Sénégal : le bastion de la démocratie ouest-africaine en péril ?

Par Amina Diallo

Macky Sall, l’actuel président du Sénégal, a annoncé le 5 février le report des élections présidentielles prévu le 25 février. Deux jours plus tard, il a précisé leur report au 15 décembre 2024, ajoutant ainsi dix mois de plus à son mandat. Cette décision a créé une onde de choc chez les Sénégalais.es qui se sont chargé.es d’exprimer leur désaccord dans les rues. Ce mécontentement n’est pas indépendant des nombreuses violations à la démocratie que Macky Sall a pu faire durant ses deux mandats.

Le Sénégal est un petit pays d’Afrique de l’Ouest dont la population prépare activement cette élection qui doit déterminer l’orientation politique du pays dans les prochaines années. Ces élections suscitent un intense intérêt national et international en raison de l’importance géopolitique et historique du Sénégal dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Il est en quelque sorte le bastion de la stabilité politique en Afrique.

Un nombre record de candidatures

Ces élections sont inédites. 224 candidat.es se sont présenté.es. Parmi les personnalités marquantes figurent des vétérans de la politique sénégalaise ainsi que de nouveaux visages, toutefois, seules 20 candidatures ont reçu le parrainage nécessaire et ont été approuvées par le Conseil constitutionnel pour devenir officielles.

Les deux candidatures les plus attendues, Karim Wade et Ousmane Sonko n’y figuraient pas. Sonko, le principal opposant de Macky Sall, ne peut pas se présenter à la présidentielle en étant incarcéré et condamné. Wade, qui a obtenu le nombre de parrainages nécessaires, présente une candidature « inacceptable » en raison d’une double nationalité non conforme à la constitution sénégalaise, malgré qu’il y ait renoncé un peu trop tard pour le Conseil constitutionnel.

Amadou Ba sort évidemment du lot, actuel premier ministre et dauphin de Macky Sall. Il est à la tête de la coalition Ben Bokko (ce qui signifie Ensemble partageons l’espoir), formée par le président actuel en alliance avec d’autres partis.Quatre autres candidats issus de cette coalition sont en course, tels qu’Idrissa Seck considéré comme le second favori derrière Amadou Ba. Concernant les autres candidatures, cinq sont membres de la coalition Yewwi Askan Wi (Libérons le peuple), formée autour d’Ousmane Sonko. Khalifa Sall fait parler de cette alliance et bénéficiede l’appui d’Ousmane Sonko qui a demandé à son électorat de voter pour lui et lui confère la place de successeur de l’ex-candidat toujours incarcéré.

Un coup d’État constitutionnel

La décision est qualifiée de coup d’État constitutionnel par l’opposition elle-même dispersée en raison d’intérêts hétérogènes. Le climat reste très tendu entre le président, l’opposition et leurs partisans. Ce report est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Rappelons que Macky Sall avait pour ambition de se représenter pour un troisième mandat alors que la constitution sénégalaise n’autorise que deux mandats successifs par un individu, ce qui avait déjà suscité l’indignation voyant leur président piétiner les fondements de la constitution. Devant la controverse, Macky Sall a alors annoncé qu’il décidait de ne pas se représenter, pour mieux reprendre le pouvoir entre ses mains le plus longtemps possible.

Le climat social et politique est marqué de plusieurs tensions, dont des emprisonnements de plusieurs opposants, notamment d’Ousmane Sonko, toujours incarcéré pour diffamation. Aussi, on note un contrôle des médias réalisé de manière sous-jacente par le président et ses partisans. La chaîne privée Walfajari, connue pour son opposition au régime actuel, s’est vue retirer sa licence par le ministre de la Communication, Moussa Bocar Thiam, qui condamne « les propos subversifs, haineux et dangereux » que la chaîne. Il s’agit d’une chaîne qui bénéficie du soutien populaire, car elle est la seule qui critique l’actuel régime.

Les présentes manifestations sont un nouvel épisode qui vient s’ajouter à une liste d’agitation, après les tristement célèbres manifestations de mai 2021 et de juin 2023 pendant lesquels de nombreux manifestant.es étaient descendu.es dans les rues pour condamner les abus de pouvoir du président, plusieurs ont été grièvement blessés et d’autres ont péri. Cette fois-ci, les protestations et les manifestations se sont enchaînées dans tout le pays, de la région de Dakar à celle de Nioro se situant à 250 km de la capitale.