JEAN-BAPTISTE MOUTTET, médiapart, 20 SEPTEMBRE 2019
« Nous n’avons besoin d’aucune forme d’ingérence. Nous pouvons résoudre nos problèmes nous-mêmes », a lancé, mercredi 18 septembre, la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodríguez. Pour le gouvernement chaviste, les premiers accords signés deux jours auparavant avec plusieurs partis minoritaires de l’opposition sonnent en effet comme une victoire. Les plans des États-Unis pour « défaire le gouvernement légitime et constitutionnel du Venezuela ont échoué », s’est félicitée Delcy Rodríguez.
Alors que, le même jour, des groupes armés pro-gouvernement tiraient en l’air en vue de disperser des centaines de professeurs qui manifestaient pour dénoncer leurs conditions de travail, était signé à Caracas, dans l’ambiance feutrée de la « casa amarilla », le siège du ministère des affaires étrangères, un accord entre le gouvernement et quatre petits partis : Movimiento al Socialismo (MAS), Soluciones para Venezuela, Avanzada Progresista (AP) et Cambiemos.
Trois points principaux de l’accord agitent les débats. En premier lieu, il prévoit le retour du parti chaviste, le PSUV (Partido Socialista Unido de Venezuela), sur les bancs du Parlement. Ses députés s’étaient retirés, dociles, dès 2016, quand le Tribunal suprême de justice (TSJ), proche du gouvernement, avait privé la chambre de ses pouvoirs. Autre volet important : la refonte du Conseil national électoral (CNE), institution garante de la transparence des élections. L’opposition dénonce sa partialité. Sur les cinq recteurs qui le composent, un seul est réputé lui être favorable. À travers une « commission de la vérité », la justice accordera « des mesures de substitution à la privation de liberté dans les cas où le système juridique vénézuélien le permet ».
Le 17 septembre, le premier vice-président de l’Assemblée nationale, bras droit de Juan Guaidó, Edgar Zambrano, a ainsi été libéré. Accusé de « trahison à la patrie » à la suite du soulèvement militaire raté du 30 avril dernier (lire ici), il avait été arrêté de manière rocambolesque. Ne voulant pas se rendre, son véhicule avait été remorqué jusqu’au siège du Service bolivarien de renseignement (Sebin).
Alfredo Romero, le directeur de l’ONG vénézuélienne Foro Penal, dénonce quant à lui l’utilisation des prisonniers politiques comme monnaie d’échange. Son organisation estimait mi-septembre qu’il y en avait 478 dans les prisons du pays. Par ailleurs, l’accord rejette les sanctions économiques et les participants réunis autour de cette « table du dialogue national » vont continuer de travailler sur les « conflits » entre les pouvoirs, notamment entre l’Assemblée nationale et l’Assemblée nationale constituante (ANC)…
Cet accord venu de petites formations n’est bien entendu pas du goût de la majorité des partis de l’opposition, qui soutiennent la stratégie de Juan Guaidó. Ce dernier, qui s’est autoproclamé président le 23 janvier (lire ici), qualifie l’initiative « d’irresponsable et de sadique ». « C’est une farce, pas une manière de sortir de la crise, soutient le député de Primero Justicia, Leonardo Regnault. Maduro tente de se passer un vernis démocratique alors qu’il crée son opposition sur mesure. » La légitimité des signataires est mise en question : ils ne représentent pas 10 députés sur les 167 que comptent l’Assemblée nationale, la seule institution acquise à l’opposition mais dépourvue de pouvoir.
Pour le politologue vénézuélien Piero Trepiccione, le président « cherche à élargir ses marges de manœuvre en créant un nouvel espace politique sans se soumettre au vote ». Les partis majoritaires de l’opposition y voient sa volonté de rester au pouvoir coûte que coûte. C’est le point névralgique de leur stratégie : il n’y aura pas de sortie de la crise politique et économique tant que le président socialiste conserve le pouvoir, estiment-ils.
Cet « espace politique » aura pour scène l’Assemblée nationale. Contacté, un des signataires de l’accord, Luis Romero, le secrétaire général d’Avanzada Progresista, dénonce « l’autoritarisme de Maduro », dit ne pas être dupe du gouvernement qui cherche « à gagner du temps », mais pour autant n’exclut pas une alliance de circonstance avec le PSUV dont il prévoit la réincorporation dans l’hémicycle, le 24 septembre. « C’est difficile, mais nous devons dépasser la polarisation. Quand un nouvel arbitre sera trouvé, tout sera plus facile et tout le monde en profitera. »
Luis Romero se réfère à la formation d’un nouveau CNE. Il est nécessaire d’obtenir les deux tiers des votes de l’Assemblée nationale pour désigner les nouveaux recteurs. Une proportion que le PSUV et les partis signataires de l’accord n’atteignent pas. Le secrétaire général d’AP compte bien convaincre d’autres députés de rejoindre l’initiative. « Les portes sont ouvertes », dit-il. Le 18 septembre, le pasteur évangélique Javier Bertucci (Esperanza por el Cambio) a franchi le pas. Si les deux tiers des votes ne sont pas réunis, c’est le Tribunal suprême de justice, proche du gouvernement, qui peut se charger de la désignation. De quoi faire tiquer les adversaires de Maduro.
Avanzada Progresista, Esperanza por el Cambio… l’identité des signataires rappelle le précédent de l’élection présidentielle de 2018. Passant outre l’accord au sein de l’opposition de ne pas se présenter au scrutin, car les conditions pour une élection démocratique n’étaient pas réunies selon eux, AP avait présenté son candidat Henri Falcón et Javier Bertucci avait joué le rôle d’outsider. Le premier avait obtenu 20,93 % des voix et le pasteur évangéliste avait créé la surprise en frôlant les 11 %. L’abstention avait été de 54 %. Étrangement, alors qu’Henri Falcón avait dénoncé la fraude et n’avait pas reconnu les résultats, son parti rempile pour ce nouveau pacte.
Quelles sont les garanties ? Luis Romero assure que cela viendra d’un CNE impartial. Leonardo Regnault, ancien député d’Avanzada Progresista avant de passer à Primero Justicia, est certain qu’« ils savent que les événements vont se répéter. Nous étions nombreux à avertir qu’il serait difficile d’opposer une candidature viable contre ce régime ». Piero Trepiccione soupçonne ces partis de chercher « à avancer les élections législatives auxquelles seuls les signataires de l’accord pourraient participer ».
Ces accords laissent la voie ouverte pour avancer la date prévue des élections législatives (qui devraient avoir normalement lieu en décembre 2020) et ainsi priver l’opposition de la seule institution qu’elle contrôle. Le numéro deux du pouvoir maduriste et président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Diosdado Cabello, expliquait encore le 16 septembre que « [ses] députés ser[aie]nt là [à l’Assemblée nationale – ndlr] pour le débat. Prochainement, il y aura des élections pour le Parlement et nous devons y aller préparés ». Ce sera l’ultime coup porté contre cette Assemblée, tribune et base arrière de l’opposition, qui est déjà affaiblie par la levée de l’immunité de députés et dont certains sont en exil ou emprisonnés. Luis Romero assure de son côté que son groupe politique se battra pour organiser un « processus électoral intégral » qui permettra de rebattre totalement le jeu politique vénézuélien.