Jill Hanley et Nalini Vaddapalli (extrait d’un texte paru dans les Nouveaux cahiers du socialisme, numéro 5, printemps 2011)
Les travailleuses domestiques constituent une force de travail globalisée et féminine qu’on peut qualifier de prolétariat à domicile. Elles viennent du monde rural ou encore des pays pauvres. Elles le font pour améliorer leurs conditions économiques, quelquefois pour fuir la discrimination et la violence basées sur le genre. De plus en plus, cette situation est documentée. Dans cet article, nous nous concentrerons sur la situation des travailleuses domestiques au Québec. Nous examinerons d’abord la nature du travail domestique. Nous enchaînerons ensuite avec les luttes et les efforts d’organisation en cours.
Surexploitation
Le travail domestique, qui existe depuis longtemps, est lié aux mouvements de population. Un peu partout, les ruraux sont obligés de venir en ville. Ces mouvements ont cours également à l’échelle internationale, les populations des pays pauvres devant migrer vers les pays riches. Dans le cas des travailleuses domestiques, entre en jeu plus particulièrement l’inégalité sociale. En effet, ce sont les grands écarts de richesse et de revenus qui font en sorte que les couches privilégiées peuvent se « permettre » d’embaucher des travailleuses domestiques. La condition de ces travailleuses est d’autant plus problématique qu’elles doivent lutter pour se faire reconnaître comme travailleuses à part entière : le travail domestique est souvent présenté comme faisant partie de la « sphère privée ». La travailleuse domestique n’est pas une « vraie » travailleuse puisqu’elle « fait partie de la famille ». L’expansion contemporaine du travail domestique s’inscrit dans une tendance de fond. Les femmes dans les pays riches se sont battues pour « sortir de la maison » et avoir accès au travail salarié. Elles doivent toutefois encore absorber le « double fardeau » puisque ce sont elles qui assument le gros des responsabilités familiales. Cependant, si elles ont les revenus suffisants, ces couches moyennes se tournent alors vers la main-d’œuvre migrante, d’autant plus que l’État fournit des subsides aux familles qui emploient ces travailleuses (en partie parce que cela lui permet de ne pas offrir des soins universels de garde d’enfants ou de personnes âgées). Ainsi, au Canada, plusieurs familles de classes moyennes peuvent se permettre d’engager des travailleuses domestiques migrantes. Les femmes mieux fortunées sont « libérées » du travail domestique par des femmes qui sont forcées d’accepter de bas salaires et des conditions de travail difficiles. Le travail domestique permet d’alléger la situation d’iniquité régnant au sein des familles, sans transformer les rapports de genre, tout en reproduisant des conditions de travail antisociales.
Les femmes dans la mondialisation
Le Canada a été construit par des vagues successives de travail migrant racia- lisé et genré qui ont résolu le problème récurrent de pénurie de main-d’œuvre. Au 17ième siècle, la colonie française importait les « filles du Roy ». Au 18ième siècle, c’était les domestiques irlandaises, puis au xixe siècle, les Finlandaises. Jusque dans les années 1950, beaucoup de femmes britanniques sont venues au Canada comme domestiques. Plus tard, dans les années 1970, le gouvernement canadien a favorisé la venue de main-d’œuvre des Caraïbes, notamment de la Jamaïque et de la Barbade. Cependant, ces femmes ont exercé le métier de travailleuse domestique dans un contexte fort différent. L’entente entre ces gouvernements et le Canada prévoyait que ce dernier se réservait le droit de renvoyer ces femmes dans leur pays, au frais de ce dernier, si leur travail n’était pas bien accompli ou si elles se révélaient « inaptes à accomplir le travail domestique ». Aujourd’hui, les flux de travailleurs et de travailleuses sont régulés dans le cadre d’accords qui sont similaires aux accords régulant le commerce. L’immigration des domestiques est favorisée sans que ces femmes aient accès à un statut permanent. D’un autre côté, certains États favorisent cet exode des femmes dans le but d’accroître les rentrées en devises. C’est certainement le cas du gouvernement des Philippines qui encourage la migration de masse en capitalisant sur la demande qui provient de pays comme le Canada. La catégorie de travailleuse migrante est liée au fait que de nombreuses femmes ne peuvent retourner chez elles et qu’elles doivent continuer de vivre comme domestiques.
Un métier de femmes
En 2009, plus de 20 000 personnes ont migré au Canada après avoir obtenu un permis de travail temporaire dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PAFR), lequel existe sous cette forme institutionnalisée depuis 1992. Ici comme ailleurs, la grande majorité des « aides familiaux rési- dents » sont des femmes (93 % au Canada). En 1998, le ministre québécois du Travail de l’époque, Matthias Rioux, déclarait que le nombre de travailleuses domestiques travaillant à temps plein s’élevait à 19 000. Mais selon Statistique Canada, le vrai chiffre se situerait autour de 29 000 personnes, incluant gardiennes d’enfants, gouvernantes et aides aux parents.Plus de 90 % des femmes exerçant le métier de travailleuse domestique sous le PAFR sont originaires des Philippines bien qu’un nombre croissant provienne d’Haïti et de pays africains, latino-américains et asiatiques. Elles sont pour la plupart âgées de 25 à 44 ans. La majorité des migrantes est recrutée par des agences et des employeurs. Le salaire oscille autour de 9,50 $ de l’heure, formellement pour 40 heures de travail par semaine, mais sans rémunération pour le temps supplémentaire qui, additionné à la semaine de travail, fait en réalité des semaines de 50 à 70 heures.
