Adam Hanieh, Verso, 29 mars 2020 (traduit par À l’Encontre)
Face au tsunami COVID-19, nos vies changent d’une manière qui était inconcevable il y a quelques semaines à peine. Depuis l’effondrement économique de 2008-2009, le monde n’a jamais connu une telle expérience collective: une crise mondiale unique, en rapide mutation, structurant le rythme de notre vie quotidienne dans un calcul complexe de risques et de probabilités concurrentes.
En réponse, de nombreux mouvements sociaux ont présenté des revendications qui prennent au sérieux les conséquences potentiellement désastreuses du virus, tout en s’attaquant à l’incapacité des gouvernements capitalistes à faire face de manière adéquate à la crise elle-même. Ces revendications portent notamment sur la sécurité des travailleurs, la nécessité d’une organisation au niveau du quartier, les revenus et la sécurité sociale, les droits des personnes ayant un contrat à durée zéro [courants en Allemagne, au Royaume-Uni] ou un emploi précaire, et la nécessité de protéger les locataires et les personnes vivant dans la pauvreté.
En ce sens, la crise du COVID-19 a fortement souligné la nature irrationnelle des systèmes de soins de santé structurés autour du profit: la réduction quasi universelle des effectifs et des infrastructures des hôpitaux publics (y compris les lits de soins intensifs et les ventilateurs/respirateurs), le manque de prestations de santé publique et le coût prohibitif de l’accès aux services médicaux dans de nombreux pays, ainsi que la manière dont les droits de propriété des entreprises pharmaceutiques (brevets) servent à restreindre l’accès généralisé aux possibles traitements thérapeutiques et au développement de vaccins.
Cependant, les dimensions mondiales du COVID-19 ont été moins présentes dans la plupart des discussions de gauche. Mike Davis a observé à juste titre que «le danger pour les pauvres dans le monde a été presque totalement ignoré par les journalistes et les gouvernements occidentaux». Les débats de gauche ont été souvent tout aussi circonscrits, l’attention étant largement centrée sur les graves crises des soins de santé qui se déroulent en Europe et aux Etats-Unis. Même en Europe, la capacité des Etats à faire face à cette crise est extrêmement inégale – comme l’illustre la juxtaposition de l’Allemagne et de la Grèce –, mais une catastrophe bien plus grande est sur le point d’inclure le reste du monde. En réaction, notre perspective sur cette pandémie doit devenir véritablement mondiale, en se fondant sur une compréhension de la manière dont les aspects de santé publique mis en relief par ce virus recoupent des questions plus larges d’économie politique (y compris la probabilité d’un ralentissement économique mondial prolongé et grave). Ce n’est pas le moment de mettre l’accent sur les pièges (nationaux) et de parler simplement de la lutte contre le virus à l’intérieur de nos propres frontières.
La santé publique dans le Sud
Comme pour toutes les crises dites «humanitaires», il est essentiel de rappeler que les conditions sociales qui règnent dans la plupart des pays du Sud sont le produit direct de la façon dont ces Etats s’insèrent dans les hiérarchies du marché mondial. Historiquement, cela inclut une longue «rencontre» avec le colonialisme occidental, qui s’est poursuivi, à l’époque contemporaine, par la subordination des pays pauvres aux intérêts des Etats les plus riches du monde et des plus grandes sociétés transnationales. Depuis le milieu des années 1980, les ajustements structurels répétés [selon les modèles du FMI] – souvent accompagnés d’actions militaires occidentales, de régimes de sanctions débilitants ou d’un soutien aux dirigeants autoritaires – ont systématiquement détruit les capacités sociales et économiques des Etats les plus pauvres, les laissant fort mal équipés pour faire face à des crises majeures telles que celle induite par l’épidémie du COVID-19.
La mise en avant de ces dimensions historiques et mondiales permet de montrer clairement que l’ampleur énorme de la crise actuelle n’est pas simplement une question d’épidémiologie virale et d’absence de résistance biologique à un nouvel agent pathogène. La façon dont la plupart des populations d’Afrique, d’Amérique latine, du Moyen-Orient et d’Asie vivront la prochaine pandémie est une conséquence directe d’une économie mondiale systématiquement structurée autour de l’exploitation des ressources et des peuples du Sud. En ce sens, la pandémie est en grande partie une catastrophe sociale et humaine – et non pas simplement une calamité d’origine naturelle ou biologique.
