La politique italienne se voit aujourd’hui transformée par l’arrivée d’Elly Schlein, élue secrétaire du Parti démocratique (Pd). Sa victoire plutôt inattendue lors des élections primaires de février 2023 permettra de changer de façon significative ce parti de gauche ayant auparavant gouverné avec des politiques centristes et néolibérales. Cette transformation pourrait ressembler à celle qu’aurait subie le parti démocrate aux États-Unis si Bernie Sanders l’avait emporté contre Hilary Clinton en 2016.
Pourtant, Elly Schlein ne ressemble en rien au vénérable sénateur étatsunien. Jeune femme âgée de trente-huit ans, elle se dit bisexuelle et vit avec une femme. Alors que la première ministre Georgia Meloni défend avec passion la famille traditionnelle, sa rivale se distingue par des valeurs opposées. Avec sa triple nationalité (italienne, américaine et suisse), avec son nom de famille évoquant ses racines juives ukrainiennes, elle incarne un cosmopolitisme qui va à l’encontre de la volonté de repliement des partis de droite.
Dès la présentation de sa candidature aux élections primaires, Schlein avait suscité un grand enthousiasme auprès de la gauche : on y voyait une figure charismatique, décomplexée, assumant pleinement ses valeurs progressistes, au sein d’un parti qui avait dû se plier à de multiples compromissions lorsqu’il a pris le pouvoir. La gauche plus radicale se cherchait une voie politique depuis l’effondrement du puissant parti communiste pendant les années 1990. Au moment où l’on croyait cet espoir enterré pour de bon, voilà que cette nouvelle figure lui redonne un élan inespéré.
Dans le discours qui a suivi son élection, la nouvelle secrétaire du Pd a clairement montré ses couleurs. Elle a annoncé vouloir défendre les pauvres, alors que le gouvernement actuel refuse selon elle de les voir. Elle défend l’école publique comme meilleur «instrument d’émancipation sociale» et s’attaque à la privatisation du réseau de santé. Elle s’oppose vivement aux obstacles créés par le nouveau gouvernement au sauvetage des bateaux de migrants : elle parle du secours en mer comme d’une mission humanitaire incontournable. Elle se préoccupe grandement de la justice climatique, elle prétend que le pays est prêt pour «une transition écologique véritable et profonde». Elle dénonce la précarité, les stages gratuits que doivent faire les jeunes et veut mettre en place le salaire minimum.
De tels propos, clairs et bien articulés, énoncés avec une grande fermeté, ont rarement été entendus dans une politique partisane italienne. L’Italie a plutôt été marquée par un populisme très affirmé, celui de Berlusconi, Salvini et Meloni à droite, et celui du parti Mouvement 5 étoiles, à gauche, alors que l’alternance amenait aussi au pouvoir de froids technocrates, tels Romano Prodi, Mario Monti, Mario Draghi, gérant l’État avec un rationalisme très porté sur l’application de sévères mesures d’austérité.
La candidature de Schlein pourrait redonner un élan à une gauche plus radicale en Europe qui subit les contrecoups de la chute de Syriza en Grèce, de la mise à l’écart de la tendance incarnée par Jeremy Corbin au Royaume-Uni, ou aux difficultés éprouvées par Podemos en Espagne et Die Linke en Allemagne. Pour une fois, le mouvement social italien aura un interlocuteur parlementaire digne de ce nom et pourrait profiter d’avancées politiques.
L’élan provoqué par l’élection de Schlein s’est déjà un peu estompé et n’a pas fait chuter la popularité de Meloni qui reste confortablement en tête dans les sondages. Mais il est clair que la joute politique confrontera dorénavant deux femmes à la forte personnalité, excellentes oratrices, mais aux idées diamétralement opposées. Dans un pays qui n’avait été gouverné que par des hommes, cette nouvelle situation mérite toute notre attention. La première confrontation des deux cheffes à la Chambre des députés, portant sur le salaire minimum, a par ailleurs été largement commentée au pays.
La tâche de Schlein sera considérable. D’abord, il lui faut vivre avec le lourd héritage de son parti qui s’est distingué pendant des années par des politiques impopulaires. Elle doit essayer de recréer de l’unité au sein d’une gauche toujours divisée. Il lui faut chercher une alliance avec le Mouvement 5 étoiles, troisième dans les sondages, ce qui est loin d’être gagné. Elle devra défendre un programme qui ne convient sans doute pas aux élites économiques, particulièrement rébarbatives devant les partis qui proposent des changements radicaux, comme on a pu le voir en Grèce, par exemple, pendant le bref règne de Syriza. Elle est enfin confrontée aux succès de Georgia Meloni, qui a jusqu’à maintenant su éviter les erreurs et les esclandres, et qui poursuit les politiques économiques de son prédécesseur, Mario Draghi, tout en se montrant dure sur la question de l’immigration.
Elly Schlein tient son rôle de secrétaire du Pd avec beaucoup d’aplomb. Malgré les difficultés devant elle, elle apporte un véritable espoir à tous ceux qui s’inquiétaient de la montée de l’extrême droite en Italie, offrant pour contrer cette tendance une option forte et crédible. Aux prochaines élections, plus que jamais, les Italiens devront faire un choix clair entre deux orientations très distinctes, deux visions du monde.