle, des militantes ont multiplié leurs efforts pour imposer leur participation constructive et ont créé des stratégies nationales pour manifester, aux côtés des hommes, leur rôle pionnier dans l’action politique et la résistance contre l’occupation.

Partant de ce contexte, des institutions et chercheuses ont entrepris un travail d’enquête sur la participation des femmes dans l’action politique. Plusieurs informations existent sur leurs luttes pour l’autodétermination. Grâce à une équipe de chercheuses impliquées dans un projet sur l’histoire orale de la participation politique des femmes palestiniennes, plusieurs témoignages de femmes ont été recueillis sur la question. De ces témoignages se dégage la centralité de la participation féminine dans l’action politique, militaire, humanitaire ainsi que dans les différents services sociaux. Est également ressortie la nécessité d’une redéfinition de la signification même de l’action politique ainsi qu’une abolition du hiatus qui séparerait la sphère privée de la sphère publique. Cette recherche [1] montre la nature des rôles joués par les femmes dans des périodes temporelles différenciées de la participation à la vie collective des Palestinien.ne.s. Elle revient sur les débuts de ces engagements et montre l’évolution vers un noyau politique organisé. En effet, l’action sociale et humanitaire observée en premier lieu n’était en réalité qu’une participation engagée pour faire face aux méfaits et aux dégâts causés par la situation politique et coloniale, et cela à des moments différents de l’histoire palestinienne. Des femmes ont participé à l’organisation de manifestations et de sit-in et ont joué un rôle pionnier dans la rédaction et la traduction de pétitions diffusées à travers les consulats, ce qui a constitué une expression politique particulière.

La première activité politique proprement féminine date de 1893 à Aafoula : des femmes organisent une manifestation contre l’instauration de la première colonie juive. Ensuite, le soulèvement d’Al Buraq de 1929 constitue un point central dans le revirement de la vie politique des femmes palestiniennes. Neuf femmes sont alors tuées par les soldats britanniques. Cela incite d’autant plus des Palestiniennes à s’engager pour changer leurs situations économique et politique. Devant les opérations menées par les Britanniques et qui consistent en exécutions, massacres, emprisonnements, destructions et expulsions, des femmes se mobilisent de façon intensive.

Le premier congrès féministe palestinien est organisé à Jérusalem en 1929. Plus de 300 femmes y assistent et organisent une manifestation en face du Haut-commissariat britannique en Palestine contre l’immigration juive. Il donne naissance au Comité exécutif de l’association des femmes arabes. La même année, l’Union féministe arabe est créée à Jérusalem et à Naplouse. Ces organisations vont jouer un rôle central dans les différents secteurs économique, social, culturel et au niveau national, en apportant de l’aide aux blessé.es et à leurs familles, ainsi qu’en assurant des cours d’alphabétisation.

Une association féministe clandestine est également créée à Yafa, en 1948. Elle porte le nom de Zahrat Al Uqhuan (« chrysanthème »). Cette association commence par des activités d’ordre humanitaire avant de s’engager dans la voie de la lutte armée suite à l’assassinat d’un enfant palestinien par un soldat britannique. De 1948 à 1967, l’association apporte son soutien aux populations victimes des dégâts causés par la colonisation.

Par ailleurs, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), créée en 1964, constitue une alternative et une référence politique centrale des mouvements nationaux palestiniens. Un mouvement féministe s’y développe. Cependant, la représentation des femmes au sein des instances de l’OLP reste insuffisante et ne reflète pas la réalité de l’engagement féministe sur le terrain, alors que des femmes participent effectivement à l’action partisane ainsi qu’aux différentes formes du militantisme national, politique, organisationnel et armé de la lutte anticoloniale. Elles n’ont pas de reconnaissance politique, restent marginalisées au sein des partis politiques et rares sont celles qui peuvent accéder à des postes à responsabilités. Cette situation s’explique par une compréhension traditionaliste des relations femmes-hommes, y compris au sein de l’OLP.

En 1965 se créée l’Union générale des femmes palestiniennes, une organisation populaire féministe qui joue un rôle social et politique en faveur des femmes au sein des territoires occupés. En 1978, le mouvement féministe fonde également un mouvement paysan dans les campagnes palestiniennes. En 1982, quatre organisations féministes en marge des partis politiques voient le jour. Ces organisations réalisent une action politique invisible mais pertinente, tant au niveau de la mobilisation des femmes pour la participation politique qu’au niveau des activités associatives.