Le mauvais état des systèmes de santé publique dans la plupart des pays du Sud, qui ont tendance à une carence de financement et d’investissements ainsi qu’à un manque de médicaments, d’équipements et de personnel adéquats, est un exemple clair de la façon dont ce désastre est causé par une activité sociale donnée. Cela est particulièrement important pour comprendre la menace présentée par le COVID-19 en raison de la rapide et très importante augmentation des cas graves et critiques qui nécessitent généralement une hospitalisation à cause du virus (actuellement estimée à environ 15-20% des cas confirmés). Ce fait est maintenant largement discuté dans le contexte de l’Europe et des Etats-Unis. Il est à l’origine de la stratégie d’«aplatissement de la courbe» afin d’alléger la pression sur la capacité des hôpitaux en matière de soins intensifs.
Pourtant, si nous soulignons à juste titre le manque de lits de soins intensifs, de ventilateurs et de personnel médical qualifié dans de nombreux Etats occidentaux, nous devons reconnaître que la situation dans la plupart du reste du monde est infiniment plus grave. Le Malawi, par exemple, dispose d’environ 25 lits de soins intensifs pour une population de 17 millions de personnes. Il y a moins de 2,8 lits de soins intensifs pour 100’000 personnes en moyenne en Asie du Sud, le Bangladesh possédant environ 1100 de ces lits pour une population de plus de 157 millions d’habitants (0,7 lit de soins intensifs pour 100’000 personnes).
En comparaison, les images choquantes qui nous parviennent d’Italie se produisent dans un système de soins de santé avancé avec une moyenne de 12,5 lits de soins intensifs/100’000 (et la possibilité d’en mettre davantage en action).
La situation est si grave que de nombreux pays pauvres n’ont même pas d’informations sur la disponibilité des soins intensifs. Un article universitaire datant de 2015 [«Intensive Care Unit Capacity in Low-Income Countries: A Systematic Review»] estimait que «plus de 50% des pays [à faible revenu] n’ont pas de données publiées sur le volume à disposition pour des soins intensifs». Sans ces informations, il est difficile d’imaginer comment ces pays pourraient éventuellement envisager une planification afin de répondre à l’inévitable demande de soins intensifs découlant du COVID-19.
Bien entendu, la question de la capacité des unités de soins intensifs et des hôpitaux fait partie d’un ensemble de problèmes beaucoup plus vaste, notamment le manque généralisé de ressources de base (par exemple, eau potable, nourriture et électricité), l’accès adéquat aux soins médicaux primaires et la présence d’autres comorbidités (telles que des taux élevés de VIH et de tuberculose). Pris dans leur ensemble, tous ces facteurs se traduiront sans aucun doute par une prévalence nettement plus élevée de patients gravement malades (et donc de décès) dans les pays les plus pauvres à la suite du COVID-19.
Le travail et le logement sont des questions de santé publique
Les débats sur la meilleure façon de répondre à COVID-19 en Europe et aux Etats-Unis ont illustré la relation de renforcement mutuel entre les mesures de santé publique efficaces et les conditions de travail, la précarité et la pauvreté. Les appels à l’auto-isolement en cas de maladie – ou l’application de périodes plus longues de confinement obligatoire – sont économiquement impossibles pour les nombreuses personnes qui ne peuvent pas facilement effectuer du télétravail ou pour celles qui, dans le secteur des services, travaillent dans le cadre de contrats «zéro heure» ou d’autres types d’emploi temporaire. Reconnaissant les conséquences fondamentales de ces modèles de travail pour la santé publique, de nombreux gouvernements européens ont annoncé des promesses radicales concernant l’indemnisation des personnes mises au chômage ou contraintes de rester chez elles pendant la crise.
Il reste à voir quelle sera l’efficacité de ces régimes et dans quelle mesure ils répondront réellement aux besoins du très grand nombre de personnes qui perdront leur emploi en raison de la crise. Néanmoins, nous devons reconnaître que de tels programmes n’existeront tout simplement pas pour la majeure partie de la population mondiale.
