Álvaro García Linera, ex-vice-président bolivien, Buenos Aires, 2020. crédit photo Ariel Feldman.

Entrevue avec Alvaro Garcia Linera, ex-vice-président de la Bolivie, par Tamara Ospina Posse pour Jacobin Amérique latine.

A la suite de son voyage en Colombie pour inaugurer le cycle de réflexion «Imaginer l’avenir depuis le Sud», organisé par le ministère de la Culture de Colombie et dirigé par la philosophe Luciana Cadahia, l’ancien vice-président bolivien Álvaro García Linera a commenté le paysage politique et social que traverse l’Amérique latine en ce «temps liminal» ou interrègne que nous devrons traverser au cours des 10 ou 15 prochaines années, jusqu’à la consolidation d’un nouvel ordre mondial. 1.

Il est clair que cette obscurité instable est le moment propice à l’entrée en scène des droites ultra-droitières les plus monstrueuses qui, dans une certaine mesure, sont la conséquence des limites du progressisme. Dans cette nouvelle étape, Linera soutient que le progressisme doit miser sur une plus grande audace pour, d’une part, répondre avec responsabilité historique aux demandes profondes qui se trouvent à la base de l’adhésion populaire, et d’autre part, neutraliser les chants de sirène des nouvelles droites. Cela implique de progresser dans des réformes profondes concernant la propriété, les impôts, la justice sociale, la distribution de la richesse et la récupération des ressources communes au profit de la société. Ce n’est qu’ainsi, en commençant par résoudre les demandes économiques les plus fondamentales de la société et en avançant vers une démocratisation réelle, que l’on pourra confiner à nouveau les ultradroites dans leurs niches, soutient Linera.


Tamara Ospina Posse – TOP: Dans la région, le XXIe siècle a commencé avec une vague de gouvernements progressistes qui ont réorienté le cours de l’Amérique latine, mais cette dynamique a commencé à s’enliser après la victoire de Mauricio Macri en Argentine en 2015, ce qui a conduit beaucoup à prédire la fin du progressisme régional. Ainsi, une vague de gouvernements conservateurs a commencé, mais, à contre-courant, dans des pays comme le Brésil, le Honduras ou la Bolivie, le progressisme est revenu. Et dans d’autres pays, comme le Mexique et la Colombie, il a réussi à accéder au pouvoir pour la première fois. Comment lisez-vous cette tension actuelle entre les gouvernements populaires ou progressistes et d’autres conservateurs ou oligarchiques?

Alvaro Garcia Linera – AGL : Ce qui caractérise l’époque historique qui va de 10 ou 15 ans en arrière jusqu’aux 10 ou 15 prochaines années est le déclin lent, angoissant et contradictoire d’un modèle d’organisation de l’économie et de légitimation du capitalisme contemporain, ainsi que l’absence d’un nouveau modèle solide et stable qui reprenne la croissance économique, la stabilité économique et la légitimation politique. C’est une longue période, nous parlons de 20 ou 30 ans, à l’intérieur de laquelle réside ce que nous avons appelé «temps liminal» — ce que Gramsci appelait «interrègne» — où se succèdent des vagues et des contre-vagues de multiples tentatives pour résoudre cette impasse. L’Amérique latine — et maintenant le monde, car l’Amérique latine a devancé ce qui s’est ensuite produit partout — a vécu une vague progressiste intense et profonde, qui n’a pas réussi à se consolider, suivie d’une contre-vague régressive conservatrice et ensuite d’une nouvelle vague progressiste. Nous verrons probablement encore au cours des 5 ou 10 prochaines années ces vagues et contre-vagues de victoires courtes et de défaites courtes, de courtes hégémonies, jusqu’à ce que le monde redéfinisse le nouveau modèle d’accumulation et de légitimation qui lui redonnera au monde et à l’Amérique latine un cycle de stabilité pour les 30 années suivantes. Tant que cela n’arrivera pas, nous assisterons à cette tourmente propre au temps liminal. Et, comme je le disais, on assiste à des vagues progressistes, à leur épuisement, à des contre-réformes conservatrices qui échouent également, à une nouvelle vague progressiste… Et chaque contre-réforme et chaque vague progressiste est différente de l’autre. Milei est différent de Macri, bien qu’il en reprenne une partie. Alberto Fernández, Gustavo Petro et Andrés Manuel López Obrador sont différents des référents de la première vague, bien qu’ils en reprennent une partie de l’héritage. Et je pense que nous continuerons à assister à une troisième vague et à une troisième contre-vague jusqu’à ce que, à un moment donné, l’ordre du monde se définisse, car cette instabilité et cette angoisse ne peuvent être perpétuelles. Au fond, comme cela s’est passé dans les années 30 et 80 du XXe siècle, ce que nous voyons est le déclin cyclique d’un régime d’accumulation économique (libéral entre 1870 et 1920, capitalisme d’État entre 1940 et 1980, néolibéral entre 1980 et 2010), le chaos que génère ce déclin historique, et la lutte pour instaurer un nouveau et durable modèle d’accumulation-domination qui reprenne la croissance économique et l’adhésion sociale.

