MAGDALENA SEPÚLVEDA, Médiapart, 4 mars 2021
Partout dans le monde, on a pris conscience du rôle crucial des services publics tels que les services de santé universels, les soins aux plus âgés et aux enfants, l’éducation, mais aussi l’accès à l’eau et à l’assainissement. Des missions qui reposent majoritairement sur les épaules des femmes, dans des conditions de travail souvent déplorables. Ce sont les premières à payer le prix de décennies de coupes budgétaires et de privatisation des services essentiels.
Aux États-Unis, c’est la Vice-Présidente Kamala Harris qui a tiré la sonnette d’alarme, fin février, en soulignant que 2,5 millions de femmes avaient été contraintes de quitter le marché du travail depuis le début de la pandémie. « Notre économie ne peut pas se redresser sans la pleine participation des femmes, il s’agit d’une urgence nationale », a-t-elle martelé, en appelant à un plan national pour faire face à la situation.
Certes, les progrès de la vaccination contre le Covid-19 aux États-Unis permettent d’espérer une reprise rapide de l’économie, mais les cicatrices resteront profondes. Les femmes représentent 43 % de la main-d’œuvre outre-Atlantique, mais elles ont été affectées par 56 % des pertes d’emploi liées à la pandémie. Une disproportion qui s’explique notamment par le fait qu’elles sont surreprésentées dans des services à la personne durement frappés et dans les secteurs informels. Et les plus affectées sont les femmes n’ayant pas fait d’études supérieures, les Noires, et les Hispaniques.
Les Etats-Unis ne sont qu’un exemple. Dans le monde entier, les pertes d’emplois liées à la pandémie ont surtout affecté les femmes, les expulsant parfois totalement du marché du travail. Au Brésil, par exemple, le taux de participation des femmes au marché du travail s’est effondré de 14% en un an. L’impact sur le revenu est évident, mais les conséquences se feront sentir à très long terme, puisque ces mois sans travail impliquent une chute de leurs droits de retraite – quand ils existent – une situation d’autant plus ironique que les femmes vivent plus longtemps que les hommes.
Même pour celles qui ont réussi à garder un emploi, la situation s’est détériorée. Pour certaines, l’isolement social a réduit leurs possibilités d’échapper à la violence domestique. Et pour la plupart, elles ont dû dédier plus d’heures encore au travail domestique non rémunéré. Ce sont elles qui en majorité s’occupent de la santé de leur famille en jonglant avec les nouveaux protocoles de sécurité et d’hygiène. Elles prennent soin des malades et des personnes âgées, plus vulnérables que jamais. Et se transforment en maîtresses à la maison pour les centaines de millions d’enfants privés d’école depuis l’irruption du virus.
Les conséquences de la répartition inégale entre hommes et femmes des soins non rémunérés et du travail domestique sont déjà connues. Les femmes et les filles ont moins de temps à consacrer à leur éducation et à la formation continue. Elles ont aussi plus de difficultés à entrer dans le marché du travail rémunéré et à y progresser, ce qui se traduit en salaires plus bas, mais aussi moins de protection sociale et de pensions de retraites.
Les perspectives pour la prochaine génération ne sont guère plus rassurantes. Plus de 1,7 milliards d’enfants ont été touchés par les fermetures d’écoles. Si les retards d’apprentissage les concernent tous, pour beaucoup de filles, c’est une sortie définitive du système. Certaines travaillent dans les champs ou comme domestiques, et l’ONG Save the Children estime qu’il faut s’attendre, d’ici 2030, à 13 millions de mariages d’enfants de plus que ce qui aurait été le cas sans COVID-19.
C’est la marque de cette pandémie : ses conséquences frappent de façon disproportionnée les plus vulnérables, creusant les inégalités de genre, de classe et de race. Alors que le monde s’apprête à célébrer la Journée internationale des femmes, nous devons rappeler que cette situation n’est ni acceptable, ni inévitable.
Partout dans le monde, on a pris conscience du rôle crucial des services publics tels que les services de santé universels, les soins aux plus âgés et aux enfants, l’éducation, mais aussi l’accès à l’eau et à l’assainissement. Des missions qui reposent majoritairement sur les épaules des femmes, dans des conditions de travail souvent déplorables. Ce sont les premières à payer le prix de décennies de coupes budgétaires et de privatisation des services essentiels. C’est donc aussi au nom de l’égalité des sexes que les gouvernements doivent prendre des mesures immédiates et à long terme pour investir dans les services publics, la protection sociale et les infrastructures.
Toutes ces mesures indispensables ont évidemment un coût, et il s’agit au fond de répondre à une question simple : qui va payer ? A l’ICRICT, une commission engagée dans la réforme du système fiscal international de manière juste et équitable, nous répondons sans ambages qu’il est temps de faire payer les plus riches.
D’autant qu’ils se sont encore enrichis cette dernière année, malgré la pandémie, comme l’a montré un récent rapport d’Oxfam. Les dix premiers milliardaires du monde – tous des hommes, sans surprise – ont vu leur patrimoine augmenter d’un demi-billion de dollars depuis mars 2020. Ce serait largement suffisant pour empêcher que quiconque sur la planète ne tombe dans la pauvreté à cause du virus, et pour financer un vaccin contre le Covid-19 pour tous. Cette pandémie doit donc marquer un tournant dans l’imposition des plus riches.
C’est aussi une l’occasion de s’attaquer réellement à l’évasion fiscale des entreprises et de mettre un terme à la concurrence fiscale entre les pays.
Et nous avons une solution à portée de main, que serait l’adoption d’un taux effectif minimum d’imposition des sociétés de 25 % au niveau mondial. Toute multinationale qui affiche ses bénéfices dans un paradis fiscal serait donc imposée dans son pays d’origine jusqu’à ce taux minimum, elle n’aurait donc plus aucun intérêt à le faire. Utopique il y a encore quelques semaines, cette mesure est désormais accessible, l’administration Biden assurant vouloir « tenter de mettre fin à ce qui a été une course mondiale destructrice au moins disant en matière de d’impôts sur les entreprises », pour reprendre les propos de la secrétaire d’État au Trésor Janet Yellen lors de son audition de confirmation.
L’engagement américain rendrait possible une réforme mondiale pour faire payer aux multinationales et aux plus riches leur juste part d’impôts. Il est essentiel que ces négociations se déroulent de la manière la plus transparente et la plus égalitaire possible, idéalement au sein de l’ONU, seul forum légitime pour ces discussions.
Aujourd’hui plus que jamais, taxer les plus riches ouvrirait la voie à des sociétés qui font du soin des plus vulnérables et de la solidarité une priorité. Et cette crise a une fois de plus démontré que cela ne sera pas possible sans mettre les droits des femmes au centre de nos valeurs.