Kalya Nzesseu, correspondante et stagiaire
Lorsque l’on entre dans le hall de l’exposition, une grande affiche nous présente le but du concours World Press Photo 2023 : représenter autant les événements majeurs de l’actualité 2022 que d’autres moments importants négligés de la presse généraliste. Force est de constater que cet objectif a partiellement été atteint.
Initialement fondé en 1955 comme une plateforme permettant aux photojournalistes néerlandais d’accroître leur visibilité internationale, le concours World Press Photo est devenu le concours de photojournalisme le plus prestigieux au monde. Depuis 2007, l’exposition World Press Photo Montréal est un événement incontournable de la rentrée culturelle. Présentée au Marché Bonsecours, la 16e édition de cette grande exposition internationale s’est tenue du 30 août au 15 octobre 2023, tous les jours, sans interruption.
Le spectacle du monde
La popularité de l’exposition n’est plus à démontrer. Nous avons tous en mémoire les images de ce chef de la police sud-vietnamienne prêt à exécuter un homme suspecté d’être membre du ViêtCong en 1968, de cette jeune fille vietnamienne fuyant une attaque au napalm en 1972 ou encore de cet étudiant face à une file de chars sur la place Tiananmen en 1989, qui ont marqué l’histoire du concours. C’est avec cet imaginaire en tête que l’on se rend à l’exposition où l’on s’attend à voir des photos chocs. Et le lauréat de cette année, Evgeniy Maloletka, ne fait pas exception à la tradition du World Press Photo de primer des clichés saisissants et graphiques, en montrant une femme enceinte blessée, évacuée d’une maternité endommagée lors d’une frappe russe à Marioupol en Ukraine.
Le choix de photos spectaculaires et violentes fait souvent débat, car, en étant le prix le plus attendu et le plus relayé dans son domaine, le World Press Photo cristallise des visions divergentes de ce que doit être le photojournalisme. En 2021, le jury s’est distancé de la violence, de la catastrophe et du sang en récompensant Mads Nissen pour sa photo montrant Rosa Luzia Lunardi, 85 ans, enlacée par l’infirmière Adriana Silva da Costa Souza dans un hôpital brésilien au moment de la pandémie de Covid-19. L’institution avait donc pris position pour un journalisme plus lent qui joue sur l’expressivité. Cependant, cette vision reste minoritaire parmi les lauréats. Cette photo est la seule parmi ces 62 prédécesseurs à rapporter un événement d’importance mondiale avec une perspective exclusivement positive.
Quelle place pour les alternatives?
Au cours des dernières années, le World Press Photo a pris des initiatives pour encourager une représentation plus diversifiée et inclusive du monde en récompensant plus de photographes originaires du pays qu’ils documentent, donnant lieu à des perspectives plus balancées sur le monde. Ce nouvel équilibre était particulièrement visible lors de l’exposition de cette année. La majorité des photographes lauréats, sélectionnés parmi 60 000 candidatures, tentaient de raconter leur pays d’origine avec plus de nuance. Par exemple, Fabiola Ferrero, à travers sa série de photos sur le Venezuela, montrait à la fois la violence politique et la détérioration de son pays, mais aussi la résilience des personnes qui y vivent avec une grande sensibilité.
Le classement des photos par régions du monde, introduit l’an dernier, a également permis de documenter plus d’actions locales. En effet, plusieurs projets longs mettaient en lumière des initiatives sociales comme la série de photos «Home for the Golden Gays». Hannah Reyes Morales présentait une communauté philippine de personnes âgées LGBTQI+ vivant ensemble depuis des décennies, partageant une maison, prenant soin les uns des autres et organisant des spectacles et des concours pour survivre dans un pays où ils sont confrontés aux discriminations. En regardant ces photos, on ressent particulièrement la chaleur et l’entraide à travers l’œil de la photojournaliste philippine, habituée à photographier son île. Toutefois, ce type de projet reste encore marginal.
En somme, l’exposition World Press Photo 2023 reflète la tension permanente entre la nécessité de montrer des événements marquants de manière frappante et la demande croissante de perspectives plus diversifiées et nuancées. Cette exposition continue d’interroger ce que doit être le photojournalisme et ouvre la voie à des discussions importantes sur le rôle de la photographie dans la représentation de notre monde.