TOP: Nous pouvons observer que la droite recommence à mettre en œuvre des pratiques que nous pensions dépassées, y compris les coups d’État, la persécution politique et les tentatives d’assassinat… Vous-même avez même été victime d’un coup d’État. Comment pensez-vous que ces pratiques continueront à évoluer? Et comment pouvons-nous y résister à partir des projets populaires?

AGL: Une caractéristique du temps liminal, de l’interrègne, est la divergence des élites politiques. Lorsque les choses vont bien — comme jusqu’aux années 2000 —, les élites convergent autour d’un seul modèle d’accumulation et de légitimation et tout le monde devient centriste. Les gauches elles-mêmes s’atténuent et se néolibéralisent, bien qu’il y ait toujours une gauche radicale, mais marginale, sans audience. Les droites se disputent aussi entre elles, mais seulement pour des remplacements et des ajustements circonstanciels. Lorsque tout cela entre dans son déclin historique inévitable, les divergences commencent et les droites se scindent en droites extrêmes. L’extrême droite commence à dévorer la droite modérée. Et les gauches les plus radicalisées sortent de leur marginalité et de leur insignifiance politique, commencent à acquérir de la résonance et de l’audience, à croître. Dans l’interrègne, la divergence des projets politiques est la norme, car il y a des recherches, des dissidences les unes des autres, pour résoudre la crise de l’ancien ordre, au milieu d’une société mécontente, qui ne fait plus confiance, qui ne croit plus aux anciens «dieux», aux anciennes recettes, aux anciennes propositions qui ont garanti la tolérance morale envers les gouvernants. Et donc, les extrêmes commencent à se renforcer.

C’est ce que nous verrons avec les droites. La droite centriste, qui a gouverné le continent et le monde pendant 30 ou 40 ans, n’a plus de réponses aux échecs économiques évidents du libéralisme mondial et, face aux doutes et aux angoisses des gens, une extrême droite émerge qui continue de défendre le capital, mais qui pense que les bonnes manières de l’ancien temps ne suffisent plus et qu’il faut maintenant imposer les règles du marché par la force. Cela implique de domestiquer les gens, si nécessaire à coups de bâton, pour revenir à un libre marché pur et magique, sans concessions ni ambiguïtés, car — selon eux — c’est cela qui a causé l’échec. Alors, cette extrême droite tend à se consolider et à gagner plus d’adeptes en parlant d’«autorité», de «choc de libre marché» et de «réduction de l’État». Et s’il y a des soulèvements sociaux, il convient d’utiliser la force et la coercition, et si nécessaire le coup d’État ou le massacre, pour discipliner les dissidents qui s’opposent à ce retour moral aux «bonnes mœurs» de l’entreprise libre et de la vie civilisée : avec les femmes qui cuisinent, les hommes qui commandent, les patrons qui décident et les ouvriers qui travaillent en silence. Un autre symptôme du déclin libéral se manifeste lorsque l’on ne peut plus convaincre ni séduire et que l’on doit imposer; ce qui signifie qu’ils sont déjà dans leur crépuscule. Mais cela ne les rend pas moins dangereux, en raison de la radicalité autoritaire de leurs impositions.

