ROUSSET Pierre, Europe solidarité sans frontière, 28 avril 2019
Les attentats de Pâques qui ont ensanglanté le Sri Lanka confirment à quel point l’extension du terrorisme est devenue un trait majeur de la situation internationale et exige l’affirmation d’une solidarité active envers toutes les communautés qui en sont victimes.
Des kamikazes se sont fait exploser, le dimanche 21 avril au matin, dans trois hôtels de luxe de Colombo, la capitale, et trois églises chrétiennes où était célébrée la messe de Pâques. Au dernier décompte (revue à la baisse, car des corps avaient été comptabilisés deux fois), 253 personnes ont trouvé la mort, dont de nombreux enfants et une quarantaine d’étrangers. La grande majorité des victimes sont sri-lankaises. Des familles entières ont été décimées. Le nombre de blessé.es serait d’environ 500.
Les attentats ont visé l’économie de l’île (via l’industrie de tourisme), mais ils étaient avant tout anti-chrétiens. Ils ont été commis par une organisation islamiste locale qui s’est récemment renforcée et « radicalisée », le National Tawheed Jamaath (NTJ). Ce dernier a reçu un entraînement et une aide logistique internationale, vraisemblablement fournis par Daesh (EI) qui revendique l’opération. De l’Afghanistan à Mindanao (Philippines), l’Asie est en effet devenue la principale région d’expansion de l’Etat islamique, initialement établi en Irak et en Syrie.
La radicalisation du NTJ se nourrit de la crise économique qui frappe l’île, mais aussi d’un sentiment de marginalisation de la population musulmane, victime collatérale de la guerre qui a opposé le pouvoir à l’organisation armée des Tigres tamouls (LTT) qui revendiquait la création d’un Etat dans le nord et l’est du pays – et qui s’est attaqué aux musulmans habitant l’est. Le gouvernement a brisé la capacité de combat des LTT en 2009 au prix d’un terrible massacre de civils. Après les Tamoules, c’est la minorité musulmane qui est devenue la cible du chauvinisme cingalais, soumise à des harcèlements quotidiens.
Le régime a favorisé le développement d’organisations bouddhistes fondamentalistes d’extrême droite qui portent une grande responsabilité dans la spirale des violences à l’œuvre dans l’île. Il s’est désintéressé du sort des minorités musulmanes ou chrétiennes (qui peuvent être Cingalaises ou Tamoules) et ne les a pas protégées. Du coup, la transformation du NTJ est passée inaperçue. De même, tout occupé par la guerre des chefs qui oppose le Premier ministre et le Président, il n’a même pas su prendre en compte des informations fournies par les services secrets indiens qui annonçaient des attaques imminentes contre des églises. Une irresponsabilité criminelle.
Du Moyen-Orient à l’Asie, les communautés chrétiennes sont régulièrement la cible d’attaques meurtrières, voire forcées à l’exil, éradiquées. Sur le plan international, les victimes du terrorisme restent certes en majorité musulmanes ; mais elles tombent le plus souvent sous les coups aveugles d’organisations islamistes avec en toile de fond le conflit Iran / Arabie saoudite. La responsabilité de Riad dans les attentats au Sri Lanka, comme en bien d’autres lieux, est engagée, car, les pétrodollars aidants, elle impose, à l’encontre des traditions de l’islam local, l’obscurantisme wahhabite. Ce qui n’empêche pas Paris ou Washington de faire de l’Arabie saoudite un allié stratégique.
Les attentats de Pâques nous interpellent aussi. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des chrétiens sont ciblés, nous avons écrit à ce sujet, mais nous n’avons développé aucune tradition de solidarité à leur égard, contrairement à d’autres (musulmans, juifs…). Coupable myopie. Le mot « anti-chrétien » (ou tout autre équivalent) n’est pas entré dans le lexique de gauche – ce qui laisse la droite faire librement l’inverse, elle qui priorise souvent sa solidarité envers les communautés chrétiennes d’ailleurs, affirmant qu’elles seraient « des nôtres », au risque mortel de les présenter comme des étrangers dans leur propre pays.
Les fondamentalismes religieux ou (ethno-)nationalistes, ces « fabriques de la haine », constituent de redoutables armes de destruction des cohésions sociales et des solidarités populaires. Au Sri Lanka, dans ce pays traumatisé par une guerre conclut il y a 10 ans seulement sur un massacre de masse, le danger est maintenant de voir la communauté musulmane toute entière tenue pour collectivement responsable des crimes des djihadistes – tel est d’ailleurs précisément l’un des objectifs poursuivis par ces derniers. Après le dimanche sanglant de Pâques, la police a protégé des églises et des mosquées, mais le régime est (très) autoritaire, l’Etat sécuritaire, le théofascisme bouddhiste et le chauvinisme cingalais agressifs. Musulman.nes et chrétien.nes doivent être conjointement défendus.
Beaucoup de manifestations de solidarité interconfessionnelles ont lieu au Sri Lanka même, un antidote à la haine. Le minimum que nous puissions faire, c’est de leur manifester la nôtre. Collectivement. Il y a des partis (comme le NPA) et des associations (comme le FUIQP) qui ont à cœur de dénoncer également tous les racismes. Trop souvent cependant, ce qui paraît lointain est ignoré et ce qui paraît proche devient l’enjeu de querelles boutiquières. Les victimes des terrorismes méritent mieux.