Un drapeau palestinien brandit sur l'avenue du Parc à Montréal lors de la marche du 28 octobre 2023 Crédit photo : JBouchez, - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Palestinian_flag_on_Park_avenue_in_Montreal.png -CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

Par Pierre Mouterde, sociologue et essayiste

Pierre Mouterde rappelle le drame humain en cours en Palestine et plaide pour un engagement des Canadien.ne.s des et Québécois.es. à devenir une force sociale et politique auprès de leurs gouvernements respectifs afin de réclamer la paix et une solidarité absente envers le peuple palestinien.


2, 300 000 êtres humains pris en souricière, bombardés sans discrimination, enfermés dans une prison à ciel ouvert de 365 kilomètres carrés (imaginez, plus petite que l’agglomération de Montréal ! ), sans pain, ni eau, ni électricité, ni essence, sans liens internet autrement qu’intermittents, sans pouvoir fuir ou s’échapper de cet enfer, ou simplement trouver un lieu sûr, à l’abri d’une mort imminente… toujours possible. Partout, d’innombrables cadavres sous les décombres, des hôpitaux débordés ou détruits, des ruines qui s’élèvent jusqu’au ciel. Déjà plus de 7 500 morts officiellement reconnus, dont 2 500 enfants innocents ! Assurément un crime contre les populations civiles palestiniennes, contre le peuple palestinien, contre l’humanité même !

Une catastrophe se déroule devant nos yeux…, une possible seconde Nakba en plein début du 21ième siècle, plus violente encore que celle ayant vu, en 1948, 750 000 Palestiniens forcés de quitter leurs terres. Et nous en entendons pantois les échos, comme s’il s’agissait certes d’une catastrophe, mais d’une catastrophe inévitable vis-à-vis de laquelle, il n’y avait rien à faire, sinon à plier l’échine. Malgré tous les appels à un cessez le feu des ONGs encore sur place, de l’ONU vilipendée, du croissant rouge palestinien désespéré!

Et ici au Québec, la rumeur lointaine de ces cris et désespoirs, nous l’écoutons soudainement paralysés par un déchirant sentiment d’impuissance.

Sans doute faut-il avoir au préalable appris à percer le brouillard de la désinformation et qui jouant sur la culpabilité, les émotions exacerbées, des vérités décontextualisées et le droit du plus fort, sème partout désorientation collective, hésitation, oubli, tentation de regarder ailleurs. Après tout, celui qui a pris la direction de cette opération vengeresse, le premier ministre israélien Netanyahu – pourtant si contesté dans son propre pays et poursuivi pour malversation récurrente – ne prétend-t-il pas justement se défendre d’attentats barbares ayant fait 1400 victimes parmi les Israéliens, et ne descend-il pas d’un peuple qui en Europe a connu les affres d’un génocide aux dimensions jusqu’alors inconnues, demandant réparation et droit de pouvoir enfin vivre en paix et sécurité?

Mais dès lors comment comprendre, dans le contexte d’aujourd’hui, que les victimes d’hier puissent s’être muées en bourreaux d’aujourd’hui, qu’à ces attentats terroristes désespérés du Hamas, on ne réponde du côté israélien que par le terrorisme d’État le plus vil, que les aspirations du peuple israélien à la paix et à la sécurité se soient converties 75 ans plus tard en politiques d’apartheid et en opérations génocidaires de grande ampleur?

Comment comprendre sinon en revenant à l’histoire et en remettant sous les projecteurs ce qui est oublié dans les discours officiels et que, via leur monopole médiatique, les grandes puissances d’Occident entrent dans la gorge de tout un chacun : la mise sous le boisseau du droit à l’auto-détermination de peuple palestinien et les innombrables occasions ratées d’en fixer fermement la reconnaissance; la formidable asymétrie des forces et des moyens en présence, mettant dans la même balance un petit peuple acculé à la survie et sans grand moyen, et un État détenant clandestinement la bombe atomique et bénéficiant de l’appui militaire et assuré de la première puissance du monde, amalgamant qui plus est sciemment, pour les déconsidérer et les affaiblir, volontés légitimes de résistance et méthodes terroristes, dépréciant du même coup, du haut de vieux réflexes coloniaux, les volontés d’exister d’un petit peuple du sud ?

On peut ainsi mieux mesurer la pusillanimité des grands de ce monde qui depuis plus de 50 ans se sont tus et ont laissé se détériorer la situation à ce point, fermant hypocritement les yeux sur les politiques d’implantation de colonies israéliennes. Et surtout mesurer la dégradation des rapports de force politique existant notamment au Québec entre partisans de la paix, forces progressistes ou de gauche, et partisans de la guerre et de ce si injuste statu-quo actuel maintenu sous l’égide des États-unis et des forces montantes de la droite. Au-delà bien sûr de l’aide humanitaire si nécessaire, c’est pourtant là où comme citoyens nous pourrions agir : travailler à redevenir chez nous, au Québec et au Canada, une force sociale et politique mobilisée susceptible de faire bouger nos gouvernements ! Que Trudeau par exemple, contrairement aux positions pro USA qu’il a entérinées, soit forcé sous la pression de son opinion publique d’exiger un cessez le feu immédiat !. Ou que Legault se refuse, comme il prétendait le faire il y a seulement quelques jours, d’ouvrir le bureau d’une délégation québécoise à Tel-Aviv! Des petits gestes qui, néanmoins par leur portée politique peuvent ouvrir la voie à une solidarité pleine de promesses, et surtout permettre que peu à peu se nouent des forces capables, dans cette région si malmenée du monde, d’imposer une paix véritable, et par conséquent une solution politique qui prendrait pleinement en compte le droit inaliénable à l’auto-détermination du peuple palestinien.

Cet article a également été publié dans le quotidien Le Devoir