Précarité et vulnérabilité
Bien qu’au cours des années des batailles aient été gagnées, ces travailleuses continuent à se heurter à des conditions d’emploi difficiles. En outre, le facteur migratoire vulnérabilise les travailleuses domestiques dont le statut de précarité crée une situation de dépendance vis-à-vis les employeurs. L’obligation de résidence chez l’employeur, de même que le permis de travail octroyé sous le nom de l’employeur, constituent des facteurs parmi d’autres qui rendent les migrantes vulnérables à l’exploitation et même aux abus sexuels et physiques, au harcèlement psychologique, aux conditions de travail ne respectant pas les lois en vigueur. En quittant son employeur, la travailleuse domestique migrante perd son droit de travailler au Québec jusqu’à ce qu’elle retrouve un nouveau poste domestique avec un employeur prêt à formuler une demande de nouveau permis de travail. Ce processus peut prendre plusieurs mois et, durant cette période d’attente, les migrantes sont très vulnérables. Selon les dispositions du PAFR, un employeur qui quitte le Canada peut amener avec lui « sa » travailleuse domestique. Du coup, celle-ci est pénalisée, car le temps passé à l’étranger n’est pas comptabilisé par l’État. Un rapport publié en 2009 par le Comité permanent sur la citoyenneté et l’immigration (CPCI) établit le fait que « la politique actuelle accroît la vulnérabilité des aides familiaux et leur laisse trop peu de latitude pour qu’ils puissent satisfaire aux critères d’admissibilité ». En ce qui a trait à l’obligation de résidence, le CPCI croit déraisonnable l’obligation des travailleuses domestiques de vivre dans des logements fournis par l’employeur ou sur les lieux du travail et estime qu’elles devraient jouir de la même liberté de résidence que les Canadiens. Soulignons en passant que cette exigence est contraire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne puisqu’elle viole le droit à la vie privée (article 5) et le droit a l’égalité, car cette exigence ne s’applique pas aux non-migrants.
Résistances
Toutes sortes d’associations et de projets proclament haut et fort l’importance de respecter les droits des travailleuses domestiques et de transformer leurs conditions de travail et d’immigration. Au centre de ce mouvement, on retrouve l’action de fourmis accomplie par les réseaux sociaux informels, certaines congrégations religieuses et des associations ethniques qui sont sur la « ligne de front » pour informer les migrantes et leur donner le goût de défendre leurs droits dans un environnement où elles peuvent avoir confiance. Les liens se multiplient par le bouche-à-oreille dans les familles et les lieux de travail.
Le Québec est bien pourvu également en associations qui œuvrent spécifi- quement auprès des travailleuses domestiques migrantes, telle l’Association des aides familiales du Québec (AAFQ), qui compte 35 ans d’expérience. PINAY (Organisation des femmes philippines du Québec) pour sa part regroupe les travailleuses originaires des Philippines depuis 19 ans. Ces deux associations se consacrent à l’éducation populaire, à la défense individuelle, aux campagnes publiques. Elles sont indispensables pour les migrantes puisque les mouvements syndicaux, de manière générale, et les autres organisations de défense des droits sont souvent mal équipés pour faire face à ces situations complexes. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de questions politiques plus larges, comme le droit des travailleuses domestiques à avoir pleinement accès à l’assurance-santé ou aux normes de santé et de sécurité au travail ou encore lorsqu’il s’agit des questions des droits de résidence, ces associations doivent travailler en alliances. C’est ainsi qu’elles participent aux réseaux comme la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) et bénéficient de l’appui du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, de la Fédération des femmes du Québec, de la CSN et de la FTQ.
Fait à noter, les organisations œuvrant avec les travailleuses domestiques s’in- ternationalisent. Par exemple, l’AAFQ a coordonné la participation de groupes québécois au débat de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le « travail décent ». PINAY a aidé à la mise en place d’une branche canadienne de MIGRANTE, qui coalise des organisations de travailleurs migrants philippins partout dans le monde. Récemment, Tess Tesalona, ancienne travailleuse domestique provenant des Philippines et qui a été coordonnatrice du Centre des travailleurs immigrants, a été élue à la direction de l’Alliance internationale des migrants.
En 2008, l’action de l’OIT en faveur du travail décent pour les travailleuses domestiques a eu des échos au Québec, où un groupe de travail a été constitué pour porter le message auprès des gouvernements et du public. Le groupe réclame notamment du gouvernement québécois qu’il établisse des normes plus contraignantes pour assurer aux travailleuses domestiques migrantes une meilleure protection sociale et une reconnaissance de leur statut de travailleuse à part entière. On demande également que les aides familiales soient pleinement protégées par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, comme le sont tous les travailleuses et travailleurs. Par ailleurs, les associations voudraient une réglementation plus rigoureuse des agences de placement qui devraient être tenues coresponsables pour le versement du salaire, les obligations en matière de santé et de sécurité du travail et pour tout autre droit qui en découle.