Face à cela, le progressisme et les gauches ne peuvent pas adopter une attitude condescendante, en essayant de contenter toutes les factions et tous les secteurs sociaux. Les gauches sortent de leur marginalité dans le temps liminal parce qu’elles se présentent comme une alternative populaire au désastre économique causé par le néolibéralisme entrepreneurial; et leur fonction ne peut pas être de mettre en œuvre un néolibéralisme avec un «visage humain», «vert» ou «progressiste». Les gens ne descendent pas dans la rue et ne votent pas pour la gauche pour décorer le néolibéralisme. Ils se mobilisent et changent radicalement leurs anciennes adhésions politiques parce qu’ils en ont marre de ce néolibéralisme, parce qu’ils veulent s’en débarrasser, car il n’a enrichi que quelques familles et quelques entreprises. Et si la gauche ne répond pas à cela, et coexiste avec un régime qui appauvrit le peuple, il est inévitable que les gens tournent radicalement leurs préférences politiques vers des issues d’extrême droite qui offrent une sortie (illusoire) au grand malaise collectif. Les gauches, si elles veulent se consolider, doivent répondre aux demandes pour lesquelles elles sont apparues et, si elles veulent vraiment vaincre les extrêmes droites, elles doivent résoudre de manière structurelle la pauvreté de la société, l’inégalité, la précarité des services, l’éducation, la santé et le logement. Et pour pouvoir réaliser cela matériellement, elles doivent être radicales dans leurs réformes sur la propriété, les impôts, la justice sociale, la distribution de la richesse, la récupération des ressources communes au profit de la société. S’arrêter à cette œuvre va alimenter la loi des crises sociales : toute attitude modérée face à la gravité de la crise encourage et alimente les extrêmes. Si les droites font cela, elles alimentent les gauches, si les gauches le font, elles alimentent les extrêmes droites.

Ainsi, la manière de vaincre les extrêmes droites, en les réduisant à un ghetto — qui continuera d’exister, mais sans irradiation sociale — réside dans l’expansion des réformes économiques et politiques qui se traduisent par des améliorations matérielles visibles et soutenues dans les conditions de vie des grandes majorités populaires de la société; dans une plus grande démocratisation des décisions, dans une plus grande démocratisation de la richesse et de la propriété, de sorte que la contention des extrêmes droites ne soit pas simplement un discours, mais qu’elle soit appuyée par toute une série d’actions pratiques de distribution de la richesse qui résolvent les principales angoisses et demandes populaires (pauvreté, inflation, précarité, insécurité, injustice, etc.). Car, il ne faut pas oublier, que les extrêmes droites sont une réponse, pervertie, à ces angoisses. Plus vous distribuez la richesse, certes plus vous affectez les privilèges des puissants, mais eux vont devenir une minorité autour de la défense acharnée de leurs privilèges, tandis que les gauches se consolideront comme celles qui se préoccupent et résolvent les besoins de base du peuple. Mais, plus ces gauches ou progressismes se comportent de manière peureuse, timorée et ambiguë dans la résolution des principaux problèmes de la société, plus les droites extrêmes vont croître et le progressisme restera isolé dans l’impuissance de la déception. Ainsi, en ces temps, les extrêmes droites sont vaincues par plus de démocratie et par une plus grande distribution de la richesse; pas par la modération ni par la conciliation.

TOP: Y a-t-il des éléments nouveaux dans les nouvelles droites? Est-il correct de les appeler fascistes ou devrions-nous les nommer autrement? Les droites mettent-elles en place un laboratoire post-démocratique pour le continent (y compris les États-Unis) 

AGL: Sans aucun doute, la démocratie libérale, en tant que simple remplacement des élites qui décident pour le peuple, tend inévitablement vers des formes autoritaires. Si, à certains moments, elle a pu produire des fruits de démocratisation sociale, c’était grâce à l’impulsion d’autres formes démocratiques populaires qui se sont déployées simultanément — la forme syndicale, la forme communautaire agraire, la forme populaire de la foule urbaine. Ce sont ces actions collectives multiples et multiformes de démocratie qui ont donné à la démocratie libérale une irradiation universaliste. Cela a pu se produire, car elle était toujours dépassée et poussée de l’avant. Mais si on laisse la démocratie libérale telle quelle, en tant que simple sélection des gouvernants, elle tend inévitablement vers la concentration des décisions, vers sa conversion en ce que Schumpeter appelait la démocratie comme simple élection compétitive de ceux qui vont décider de la société, ce qui est une forme autoritaire de concentration des décisions. Et, ce monopole décisionnel par des moyens autoritaires et, le cas échéant, au-dessus même du propre processus de sélection des élites, c’est ce qui caractérise les extrêmes droites. C’est pourquoi il n’y a pas d’antagonisme entre les extrêmes droites et la démocratie libérale. Il y a collusion de fond. Les extrêmes droites peuvent coexister avec ce type de démocratisation simplement élitiste qui alimente la démocratie libérale. C’est pourquoi il n’est pas rare qu’elles arrivent au pouvoir par le biais d’élections. Mais ce que la démocratie libérale tolère marginalement et à contrecœur, et que les extrêmes droites rejettent ouvertement, ce sont d’autres formes de démocratisation, qui ont à voir avec les présences de démocraties de bas en haut (syndicats, communautés agraires, assemblées de quartier, actions collectives…). Ils s’y opposent, les rejettent et les considèrent comme un obstacle. En ce sens, les extrêmes droites actuelles sont antidémocratiques. Ils acceptent seulement d’être élus pour gouverner, mais ils rejettent d’autres formes de participation et de démocratisation de la richesse, ce qui leur semble une insulte, un affront ou un absurde qui doit être combattu avec la force de l’ordre et de la discipline coercitive.