Néanmoins, leur action se concentre ensuite autour de la lutte contre l’occupation, faisant passer au second plan la question des droits sociétaux des femmes. En effet, chaque fois que le débat sur les droits des femmes est posé dans les agendas des partis politiques, il bute contre la réponse classique qui soutient qu’il ne s’agit pas d’une priorité devant la question de la libération nationale. Les décideurs politiques traditionalistes manquent aujourd’hui encore d’une volonté d’intégration des femmes dans la vie sociale et refusent de reconnaître leurs rôles importants joués tout au long de l’histoire politique palestinienne. Les Palestiniennes restent considérées comme des citoyennes de seconde classe.

Représentation politique des femmes palestiniennes

En 1987, quand les Palestinien.ne.s lancent la première Intifada, le mouvement national palestinien remet en avant la lutte contre la colonisation israélienne. Dans ce contexte politique, le mouvement féministe renoue avec sa mission humanitaire et l’action politique se dissimule derrière les actions sociale et culturelle. Des femmes empruntent alors diverses voies pour œuvrer aux côtés de différentes couches sociales et sur différents plans : l’éducation nationale, la santé, l’agriculture, les coopératives des femmes ou encore la formation des femmes aux métiers artisanaux. Des femmes s’investissent également dans les comités des quartiers populaires et dans les comités nationaux, tentant de former de nouvelles générations de femmes, afin de les intégrer dans l’action politique et dans la lutte contre l’occupation.

Si on reprend les statistiques officielles, on observe qu’entre 1987 et 1997, 7% des personnes qui sont tombées suite à la confrontation avec le pouvoir colonial et 9% des blessé.e.s sont des femmes [2]. En 1996, le nombre des prisonnières palestiniennes est de 40. Aujourd’hui, avec l’accélération du processus de colonisation, ces chiffres ont tendance à augmenter.

Après la période des négociations et la fondation de l’Autorité nationale palestinienne en 1993, la Palestine connaît des transformations politiques, sociales, sociétales et économiques majeures. Le pouvoir national et les cadres et institutions constitués entament un processus de construction des fondements d’une société civile pour permettre aux femmes et aux hommes de participer à la construction de stratégies d’action contre les violences de genre. On constate quelques avancées relatives ainsi que la concrétisation de procédures temporaires comme les quotas de femmes sur les listes électorales (au moins 20% de femmes doivent être présentes). L’objectif est d’éveiller une conscience collective et de permettre aux femmes l’accès aux fonctions politiques. Cependant, les quotas restent limités à quelques secteurs : seuls les conseils locaux et communaux sont concernés. Les statistiques montrent que l’on assiste en fait à une diminution de la participation des femmes dans la vie politique. Concernant la représentation parlementaire, les femmes passent de seulement 5 sièges en 1996 à 17 en 2006.

Depuis 2012, des femmes militent activement pour faire passer les quotas de 20 à 30%. Les partis ont théoriquement accepté cette revendication. Toutefois, dans la pratique, la situation reste inchangée. On peut observer dans la période préparatoire des élections communales de mai 2017 que les femmes continuent à être présentes sur les listes selon les anciens quotas de 20%.

L’action politique des femmes palestiniennes a connu des changements majeurs, tant au niveau des mouvements sociaux qu’au niveau des institutions. Cette action se limite aujourd’hui à une action institutionnelle où le débat reste figé sur les significations du mot « féminisme ». La lutte pour l’accès des femmes aux postes à responsabilités connaît des régressions puisque leur représentation ne dépasse pas les 5% pour les fonctions d’ambassadrices, ministres ou chef de partis politiques. Les mouvements féministes sont coupés de leur base populaire, peu consultée et qui ne leur accorde donc plus de confiance ni de légitimité, alors qu’ils sont censés la représenter. La radicalité n’est plus au rendez-vous, ce qui devient un défi pour l’ensemble des mouvements des femmes.

Notes

[1] ABD AL-HADI Fayha. The Role of Palestinian Women in the 1940s – Political Contribution to Palestinian Women, 2006. Et série de documents de recherche de 1940 à 1982.

[2] AMAL ISMAIL Donia, The Political Participation of Palestinian Women between form and content, Urban Dialogue, 2004.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît, entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici