Trump un an plus tard

Extraits d’une table-ronde organisée par la revue Jacobin, avec Paul Heideman et Kim Philipps-Fein (New York University), Doug Henwood (éditeur du Left Business Review et Kate Aronnoff (In These Times), 20 janvier 2018

 

Paul Heideman

L’État américain demeure toujours aussi puissant, en dépit des déficiences de l’administration actuelle. Trump a gagné sur deux plans : le transfert fiscal en faveur des plus riches et l’expansion des pratiques répressives. Le premier est le plus important et démontre le préjugé de classe de l’administration actuelle. Pour la prochaine décennie, les riches vont être inondés de cash. Dépourvu de moyens, le gouvernement devra couper dans les services sociaux. Par ailleurs, Trump a drastiquement réduit les moyens dont le gouvernement dispose pour réguler le marché, que ce soit sur les émissions de gaz à effets de serre, les standards environnementaux des infrastructures fédérales, la responsabilité des minières, et bien d’autres mesures encore. Le Département de la sécurité au travail et de la santé a vu ses effectifs réduits, ce qui envoie le message aux entreprises à l’effet qu’elles ne seront jamais l’objet d’enquêtes.

Sur l’autre plan, la machine de répression a été renforcée, notamment en ce qui concerne l’immigration (l’interdiction d’immigrants de certains pays musulmans, L’expulsion prévue de 300 000 Salvadoriens et Haïtiens, etc). Entretemps, les descentes musclées dans les quartiers immigrants, les expulsions et les détentions, ont augmenté considérablement. Et cela ne vise pas seulement les sans-papier. En juillet, Trump a affirmé que les États-Unis étaient trop « gentils » avec les gens arrêtés par la police. Le ministère de la justice a pratiquement cessé la surveillance des pratiques policières à l’échelle locale, ce qui veut dire que celles-ci ont les mains libres. Soulignons enfin les manouvres agressives pour « nettoyer » les tribunaux fédéraux de tous ceux qui ne suivent pas la « ligne ». Cette mesure aura des répercussions longtemps après le départ de Trump.

Avec tout cela, peut-on dire que le régime Trump est exceptionnel ? Certes, on n’a pas vu depuis longtemps un gouvernement aussi menaçant pour autant de gens. Mais il faut nuancer. La redistribution des revenus vers les riches et le renforcement de la répression ont été des marques de commerce des gouvernements républicains depuis les années 1980, notamment sous Reagan.

Il faut souligner l’inaptitude des Démocrates à s’opposer à Trump. Tout en mettant l’accent sur certains aspects de la malgouvenance, leur focus a été sur l’enquête concernant l’ingérence de la Russie dans la dernière campagne électorale. Pendant ce temps, l’administration se sert des secteurs les plus vulnérables de la population comme boucs émissaires.

Pour arrêter Trump, il faudra aller plus loin que les standards habituels de la normalité américaine. Il faudra ressusciter les traditions radicales qui sont présentes dans l’histoire des États-Unis.

Kim Philipps-Fein

L’élection de Trump a été interprétée comme un retour du racisme « populaire, une sorte de réaction confuse et pleine d’insécurités d’une partie de la classe ouvrière blanche. Certes, c’est une partie de la réalité, mais en pratique depuis un an, Trump a révélé le fondement de son idéologie : il est le champion de l’élite économique.

Il faut se souvenir que Trump est sorti du néant dans les années 1980 quand le discours dominant célébrait la richesse et le marché. Le président continue donc dans cette tradition fort établie : la vénération des patrons, une vision du monde où il y a des gagnants et des perdants, la fantaisie du pouvoir absolu basée sur le fait que la richesse donne tous les droits. C’est le discours du darwinisme social du 19ième siècle, qui a dominé dans notre histoire, sauf durant l’intervalle du New Deal.

Malgré le regard parfois méprisant des élites sur l’administration actuelle, les pièces essentielles de la politique leur sont très bénéfiques, avec les réductions fiscales et l’assaut organisé contre le secteur public. C’est une tradition chez les Républicains, et plus encore, c’est devenu une sorte de religion depuis l’essor du Tea Party. La fiscalité au services de riches, l’inclusion des millionnaires du secteur privé à des postes de haut niveau dans l’administration, en passant par la quasi destruction de la législation environnementale, répondent aux attentes des riches.

C’est vrai, des personnalités du monde des affaires sont embarrassées. Sur la politique d’immigration et sur la place des États-Unis au sein du capitalisme mondialisé, plusieurs ont l’impression que la gestion de Trump peut aboutir à de sérieuses impasses. Pour autant, ces critiques n’ont pas grand-chose à offrir comme alternative. Il n’est pas surprenant que les profits boursiers aient connu un fort rendement en 2017.

Doug Henwood

Dans un de ses ouvrages sur la télévision, Pierre Bourdieu nous mettait en garde contre une certaine analyse historique fermée et qui disait, en gros, que tout changeait mais qu’en même temps rien ne changeait. Dans le discours actuel, il y a ceux qui comparent Trump à Hitler ou à Staline. D’autres disent que Trump n’est pas très différent d’Obama. On doit se poser la question : est ce que Trump traduit un véritable tournant dans la politique américaine ? Pour aborder cette question, il faut se souvenir de la présidence de Richard Nixon. Il était beaucoup plus subtil que Trump, mais en réalité, ses politiques étaient extrêmes. Pensons notamment à sa conduite de la guerre en Indochine, qui faisait même peur à son secrétaire d’état Henry Kissinger. La xénophobie horrible de Trump s’inscrit en continuité avec les politiques discriminatoires tout au long du vingtième siècle, des arrestations en masse de Palmer dans les années 1910 jusqu’aux pratiques de l’époque maccarthyste dans les années 1950. À vrai dire, Trump n’est même pas rendu là.

Une fois dit cela, la situation est grave. Trump se fait entendre en faveur de Nazis et de racistes avoués. La guerre contre les immigrants est vicieuse. On discute maintenant à Washington d’une éventuelle guerre nucléaire. Des millions de personnes vont perdre leur assurance maladie. Les parcs nationaux vont être ouverts aux mines d’uranium. On laisse tomber toute velléité de faire face aux changements climatiques. Trump lui-même est ignorant et confus. Mais autour de lui, une droite dure est à l’œuvre, qui fait beaucoup de dommages. En face de cela, la gauche, qui avait repris du poil de la bête au début de l’administration de Trump, apparaît confuse et divisée. Tout le monde blâme tout le monde, un peu comme durant la campagne électorale de 2016. La situation actuelle à ce niveau est misérable.

Kate Aronnoff

Quand les Républicains ont réussi à faire adopter leur réforme fiscale à la fin de 2017, on a célébré cela comme la plus importante victoire de Trump. En réalité, les changements de la politique environnementale sont peut-être encore plus significatifs. L’inclusion dans le cabinet de Trump des magnats du pétrole et du charbon, tels le PDG d’ExxonMobil CEO, Rex Tillerson et de Scott Pruitt (un climato sceptique bien connu) comme responsable de l’Agence de protection de l’environnement, ont rapidement donné le ton. Jusqu’à la fin de cette année, alors que l’administration était secouée par divers scandales, le secrétaire d’état à l’intérieur a réussi à transformer l’appareil bureaucratique, en accordant à l’industrie de plus en plus de concessions. En pratique, l’atrophie des capacités de l’État de réguler a concrétisé en pratique ce que Steve Bannon disait, à l’effet qu’il fallait « déconstruire » l’État.

Parallèlement, Trump bénéficie de l’appui de politiciens expérimentés qui sont des fervents partisans de l’extractivisme. Pensons notamment aux néoconservateurs comme Bill Kristol et David Frum. Et même de Démocrates comme l’ancien maire de New York, le milliardaire Michael Bloomberg, pour qui la solution au défi climatique se trouve dans le marché et l’action des entreprises (la “responsabilité sociale” de). Des Démocrates au Congrès, tels Brian Schatz et Sheldon Whitehouse, nient la gravité de la situation et le fait qu’il faudrait de manière urgente des mesures vigoureuses imposées par l’État, y compris, la nationalisation pure et simple de l’industrie du pétrole et du charbon.

Puisque les Démocrates sont incapables de lutter et de proposer des alternatives, c’est la gauche qui doit prendre le relais.

(Traduit et abrégé par Pierre Beaudet)

 

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