Maintenant, est-ce du fascisme? Difficile à décider. Il y a tout un débat académique et politique sur quel nom cela prendra et s’il vaut la peine d’évoquer les terribles actions du fascisme des années 30 et 40. Sur le plan académique, ces digressions valent peut-être la peine, mais elles ont très peu d’effet politique. En Amérique latine, les personnes de plus de 60 ans peuvent avoir des souvenirs des dictatures militaires fascistes et la définition peut avoir un effet sur elles, mais pour les nouvelles générations, parler de fascisme ne signifie pas grand-chose. Je ne m’oppose pas à ce débat, mais je ne vois pas qu’il est si utile. En fin de compte, l’adhésion ou le rejet social des positions des extrêmes droites ne viendra pas du côté des anciens symboles et images qu’ils évoquent, mais de l’efficacité à répondre aux angoisses sociales actuelles que les gauches sont impuissantes à résoudre. Peut-être que la meilleure façon de qualifier ces extrêmes droites, au-delà de l’étiquette, est de comprendre à quel type de demande elles répondent, ce qui bien sûr, sont des demandes différentes de celles des années 30 et 40, bien qu’avec certaines similitudes en raison de la crise économique dans les deux périodes. Personnellement, je préfère parler d’extrêmes droites ou de droites autoritaires; mais si quelqu’un utilise le concept de fascisme, je ne m’y oppose pas, bien que cela ne m’enthousiasme pas non plus beaucoup.

Le problème peut survenir si, dès le départ, elles sont qualifiées de fascistes et si on met de côté la question de savoir à quel type de demande collective elles répondent ou face à quel type d’échec elles émergent. C’est pourquoi, avant d’étiqueter et d’avoir des réponses sans questions, il vaut mieux se demander quelles sont les conditions sociales de leur émergence, quel type de solutions elles proposent et, sur ces réponses, on peut alors choisir le qualificatif approprié : fasciste, néo-fasciste, autoritaire… Par exemple, est-il juste de dire que Milei est fasciste? Peut-être, mais il faut d’abord se demander pourquoi il a gagné, avec le vote de qui, en répondant à quelles sortes d’angoisses. C’est ce qui est important. Et aussi se demander ce que vous avez fait pour que cela arrive.

Aujourd’hui, il est plus utile de se poser cette question que de lui coller une étiquette facile qui résout le problème du rejet moral, mais qui n’aide pas à comprendre la réalité ni à la transformer. Parce que si vous répondez que Milei a convoqué l’angoisse d’une société appauvrie, alors il est clair que le problème est la pauvreté. Si Milei s’est adressé à une jeunesse qui n’a pas de droits, alors il y a une génération de personnes qui n’ont pas accédé aux droits des années 50, ni des années 60, ni des années 2000. C’est là que se situe le problème que le progressisme et la gauche doivent aborder pour arrêter les extrêmes droites et le fascisme. Il faut identifier les problèmes auxquels les extrêmes droites interpellent la société, car leur croissance est aussi un symptôme de l’échec des gauches et du progressisme. Elles ne surgissent pas de nulle part, mais après que le progressisme n’a pas osé, n’a pas pu, n’a pas voulu, n’a pas vu, n’a pas compris la classe et la jeunesse précaires, n’a pas saisi la signification de la pauvreté et de l’économie au-dessus des droits d’identité. Voilà le noyau du présent. Cela ne signifie pas que l’on ne parle pas d’identité, mais que l’on hiérarchise, en comprenant que le problème fondamental est l’économie, l’inflation, l’argent qui vous échappe des poches. Et il ne faut pas oublier que l’identité elle-même a une dimension de pouvoir économique et politique, qui est-ce qui ancre la subalternité. Dans le cas de la Bolivie, par exemple, l’identité indigène a conquis sa reconnaissance en assumant le pouvoir politique, d’abord, et progressivement, le pouvoir économique au sein de la société. La relation sociale fondamentale du monde moderne est l’argent, aliénée, mais encore relation sociale fondamentale, qui vous échappe, qui dilue toutes vos croyances et loyautés. C’est là le problème à résoudre par les gauches et le progressisme. Je pense que la gauche doit apprendre de ses échecs et qu’elle doit avoir une pédagogie sur elle-même pour ensuite trouver les qualificatifs pour dénoncer ou étiqueter un phénomène politique, comme c’est le cas ici avec l’extrême droite.