Dans les pays où la majorité de la main-d’œuvre est engagée dans le travail informel ou dépend de salaires journaliers incertains – une grande partie du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie – il n’y a pas de moyen possible pour que les gens puissent choisir de rester chez eux ou de s’isoler. Cette situation doit être considérée en parallèle avec le fait qu’il y aura presque certainement une très forte augmentation du nombre de «travailleurs pauvres» en conséquence directe de la crise. En effet, l’OIT (Organisation du travail) a estimé [le 18 mars 2020] que, dans le pire des cas (24,7 millions de pertes d’emplois dans le monde), le nombre de personnes dans les pays à faible et moyen revenu gagnant moins de 3,20 dollars par jour en PPA (parité de pouvoir d’achat) augmentera de près de 20 millions.
Une fois de plus, ces chiffres sont importants non seulement pour la survie économique au quotidien. Sans les effets d’atténuation offerts par la quarantaine et le confinement, la progression réelle de la maladie dans le reste du monde sera certainement beaucoup plus dévastatrice que les scènes poignantes observées à ce jour en Chine, en Europe et aux Etats-Unis.
En outre, les travailleurs/travailleuses qui effectuent des travaux informels et précaires vivent souvent dans des bidonvilles et des logements surpeuplés, c’est-à-dire dans des conditions idéales pour la propagation explosive du virus. Comme l’a récemment fait remarquer une personne interrogée par le Washington Post à propos du Brésil: «Plus de 1,4 million de personnes – près d’un quart de la population de Rio – vivent dans l’une des favelas de la ville. Beaucoup ne peuvent pas se permettre de manquer un seul jour de travail, et encore moins des semaines. Les gens vont continuer à quitter leur maison… La tempête est sur le point de frapper.»
Les millions de personnes actuellement déplacées par les guerres et les conflits sont confrontées à des scénarios tout aussi désastreux. Le Moyen-Orient, par exemple, est la région marquée par le plus grand déplacement forcé de population depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un nombre massif de réfugié·e·s et de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays en raison des guerres en cours dans des pays comme la Syrie, le Yémen, la Libye et l’Irak. La plupart de ces personnes vivent dans des camps de réfugiés ou dans des espaces urbains surpeuplés, et ne disposent souvent pas des droits les plus élémentaires aux soins de santé généralement associés à la citoyenneté. La prévalence généralisée de la malnutrition et d’autres maladies (comme la réapparition du choléra au Yémen) rend ces communautés déplacées particulièrement vulnérables au virus lui-même.
Un microcosme de cette situation est visible dans la bande de Gaza, où plus de 70% de la population est constituée de réfugié·e·s vivant dans l’une des zones les plus denses du monde. Les deux premiers cas de COVID-19 ont été identifiés à Gaza le 20 mars (cependant, en raison du manque d’équipement de test, seules 92 personnes sur une population de 2 millions ont été testées pour le virus). Après 13 ans de siège israélien et la destruction systématique des infrastructures essentielles, les conditions de vie dans la bande de Gaza sont marquées par une pauvreté extrême, de mauvaises conditions sanitaires et un manque chronique de médicaments et de matériel médical (il n’y a, par exemple, que 62 ventilateurs à Gaza, dont 15 seulement sont actuellement disponibles). Sous blocus et fermeture pendant la majeure partie de la dernière décennie, Gaza a été isolée du monde bien avant la pandémie actuelle. La région pourrait être le canari proverbial de la mine de charbon COVID-19, préfigurant le cours futur de l’infection parmi les communautés de réfugiés au Moyen-Orient et ailleurs. [Très sensible aux émanations de gaz toxiques, impossibles à détecter pour les hommes ne bénéficiant pas des équipements modernes, le canari servait de signal: lorsqu’il mourait ou s’évanouissait, les mineurs se dépêchaient de sortir de la mine afin d’éviter une explosion ou une intoxication imminentes.]
Des crises croisées
La crise de santé publique imminente à laquelle sont confrontés les pays les plus pauvres à la suite du COVID-19 sera encore aggravée par un ralentissement économique mondial qui y est associé. Il dépassera presque certainement l’ampleur de 2008. Il est trop tôt pour prédire l’ampleur de cette récession, mais de nombreuses institutions financières de premier plan s’attendent à ce que ce soit la pire récession de mémoire d’homme. L’une des raisons de cette situation est la fermeture quasi simultanée des secteurs de l’industrie, des transports et des services aux Etats-Unis, en Europe et en Chine – un événement sans précédent historique depuis la Seconde Guerre mondiale. Un cinquième de la population mondiale étant actuellement sous une forme ou une autre de confinement, les chaînes d’approvisionnement et le commerce mondial se sont effondrés et les cours des marchés boursiers ont plongé – la plupart des grandes places boursières ayant perdu entre 30 et 40% de leur valeur entre le 17 février et le 17 mars.
