Venezuela : la guerre qui vient

Romain Mingus, extrait d’un texte paru le 19 mai 2019

https://www.romainmigus.info/2019/05/venezuela-comprendre-la-guerre-qui.html

 

 

Contrairement aux représentations traditionnelles des conflits guerriers, il ne faut probablement pas s’attendre à une invasion de troupes étasuniennes au Venezuela. D’une part, les Etats-Unis ne sont pas intervenus directement dans la région depuis 30 ans (Panamá), d’autre part le coût politique et économique serait trop élevé. Il entrainerait une guerre civile très longue, et obligerait les Etats-Unis à s’enliser dans l’occupation du territoire, et à affronter une population hostile, dont une bonne partie est entrainée militairement. Cette option semble n’avoir d’ailleurs jamais eu les préférences de l’administration US. C’est pourquoi le président Trump a, dès 2017, sondé certains gouvernements de droite de la région sur la possibilité de lancer une guerre par procuration depuis les pays voisins du Venezuela.

Là encore, le locataire de la maison blanche s’est vu administrer une fin de non recevoir. Les militaires brésiliens qui, de facto, se sont imposés au Palais de Planalto, voient d’un très mauvais œil la création d’un foyer de déstabilisation sur leurs frontières. L’armée redoute, à juste titre, qu’un conflit armé dans cette zone menace leur souveraineté et leurs intérêts stratégiques sur l’Amazonie brésilienne.

Quand à la Colombie, son Etat-major est parfaitement conscient qu’envoyer des troupes au Venezuela reviendrait à abandonner de larges portions de territoires non seulement aux protagonistes du conflit interne qui ronge la Colombie depuis des décennies, mais aussi aux bandes criminelles et aux paramilitaires qui pullulent dans le pays. Un conflit avec le Venezuela aurait des conséquences tragiques sur tout le territoire colombien.

Autre argument et de poids, les armées voisines connaissent désormais la nouvelle force de frappe vénézuélienne. Depuis l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez, le Venezuela a considérablement renforcé ses capacités militaires, notamment grâce à des accords de coopérations avec la Russie, et l’achat de matériel russe et chinois. La capacité de défense anti-aérienne (Buk-M2, S-125 Pechora, S-300, radars JYL 1 3D et JY1 B, mais aussi l’acquisition en masse de missile sol-air portatif Igla-S, et la formation de nombreux miliciens à son maniement) rend très risqué l’appui tactique de forces aériennes. Et même si une improbable opération au sol était lancée depuis les pays voisins, il faudrait affronter une armée professionnelle préparée, et le Peuple en arme réunie au sein de la Milice Nationale Bolivarienne. En effet, depuis 2005, le Venezuela a radicalement changé sa doctrine militaire en l’adaptant aux techniques de la guerre asymétrique. A cet effet, le gouvernement a créé ce nouveau corps d’armée, qui compte aujourd’hui deux millions de membres. Envahir le Venezuela est une opération très compliquée, y maintenir une force d’occupation étrangère en pacifiant le pays relève de la chimère.

Ajoutons que depuis l’autoproclamation de Juan Guaido comme président, le 23 janvier 2019, l’Ecole supérieure de guerre de l’armée vénézuélienne a formé plus de 300 correspondants de guerre, en les entrainant aux cotés des bataillons de ses forces armées. Il serait donc très difficile pour quiconque envoie des troupes au Venezuela de masquer des pertes humaines à sa propre population. Aux risques militaires s’ajoute le risque politico-électoral pour ceux qui assumeraient, seuls, un tel projet.

Si la Colombie est l’unique pays latino-américain associé à l’OTAN, rappelons que le Venezuela a des partenaires diplomatiques et commerciaux de poids, ainsi que des accords technico-militaires avec plusieurs pays dont la Russie et Cuba. Le pays pourrait alors devenir une poudrière qui ne garantirait pas aux voisins belligérants que leur intégrité territoriale en sorte indemne.

Malgré les gesticulations des présidents colombien et brésilien, il semble peu probable que la volonté des Etats-Unis de provoquer un conflit par procuration entraine ces pays à assumer, seuls, le poids de la guerre contre le Venezuela.

En revanche, rien ne les empêcherait d’intervenir dès lors qu’un conflit interne, ou des provocations sous faux drapeaux, leur en donnerait le prétexte. Mais il s’agirait dans ce cas de contenir la guerre hors de leurs frontières, et soutenir logistiquement le camp anti-bolivarien. Les déplacements récurrents de hauts responsables militaires des Etats-Unis en Colombie et les réunions entre les diplomates brésiliens avec le secrétaire d’Etat Mike Pompeo semblent avérer que ces pays seront tout de même impliqués dans le chaos guerrier à venir sans que leurs armées aient à assumer en intégralité le rôle d’agresseur.

Par ailleurs, si une invasion des Etats-Unis reste peu probable, Washington n’en est pas moins sur le pied de guerre. Le 13 mai 2019, dans un geste anti-patriotique historique, Juan Guaido a demandé la coopération des militaires étatsuniens pour intervenir dans son propre pays.  Or le Venezuela est entouré de bases étasuniennes qui ne manqueront pas de servir d’appui militaire à un conflit armé. Les Etats-Unis disposent, en effet, de sept bases en Colombie, et de plusieurs autres dans les Caraïbes. Le 13 février 2019, l’Etat cubain dénonçait, en ce sens, l’installation de forces spéciales des Etats-Unis à Porto Rico et en République Dominicaine. Quand aux bases de Washington dans les Antilles néerlandaises, elles prennent une dimension particulière, se trouvant à quelques dizaines de kilomètres de la principale raffinerie du Venezuela.

Les installations des Etats-Unis dans cette zone pourraient servir à réaliser le blocus naval souhaité par Washington contre le Venezuela. Cela ne manquerait pas de transformer les caraïbes en un théâtre d’opération militaire qui aurait pour conséquence de transposer la guerre aux portes de la France (et des Pays-Bas), et d’entrainer ces pays dans un conflit dont ils ne sont pas les initiateurs. En effet, en vertu du traité du 17 juillet 1980, la frontière entre la République française et celle du Venezuela est fixé par le méridien 62 degrés 48 minutes 50 secondes, situé au large de la Guadeloupe et de la Martinique.

Bien que l’offensive militaire ait déjà commencé au Venezuela, le conflit devrait prendre une tournure plus tragique au vu des récents mouvements de l’administration étatsunienne. Il existe désormais une très grande possibilité d’embrasement du Venezuela, et par ricochet de certains ses voisins sud-américains et caribéens (Cuba et le Nicaragua font partie de la troïka en ligne de mire).

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