TOP: Revenant aux projets populaires, quels sont les principaux défis du progressisme pour surmonter ces crises, ces échecs dont vous parliez? Est-ce simplement parce qu’ils n’ont pas pu comprendre ou interpréter suffisamment les besoins et les demandes des citoyens que les extrêmes droites les reprennent maintenant?

AGL: L’argent est aujourd’hui le problème économique et politique élémentaire, fondamental, classique et traditionnel du présent. En temps de crise, c’est l’économie qui commande, point final. Résolvez d’abord ce premier problème et ensuite le reste. Nous sommes dans une période historique où émergent le progressisme et les extrêmes droites, et où le centre droit classique néolibéral, traditionnel et universaliste décline. Pourquoi? Pour l’économie.

C’est l’économie, qui occupe le centre de commande de la réalité. Le progressisme, les gauches et les propositions qui viennent du côté populaire doivent d’abord résoudre ce problème. Mais la société à laquelle l’ancienne gauche des années 50 et 60, ou le progressisme dans la première vague dans certains pays, a résolu le problème économique est différente de l’actuelle. Les gauches ont toujours travaillé sur le secteur de la classe ouvrière salariée formelle, et aujourd’hui la classe ouvrière informelle est une énigme pour le progressisme.

Le monde de l’informalité regroupé sous le concept d’«économie populaire» est un trou noir pour les gauches qui ne le connaissent pas, ne le comprennent pas et n’ont pas de propositions productives pour lui, à part de simples palliatifs d’assistance. En Amérique latine, ce secteur représente 60 % de la population. Et il ne s’agit pas d’une présence transitoire qui disparaîtra ensuite dans la formalité. Non, l’avenir social sera avec l’informalité, avec ce petit travailleur et travailleuse, petit paysan (ne), petit entrepreneur, salarié informel, traversé par des relations familiales et des liens de loyauté locaux ou régionaux très curieux, subsumé dans des instances où les relations capital-travail ne sont pas aussi transparentes que dans une entreprise formelle. Ce monde existera pour les 50 prochaines années et implique la majorité de la population latino-américaine.

Que dites-vous à ces personnes? Comment vous souciez-vous de leur vie, de leurs revenus, de leur salaire, de leurs conditions de vie, de leur consommation? Ces deux sujets sont la clé du progressisme et de la gauche latino-américaine contemporains : résoudre la crise économique en tenant compte de ce secteur informel qui représente la majorité de la population active d’Amérique latine. Que signifie cela? Avec quels outils le faites-vous?

Bien sûr, avec des expropriations, des nationalisations, la redistribution de la richesse, l’élargissement des droits, etc. Ce sont des outils, mais l’objectif est d’améliorer les conditions de vie et le tissu productif de ces 80 % de la population, syndiquée et non syndiquée, formelle et informelle, qui constituent la population populaire latino-américaine. Et aussi avec une plus grande participation de la société à la prise de décision. Les gens veulent être entendus, ils veulent participer. Le quatrième sujet est l’environnemental, une justice environnementale avec justice sociale et économique, jamais séparée ni jamais en tête.

Cet Article a été traduit par Deepl et revisé par Mario Gil. Nous remercions à la revue Jacobin — Amérique latine pour la permission de traduire et reproduire cet article.

  1. Politologue, féministe et activiste au sein de Colombia Humana et du Centro de Pensamiento Colombia Humana – CPCH []