L’effondrement économique qui se profile maintenant n’a pas été causé par le COVID-19. Le virus a plutôt présenté «l’étincelle ou le déclencheur» [comme de coutume] d’une crise plus profonde qui se prépare depuis quelques années. Les mesures mises en place par les gouvernements et les banques centrales depuis 2008, notamment les politiques d’assouplissement quantitatif et les baisses répétées des taux d’intérêt, sont étroitement liées à cette crise. Ces politiques visaient à soutenir le cours des actions en augmentant massivement l’offre de monnaie ultra bon marché sur les marchés financiers. Elles se sont traduites par une croissance très importante de toutes les formes d’endettement – des entreprises, des gouvernements et des ménages. Aux Etats-Unis, par exemple, l’endettement non financier des grandes entreprises a atteint 10’000 milliards de dollars à la mi-2019 (environ 48% du PIB), soit une hausse significative par rapport au pic précédent de 2008 (où il s’élevait à environ 44%). En règle générale, cette dette n’était pas utilisée pour des investissements productifs, mais plutôt pour des activités financières (telles que le financement de dividendes, le rachat d’actions et les fusions et acquisitions). Nous avons donc les phénomènes bien observés de l’explosion des marchés boursiers, d’une part, et de la stagnation des investissements et de la baisse des bénéfices, d’autre part.
Il est toutefois important de noter que la croissance de l’endettement des entreprises a été largement concentrée sur les obligations de qualité inférieure à celle des investissements (appelées «junk bonds»), ou sur les obligations notées BBB, à un niveau supérieur à celui des junk bonds. En effet, selon Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, la dette BBB représentait une part remarquable, à hauteur de 50%, du marché obligataire mondial en 2019, contre seulement 17% en 2001.
Cela signifie que l’effondrement synchronisé de la production mondiale, de la demande et des prix des actifs financiers pose un problème majeur aux entreprises qui ont besoin de refinancer leur dette. Alors que l’activité économique s’arrête dans des secteurs clés, les entreprises dont la dette doit être refinancée se trouvent maintenant confrontées à un marché du crédit essentiellement bloqué. Personne n’est disposé à prêter dans ces conditions et de nombreuses entreprises surendettées (en particulier celles impliquées dans des secteurs tels que les compagnies aériennes, le commerce de détail, l’énergie, le tourisme, l’automobile et les loisirs) pourraient ne générer pratiquement aucun revenu au cours de la période à venir.
La perspective d’une vague de faillites d’entreprises, de défaillances et de décotes de crédit très médiatisés est donc extrêmement probable. Ce n’est pas seulement un problème états-unien. Les analystes financiers ont récemment mis en garde contre une «crise de liquidités» et une «vague de faillites» dans la région Asie-Pacifique, où les niveaux d’endettement des entreprises ont doublé pour atteindre 32’000 milliards de dollars au cours de la dernière décennie.
Tout cela constitue un très grave danger pour le reste du monde, où diverses voies de transmission vont métastaser le ralentissement dans les pays et les populations les plus pauvres. Comme en 2008, il s’agit notamment d’une chute probable des exportations, d’un net recul des flux d’investissements directs étrangers et des recettes touristiques, ainsi que d’une baisse des envois de fonds des travailleurs expatriés. Ce dernier facteur est souvent oublié dans le débat sur la crise actuelle, mais il est essentiel de se rappeler que l’une des principales caractéristiques de la mondialisation néolibérale a été l’intégration d’une grande partie de la population mondiale dans le capitalisme mondial grâce aux envois de fonds des membres de la famille travaillant à l’étranger.
