Eduardo UGOLINI, WEB-LATINOS, 20 JANVIER 2021
Avec le plébiscite lancé au lendemain de la perte du Parlement, lors des élections législatives du 6 décembre, Juan Guaido espérait une forte mobilisation capable de provoquer la chute du gouvernement chaviste. Mais, au lieu du raz-de-marée populaire tant attendu, cette crise a révélé plutôt le ras-le-bol qui s’installe chez le peuple vénézuélien, et qui ronge déjà tant de sociétés latino-américaines, envers ses dirigeantes politiques. L’analyste Jésus Castillo-Molleda résume en une seule phrase l’apathie généralisée qui frappe le peuple vénézuélien : l’opposition et le gouvernement n’ont plus le soutien de la rue car, « ils ne sont pas connectés aux problèmes des gens ». Comme le rappelle Luis Vicente Leon, président de Datanalisis, l’abstention de la grande majorité de la population est davantage le fait d’une « méfiance à l’égard des politiques que de l’appel lancé par l’opposition. » Près de deux tiers de Vénézueliens rejettent Nicolas Maduro autant que l’autoproclamé président par intérim, selon une enquête de l’institut des sondages.
Épuisée par l’instabilité, la répression et les pénuries de tout ordre, aggravées par la pandémie du Covid-19, la population a en effet boudé les législatives. Avec 69 % d’abstention, ce sont les élections les moins concourues depuis 1958, ce qui a permis à Maduro de reprendre la main sur le Parlement, dernière institution qui échappait à son contrôle. Le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) au pouvoir a emporté plus de 91% des 277 sièges de l’Assemblée. C’est à la suite des ces législatives, qualifiées de « farce » par l’opposition et rejetées par une grande partie de la communauté internationale (dont Washington, l’Organisation des États américains (OEA) et l’Union européenne), que Guaido a organisé un referendum populaire entre le 7 et le 12 décembre dernier. Sans valeur juridique, il s’agissait d’un appel aux urnes à caractère symbolique, avec le seul objectif de tester sa popularité et faire ainsi pression pour tenter de proroger son mandat à la présidence de l’assemblée sortante.
Ce fut, en fait, un nouveau revers pour lui. Des 20 millions d’inscrits lors des législatives, seuls 3,2 millions de personnes ont voté dans le pays, 845.000 à l’extérieur du pays et 2,4 millions sur internet. Or, bien que le dernier jour de la consultation, des bureaux de vote sont restés à moitié vides, l’opposition s’est attribuée un triomphe « historique ». Une question s’impose donc : qu’implique en réalité le résultat de ce plébiscite pour Juan Guaido ?
Après avoir réussi à galvaniser le mécontentement populaire, début 2019, faute de résultats c’est la chronique d’une chute qui s’annonçait depuis des mois. Pour preuve : l’Union européenne a cessé de le reconnaître comme président par intérim, car les élections législatives l’ont privé de son statut à la tête de l’Assemblée nationale et par conséquent, il n’est plus légitime. En outre, les récentes élections présidentielles aux États-Unis semblent redonner une chance à Maduro. En effet, si Guaido comptait avec le soutien manifeste de l’administration Trump, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Selon un article du New York Times, Joe Biden serait prêt à « entamer un rapprochement discret avec Maduro ».
Le président américain, récemment élu, priorisera sans doute des sujets de politique intérieure, avant de se pencher sur la crise vénézuélienne. Mais il est certain qu’une nouvelle attitude envers le Venezuela commence à se faire sentir. C’est du moins ce que laisse entendre Gregory Meeks, l’élu démocrate de New York et premier Afro-américain à présider la commission des Affaires étrangères de la chambre basse du Congrès. Dans un entretien avec l’Agence France Presse, Meeks s’est montré favorable à « coopérer de façon multilatérale » avec les acteurs régionaux et les organisations internationales, car « nous ne pouvons aller là-bas et dire : voilà qui est votre président ». Rappelons que Gregory Meeks connaît bien le Venezuela. Il s’y est rendu à plusieurs reprises, et il a même rencontré le « Père » de cette révolution qui a plongé le pays dans le chaos : Hugo Chavez. Plus intéressant encore : Joe Biden, le nouveau locataire de la Maison Blanche, était le vice-président de Barack Obama lorsque celui-ci avait désigné Gregory Meeks pour représenter les États-Unis aux obsèques de Chavez.
A première vue donc, la lecture des événements montre qu’une perspective de dialogue semble s’engager entre les deux pays. Et si on se demandait jadis si les jours de Maduro étaient comptés, voici ce que disait, avec une certaine clairvoyance, le journaliste Alejandro Tarre: « Si le régime ne se fissure pas de l’intérieur, l’opposition n’a aucun moyen d’imposer sa volonté. Et si aucun changement ne se profile, la population pourrait se lasser de défiler dans les rues. » (journal El País, Madrid, 30 avril 2017). Maduro a réussi son pari de diviser l’opposition pour mieux régner. Et avec le départ du réfractaire Donald Trump, le soutien de ses alliés, dont la Chine et la Russie (qui a qualifié les législatives de « transparentes »), et la non ingérence de l’Union européenne, le président socialiste reste plus que jamais inébranlable dans la décision de poursuivre son mandat jusqu’à son terme, en 2025. Entre temps, il s’est engagé à tripler la production quotidienne de pétrole. L’« excrément du diable » (1) passerait ainsi de 400 000 barils à 1,5 millions « dans les prochains mois », a-t-il déclaré le 12 janvier, au Parlement, lors de son rapport annuel de gouvernement.
Il ne reste qu’à attendre les fruits de cette fameuse révolution chaviste. C’est ce que Nicolas Maduro avait promit : « Nous, Vénézuéliens, allons émerveiller le monde grâce au nouveau modèle économique que nous mettrons en œuvre […] Nous allons émerveiller le monde entier. ». Les vénézuéliens attendent impatiemment ce prodige depuis août 2017, époque où le dauphin de Chavez avait tenu ce propos face aux membres du Conseil national de l’économie productive.