Justine Ines Laforge, candidate à la maitrise en Études internationales et membre de l’Observatoire des droits de la personne (ODP)  de l’Université de Montréal

Le 21 octobre, Sanae Takaichi est devenue la première femme à atteindre le poste de premier ministre au Japon. Alors qu’elle promet de rebâtir en profondeur le paysage politique, l’ancienne proche de Shinzo Abe semble plutôt vouloir ressusciter un passé nationaliste autoritaire.

L’élection de Sanae Takaichi le 21 octobre représente une première historique : celle d’une femme accédant au plus haut poste de pouvoir au Japon. Depuis la démission du premier ministre Ishiba au début du mois de septembre, le Parti libéral-démocrate (PLD) cherchait un leader capable de lui redonner le souffle qu’il avait perdu lors des élections à la Chambre des conseillers cette année. Il l’a trouvé en Sanae Takaichi, alors ministre de la Sécurité économique, annonçant après sa nomination une volonté de «complètement reconstruire le parti en tant que première femme dirigeante du PLD». Pourtant, il est difficile de croire que Takaichi est capable d’une telle innovation.

Sa désignation par des voix principalement masculines du PLD viserait à reconquérir l’électorat «conservateur pur et dur», que le parti semblait avoir perdu sous le cabinet Ishiba. Les politiques de Takaichi s’opposent aux revendications des féministes se battant pour réduire l’inégalité hommes-femmes au Japon, telles que le droit pour les femmes mariées de conserver leur nom de jeune fille, permettre à une femme d’accéder au poste d’héritière de la famille impériale ou encore favoriser le travail des femmes. En dressant le portrait de la nouvelle première ministre, la peinture rose n’est pas suffisante pour cacher un retour au nationalisme autoritaire.

Abe au féminin

«Ceux et celles ayant voté pour Abe ont largement quitté le PLD. Je pense être la seule à pouvoir les regagner», avait déclaré Takaichi à l’issue de son élection. Héritière de Shinzo Abe, elle reprend à son compte ses techniques d’autoritarisme populaire visant à diviser la population japonaise entre «ennemis» et «amis», stratégie parfaitement adaptée aux réseaux sociaux.

Rappelant les propos de Trump proclamant que les personnes immigrantes «mangent les chats et les chiens», Takaichi s’exclama que «les étrangers frappent les cerfs dans le parc de Nara» lors d’un discours du PLD. La native de Nara se justifie en disant «l’avoir prouvé personnellement», alors que la police municipale dément l’existence de tels évènements. Établir la vérité n’est pas le but : tels Abe ou Trump, Takaichi cherche à créer le scandale et mobiliser l’opinion publique autour de discours appelant à la xénophobie.

Loi sur la radiodiffusion

Ce mépris des faits n’est pas nouveau pour Takaichi, ancienne ministre de la Communication dans le cabinet Abe. En 2016, elle annonce que l’article 4 de la loi sur la radiodiffusion demande que les diffuseurs publics soient «politiquement équitables» au risque de perdre leurs droits de diffusion, menaçant principalement les médias jugés comme «biaisés» contre Abe. Cette intimidation à peine voilée pousse à la démission, la même année, de plusieurs journalistes critiques du gouvernement. Cette peur se propage jusqu’à l’Asahi Shimbun, l’un des derniers grands médias d’investigation.

«Donald, j’ai vaincu Asahi.» rapporta Abe au président américain lors d’une rencontre en 2016, «Quand est-ce que tu feras de même pour le New York Times?». Le fantôme vengeur d’Abe contre la liberté d’expression semble être bel et bien de retour parmi nous, allant de Trump à Takaichi.

Des squelettes dans le placard

Si la dérive autoritaire de Takaichi ne semble pas déjà assez évidente, son positionnement sur le livre «La Stratégie électorale d’Hitler» met le dernier clou dans le cercueil hanté. Écrit par un fonctionnaire du PLD, ce livre cite Mein Kampf et passe sous silence les crimes nazis. En 1994, Takaichi sponsorise sa sortie dans un journal, déclarant que ce livre décrit avec brio que «la clé pour gagner est d’avoir une forte volonté».

En 2011, elle pose pour une photo avec le néonazi Kazunari Yamada, membre du Parti national-socialiste des travailleurs japonais. Prise devant un drapeau japonais, elle fut postée sur le site du parti de Yamada, dans un article, maintenant supprimé, glorifiant Hitler. Questionnée sur ces incidents, Takaichi fait l’autruche, son équipe affirmant «ne pas s’en souvenir». Mais à force d’enfouir la tête dans le sol, Takaichi risque de déterrer des squelettes.

Combien de temps tiendront les masques?

En choisissant sa nouvelle première ministre, le PLD n’envoie pas un message de féminisme, mais de retour d’un passé autoritaire. En suivant la logique de Shinzo Abe et en mettant en place une politique restrictive en matière d’immigration, son positionnement idéologique allant à l’encontre du travail des femmes dans la société japonaise ne lui permettra pas de conserver les apparences bien longtemps.

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