En 1999, seuls onze pays dans le monde avaient des transferts de fonds supérieurs à 10% du PIB; en 2016, ce chiffre était passé à trente pays. En 2016, un peu plus de 30% des 179 pays pour lesquels des données étaient disponibles ont enregistré des niveaux d’envois de fonds supérieurs à 5% du PIB – une proportion qui a doublé depuis 2000. Il est étonnant de constater qu’environ un milliard de personnes – soit une personne sur sept dans le monde – sont directement impliquées dans les flux d’envois de fonds en tant qu’expéditeurs ou destinataires. La fermeture des frontières à cause de COVID-19 – associée à l’arrêt des activités économiques dans des secteurs clés où les migrants ont tendance à prédominer – signifie que nous pourrions être confrontés à une chute précipitée des transferts de fonds des travailleurs dans le monde. Ce résultat aurait de très graves répercussions sur les pays du Sud.
Un autre mécanisme clé par lequel la crise économique, qui évolue rapidement, pourrait toucher les pays du Sud est l’accumulation importante de la dette des pays les plus pauvres ces dernières années. Il s’agit à la fois des pays les moins avancés du monde et des «marchés émergents». Fin 2019, l’Institut de finance internationale a estimé que la dette des marchés émergents s’élevait à 72’000 milliards de dollars, un chiffre qui a doublé depuis 2010. Une grande partie de cette dette est libellée en dollars états-uniens, ce qui expose ses détenteurs aux fluctuations de la valeur de la monnaie américaine. Ces dernières semaines, le dollar américain s’est considérablement renforcé, les investisseurs cherchant une valeur refuge en réponse à la crise. En conséquence, les autres monnaies nationales ont chuté, et le fardeau des intérêts et du remboursement du principal de la dette libellée en dollars a augmenté. Déjà en 2018, 46 pays dépensaient plus pour le service de la dette publique que pour leur système de santé en pourcentage du PIB. Aujourd’hui, nous entrons dans une situation alarmante où de nombreux pays pauvres devront faire face à des remboursements de dette de plus en plus lourds tout en essayant de gérer une crise de santé publique sans précédent – le tout dans le contexte d’une récession mondiale très profonde.
Et ne nous faisons pas d’illusions sur le fait que ces crises croisées pourraient mettre un terme à l’ajustement structurel ou à l’émergence d’une sorte de «social-démocratie mondiale». Comme nous l’avons vu à maintes reprises au cours de la dernière décennie, le capital saisit fréquemment les moments de crise comme une opportunité, une chance de mettre en œuvre un changement radical qui était auparavant bloqué ou semblait impossible. C’est ce que le président de la Banque mondiale, David Malpass [depuis avril 2019], a laissé entendre lorsqu’il a pris acte de cette situation lors de la réunion (virtuelle) des ministres des Finances du G20 il y a quelques jours: «Les pays devront mettre en œuvre des réformes structurelles pour aider à raccourcir le délai pour une reprise… Pour les pays qui ont des réglementations, des subventions, des régimes d’autorisation, une protection commerciale ou des litiges excessifs comme obstacles, nous travaillerons avec eux pour favoriser les marchés, le choix et des perspectives de croissance plus rapide pendant la reprise.»
Il est essentiel de placer toutes ces dimensions internationales au centre du débat par la gauche en relation avec le COVID-19, en liant la lutte contre le virus à des questions telles que l’abolition de la dette du «tiers-monde», la fin des paquets d’ajustement structurel néolibéraux du FMI et de la Banque mondiale, les réparations pour le colonialisme, l’arrêt du commerce mondial des armes, la fin des régimes de sanctions, etc.
Toutes ces campagnes sont, en fait, des questions de santé publique mondiale – elles ont une incidence directe sur la capacité des pays les plus pauvres à atténuer les effets du virus et du ralentissement économique qui lui est associé. Il ne suffit pas de parler de solidarité et d’entraide dans nos propres quartiers, collectivités et à l’intérieur de nos frontières nationales – sans évoquer la menace bien plus grande que ce virus représente pour le reste du monde.
Bien entendu, les niveaux élevés de pauvreté, les conditions précaires de travail et de logement et le manque d’infrastructures sanitaires adéquates menacent également la capacité des populations d’Europe et des Etats-Unis à atténuer cette infection. Mais les campagnes unitaires à la base dans le Sud construisent des coalitions qui s’attaquent à ces problèmes de manière intéressante et internationaliste. Sans une orientation mondiale, nous risquons de renforcer la manière dont le virus a alimenté sans heurts la rhétorique politique discursive des mouvements suprémacistes blancs et xénophobes – une politique profondément ancrée dans l’autoritarisme, une obsession des contrôles aux frontières et un patriotisme national «mon pays d’abord».